Le délégué général du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), Alex Moussa Sawadogo, a prié les festivaliers de la 27è édition du cinéma africain, qui ouvrira sa scène, le samedi 16 octobre 2021, de «rester vraiment dans le cadre du festival» vu la double situation sécuritaire et sanitaire fragile que connaît le Burkina Faso. Dans ce long entretien accordé à Wakat Séra, le DG du Fespaco a rassuré le public que tout est fin prêt et que les petits plats ont été mis dans les grands pour offrir une meilleure organisation de la biennale du cinéma africain qui a retenu cette année 239 films pour les différentes catégories dont la plus prestigieuse, l’Etalon de Yennenga.
Wakat Séra: Quel est le bilan des préparatifs à trois jours de la tenue effective de la 27è édition du Fespaco?
DG du Fespaco Alex Moussa Sawadogo: Je peux simplement dire que nous sommes très satisfaits des différentes étapes de l’organisation. Le fondamental pour ne pas dire l’essence du Fespaco étant la présentation des films, nous avons la chance d’avoir reçu tous les films. Nous avons aussi la confirmation et la réservation des billets d’avion et des chambres d’hôtels des festivaliers, c’est-à-dire des réalisateurs, des producteurs. Nous avons la confirmation de ceux qui vont animer ces différentes manifestations, que ce soit les colloques, la présentation des films, etc. Ici aussi au siège du Fespaco, les chapiteaux du Marché international du cinéma et de l’audiovisuel africains (MICA) sont en train d’être montés. Pour la cérémonie d’ouverture, le chorégraphe est en train de parfaire quelques scènes afin que tout soit prêt le samedi.
Qu’en est-il donc du couac concernant Serge Aimé Coulibaly, le chorégraphe du festival, qui se plaignait de non déblocage de fonds pour se préparer convenablement?
Je dis et je répète que c’était juste une tempête qui est passée, on l’oublie. Comme la tempête du mois d’octobre, elle arrive brusquement et repart aussi simplement. Et vous avez pu le remarquer, tout le monde est serein ici. On continue à travailler. Pour nous, l’essentiel, c’est de nous concentrer sur notre seul objectif qui est de faire de telle sorte que tous ceux qui viendront par plaisir pour découvrir le Fespaco puissent vraiment être satisfaits, afin qu’au soir de ce 23 octobre, le peuple burkinabè soit fier devant le monde entier d’avoir réussi à organiser un tel évènement.
Le budget de l’organisation de cette 27è édition est estimé à 1 milliard 400 millions FCFA. Qu’avez-vous pu engranger et quelle est la part contributive de l’Etat?
Nous sommes d’abord très satisfaits de ce que nous avons pu engranger comme vous le dites. Et en même temps aussi, vous savez que nous sommes dans une situation très difficile vu la situation sanitaire et celle sécuritaire. Nombreux sont les partenaires qui, malgré ces difficultés que je viens d’énumérer, ont répondu favorablement à nos requêtes. Nous profitons une fois de plus pour les remercier de leur soutien, de leur volonté de vraiment contribuer à l’émergence de ce festival. Nous avons un grand soutien de l’Etat burkinabè qui est le premier partenaire financier de cet évènement. Nous croyons fort bien qu’au Jour-J nous rentrerons justement dans le budget. Vous savez, un évènement de cette nature, on ne peut jamais arrêter un budget. Nous continuons à travailler et à lancer des appels à nos partenaires afin d’engranger, comme vous le dites, le montant que nous attendons.
Quelles sont les innovations que vous apportez à cette 27è édition du Fespaco? Autrement dit, quelle est votre touche personnelle à cet évènement?
Nous avons essayé d’adapter le festival aux réalités que nous vivons. Le Fespaco d’aujourd’hui ne peut pas être le Fespaco de 1969 comme l’avaient créé nos parents et nos grand-frères. Le Fespaco d’aujourd’hui doit-être un festival de son temps. C’est-à-dire qu’en plus de son espace de promotion, de visibilité, des films du continent et de la diaspora, elle devrait-être aussi un tremplin à l’émergence de ces jeunes réalisateurs qui veulent un jour aussi remporter l’Etalon d’or de Yennenga. En même temps, le Fespaco doit garder son côté économique parce qu’aujourd’hui nous parlons de l’industrie du cinéma.
A ce niveau nous avons pensé mettre en place le Yennenga post-production qui est une plateforme de finition des films où les réalisateurs, les producteurs qui ont des films en finition pourront venir rencontrer des producteurs ou des partenaires financiers pour pouvoir parfaire la finition de leurs films. Nous avons aussi le Yennenga Academy qui est un espace, une passerelle justement pour tous ces jeunes qui aspirent faire le cinéma sans savoir exactement quelle branche choisir. Vous savez qu’au cinéma, pour la production d’un film, il faut au minimum 20 chaînes de valeur. Aujourd’hui, malheureusement dans nos pays, nous avons des écoles de cinéma qui n’offrent pas ces possibilités de formation mais à travers le Yennenga Academy ces jeunes cinéastes seront bien orientés dans leur carrière d’homme de cinéma.
A combien peut-on estimer le nombre de festivaliers qui viendra à cette 27è édition du Fespaco?
Nous attendons évidemment un grand nombre de festivaliers puisque c’est le Fespaco. Vous savez qu’à chaque édition, il y a presque 200 000 festivaliers qui viennent au Fespaco pour voir les films que nous projetons et pour participer aux différentes manifestations. Nous avons aussi de nombreux producteurs, des spécialistes du cinéma africain qui viennent de partout dans le monde. Alors, donner un chiffre exact, ce n’est pas évident, mais je pense que nous aurons la chance d’enregistrer quasiment le même nombre de personnes, de spectateurs, comme les années précédentes.
