La 11e Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) de la mi-décembre à Buenos Aires était très attendue, surtout des Pays les moins avancés (PMA), qui espéraient des décisions fortes allant dans le sens de la conclusion du programme de Doha pour le développement lancé en 2001 et qui traite de l’agriculture, l’accès au marché et la question du développement. Mais les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs.
Près de 4000 délégués venus des 164 pays membres de l’OMC, mais aussi des observateurs, ainsi que des représentants de la société civile, des entreprises et des médias internationaux, ont été témoins de ce qui apparaît désormais comme une bipolarisation des débats, avec d’un côté les pays développés et de l’autre les pays en voie de développement y compris les pays les moins avancés.
Et pourtant, tous les membres de l’OMC semblaient nourrir un grand espoir au lancement du cycle de négociation de Doha qui visait à réformer en profondeur le système commercial mondial, pour améliorer les perspectives commerciales des pays en développement. Presque les mêmes objectifs que l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) instauré en 1947 et qui commémore son 70ème anniversaire. Des objectifs toujours d’actualité, ainsi que l’ont rappelé les termes d’une déclaration dite « Déclaration de Buenos Aires » signée à l’ouverture de la Conférence par plusieurs pays participants. « Les objectifs d’améliorer les conditions de vie des populations, de parvenir au plein emploi et d’augmenter la production et le commerce des biens et des services demeurent tout aussi pertinents tout en contribuant en même temps à la réalisation des Objectifs de développement durable », indique la déclaration.
« Chacun de nous, a relevé de son coté le président argentin Mauricio Macri, a besoin de faire des concessions en faveur du bien commun, et tant que nous faisons cela, nous en bénéficierons tous ». Il a également mis en garde contre le piège de la « primauté de l’intérêt national », ajoutant que les problèmes de l’organisation mondiale du commerce ne peuvent être résolus qu’avec « plus d’OMC, et non moins d’OMC ».
Le président argentin a dit sa conviction que le multilatéralisme est le meilleur moyen de tirer parti des possibilités qu’offre le commerce international et d’en relever les défis. Il a insisté sur l’importance de préserver et de renforcer le système commercial multilatéral afin de promouvoir un commerce fondé sur des règles, transparent, inclusif, non discriminatoire et équitable.
Dans sa déclaration à la conférence, le ministre burkinabè du Commerce Stéphane Wenceslas Sanou a, pour sa part affirmé que « pour que la onzième conférence soit une réussite, les Membres devront faire preuve de la flexibilité nécessaire dans leurs positions afin de favoriser un rapprochement des points de vue concernant des accords commerciaux importants et qui sont désormais à notre portée ». « Le Burkina Faso, a t-il poursuivi, réitère, du haut de cette tribune, un appel à tous les membres pour que, tous ensemble nous œuvrions conjointement à l’adoption de politiques commerciales conformes aux règles de l’OMC et réaffirme son engagement et son attachement à une mondialisation à visage humain, plus juste, plus équitable et capable d’apporter à nos sociétés le développement inclusif et durable dans un monde solidaire et prospère ».
Le multilatéralisme est au cœur des ODD
C’est dire que les dirigeants du monde ont une claire conscience du danger que pourrait représenter un retour du protectionnisme. L’urgence d’un enracinement plus profond du multilatéralisme est du reste, nettement perceptible dans les Objectifs de développement durable (ODD) que se sont fixé les États membres des Nations Unies. L’ODD 17 stipule notamment qu’il faut « promouvoir un système commercial multilatéral universel, réglementé, ouvert, non discriminatoire et équitable sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce, notamment grâce à la tenue de négociations dans le cadre du Programme de Doha pour le développement ».
Au nombre des actions envisagées pour atteindre l’ODD 2, « éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable », il est évoqué la nécessité de corriger et prévenir les restrictions et distorsions commerciales sur les marchés agricoles mondiaux, y compris par l’élimination parallèle de toutes les formes de subventions aux exportations agricoles et de toutes les mesures relatives aux exportations aux effets similaires, conformément au mandat du Cycle de développement de Doha.
On comprend donc aisément que dans ce contexte, les PMA aient espéré mais c’était sans compter avec les égoïsmes nationaux qui ont visiblement la peau dure. Certaines délégations trouvent en effet le mandat de Doha obsolète, malgré tous les avantages évoqués plus haut et son importance pour l’atteinte des objectifs de développement durable, et estiment qu’il faut passer à autre chose. Pour elles, il faut aller vers de nouvelles questions, notamment celles liées au commerce électronique et à la facilitation des investissements. Des questions importantes certes, mais pour de nombreux pays en développement, les questions traitées par le Cycle de Doha à savoir l’agriculture, avec des mesures de réduction de toutes formes de soutiens ayant des effets de distorsion sur les échanges, sont tout simplement vitales. Il en est ainsi du coton pour de nombreux pays dont le Burkina.
Devant la 11e Conférence ministérielle, le ministre malien du Commerce Abdel Karim Konaté, porte-parole des quatre pays dits co-auteurs de l’initiative sectorielle en faveur du coton, a planté le décor : « Les statistiques du commerce international montrent que le coton africain qui constitue près de 70% des recettes d’exportation de certains pays, avec une transformation locale insignifiante, ne représente pas plus de 2% du commerce mondial de ce produit. Cela illustre éloquemment toute la fragilité des économies de ces pays dans le système commercial multilatéral. Il est indéniable que ces pays bénéficient beaucoup de l’assistance de leurs partenaires au développement à travers l’aide au développement. Cependant, nous restons convaincus que la meilleure façon de les aider aujourd’hui est de favoriser l’accès de leurs produits au marché international pour leur permettre de tirer légalement meilleur profit. Nous disons « oui au commerce et non à l’assistance indéfinie », a-t-il indiqué.
Avant la conférence, les pays du C4 avaient cru bien faire en dépêchant devant le Conseil général de l’OMC à Genève, le Premier ministre malien pour exhorter les pays membres à trouver une solution juste et équitable à la sempiternelle et épineuse question du soutien interne. Car c’est de cela qu’il s’agit.
Malgré un mandat en 2004 enjoignant d’intégrer davantage les petites économies vulnérables dans le système commercial multilatéral et un autre dit de Hong Kong en 2005 qui instruit de réserver un traitement « ambitieux, rapide et spécifique » à la question du coton, les lignes n’ont pas véritablement bougé.
Une question de survie
« Aujourd’hui encore, avait relevé le Premier ministre malien, et malgré tous les efforts du C-4, plus de 70% de la production cotonnière bénéficient des soutiens internes accordés majoritairement par des pays développés et des pays en développement de l’OMC. Cette pratique produit autant d’effets de distorsion sur le prix du coton que la subvention à l’exportation ou tout autre pratique commerciale similaire ».
« Vous connaissez pourtant les graves conséquences sur les économies et la vie sociale des populations de nos pays. Vous connaissez pourtant aussi les statistiques incontestables qui plaident largement en notre faveur, vous savez fort bien qu’une réduction significative immédiate, voire totale à terme, du soutien interne est une condition vitale pour la filière coton qui se meurt à petit feu dans les PMA. Alors, osez ! Faites-le ! Maintenant », avait martelé Abdoulaye Idrissa Maiga, affirmant qu’un résultat significatif sur le soutien interne au coton en négociation « sera alors un signal conséquent et une grande satisfaction pour la 11ème Conférence ministérielle qui pourra alors prétendre qu’elle a accompli son devoir et atteint ses objectifs ».
On est bien tenté de dire que le Premier ministre malien a prêché dans le désert.
Au sortir de la 11ème Conférence ministérielle de Buenos Aires, la moisson est bien maigre pour les pays du C4 et leurs partenaires des PMA. Aucune avancée sur l’agriculture en général et le coton en particulier, ni même sur aucune des questions de fond qui étaient à l’examen. A contrario, les résultats obtenus marquent une ouverture vers un système commercial bilatéral ou plurilatéral privilégiant des accords sectoriels entre pays partageant les mêmes points de vue et intérêts.
Cette incapacité des membres de l’OMC à s’accorder sur la conclusion du cycle de Doha, constitue aux yeux de nombreux experts, un échec d’un multilatéralisme en faveur du développement, seul à même de freiner les velléités de montée du protectionnisme.
De nombreux États membres l’ont regretté et même déploré, mais faut-il pour autant se laisser gagner par le désespoir ?
Assurément non, puisqu’il a été convenu que les Ambassadeurs à Genève poursuivent les négociations au sein de l’OMC en établissant un programme de travail pour les deux années à venir. Les discussions continuent donc et il n’est pas interdit d’espérer qu’elles aboutissent à un changement des procédures applicables à l’OMC et notamment dans la prise de décisions. Peut-être même faudrait-il en arriver à une évolution des bases de fonctionnement de l’OMC et de conduite des négociations.
Ce serait peut-être la condition sine qua non pour « plus d’OMC », comme l’a souhaité le président Macri à l’ouverture de la 11ème Conférence ministérielle.
Mathieu BONKOUNGOU
Ambassade Mission permanente du Burkina à Genève