Vous êtes confiant malgré la situation sécuritaire et sanitaire fragile!
Oui je suis confiant malgré la situation sanitaire et sécuritaire difficile que le pays connaît. N’oubliez pas que le Fespaco risque d’être le dernier grand évènement du continent avant la fin de l’année. Donc nombreuses sont ces personnes qui veulent vivre, qui veulent sortir du confinement, de la léthargie de nombreux festivals dans le monde entier, pour pouvoir assister à cette messe du cinéma africain. Nous avons déjà enregistré la confirmation de nombreuses délégations du monde entier. Et donc, nous restons vraiment optimistes d’avoir un grand nombre de festivaliers.
Quelles sont les comportements que le public doit avoir ou quelles sont les consignes que vous adressez à ces milliers de festivaliers qui vont fouler la capitale du cinéma africain, pour un bon déroulement du Fespaco?
Nous savons très bien que la situation sanitaire et sécuritaire pourrait freiner l’intention de quelques professionnels de venir au Fespaco ou ne pourra pas empêcher d’autres personnes de venir à cet évènement mais nous demandons tout juste à ceux qui auront la chance ou le courage, qui ont eu cette bonne volonté de venir à Ouagadougou, d’être parmi nous, de rester vraiment dans le cadre du festival.
C’est vrai que lorsqu’on arrive dans une belle capitale comme Ouagadougou, on veut essayer de voir d’autres localités d’un beau pays comme le Burkina, ou d’autres villes ou des sites touristiques. Mais pour cette fois-ci, nous leur demandons vraiment de rester au cœur de la capitale pour qu’on puisse passer une très belle semaine ensemble. Même s’il y a toujours des gens animées de mauvaises intentions, nous voulons vraiment rassurer tous ceux qui viennent pour le Fespaco et leur demander de faire beaucoup attention, de se confier, lorsqu’ils auront des soucis, au comité national d’organisation de l’évènement. Nous les invitons aussi à tenir compte des mesures barrière. Nous savons que c’est très difficile mais il est important de voir ce cas aussi.
Justement, est-ce qu’au titre des questions sanitaire et sécuritaire, il y a des dispositions particulières prévues pour une réussite de cette édition du Fespaco?
Oui, dans le comité national d’organisation, nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère de la Santé et celui de la Sécurité, qui, certainement, aussi sont en concertation avec les autorités du Burkina pour pouvoir renforcer la sécurité et faire de telle sorte que les mesures barrière soient respectées. Porter les masques pendant les projections des films, laver les mains ou les nettoyer avec du gels hydro-alcoolique. C’est pour dire que le gouvernement burkinabè est conscient de la situation. Et en concertation avec le comité national d’organisation, des moyens sont mis en place afin de pouvoir faire de telle sorte qu’au soir du 23 octobre le peuple burkinabè soit fier d’avoir organisé un tel évènement, malgré les conditions difficiles.
Etes-vous satisfaits de l’accompagnement de vos différents partenaires?
Oui. Nous sommes vraiment contents du soutien des partenaires du monde entier. D’abord de l’Etat burkinabè qui, malgré les conditions difficiles a tenu vraiment à nous soutenir pour que ce festival soit une réalité. C’est un grand effort qu’il faut vraiment saluer au passage. Nous avons aussi ces partenaires qui viennent du monde entier que ce soit l’Union européenne, des institutions internationales, sous régionales ou nationales, nous les remercions une fois de plus pour leur soutien. Aux partenaires qui n’ont pas encore répondu favorablement, nous sommes toujours ouverts à recevoir des réponses positives à nos requêtes.
Au vu du coût faramineux de l’organisation du Fespaco et de la difficulté à laquelle fait face le Burkina pour son financement, des voix souhaitent que la biennale soit organisée de façon tournante dans d’autres pays. Qu’en pensez-vous?
Je ne sais pas d’où viennent ces affirmations ou ces idées mais moi je pense que tout festival a son histoire, sa philosophie. Il reflète la réalité dans l’espace où il est né et cela fait sa force. La preuve en est que le festival de Cannes c’est par rapport à la ville de Cannes. Quand on dit Berlinale, c’est par rapport à Berlin. Quand on dit Venise, c’est en lien avec la ville de Venise. Je ne sais pas sur quoi se fondent ces personnes, mais je pense que si le Fespaco se tient dans un autre pays ça ne sera plus le Fespaco, mais ça sera un autre festival.
Nous Burkinabè sommes fiers d’organiser ce festival, le Burkina a des hommes et des femmes, compétents pour organiser ce festival et nous avons aussi cette chance d’avoir des autorités qui sont conscientes de l’importance de cet évènement et l’accompagnent depuis sa création en 1969 à aujourd’hui.
On entend dire souvent que la qualité du cinéma a régressé, tout comme certaines personnes estiment que le numérique lui a apporté un plus sur les plans quantitatif et qualitatif. Le numérique a-t-il réellement apporté un plus au cinéma africain?
Oui le numérique apporte un plus, et ça, il faut le reconnaître. Grâce au numérique nous avons une très bonne quantité de production de films. Le numérique a permis aussi à de nombreux réalisateurs et réalisatrices de voir augmenter, leur capacité de pouvoir réaliser des films. Cela a permis également de pouvoir faire des films sans gros moyens. Si aujourd’hui, nous avons la chance de recevoir par exemple pour cette édition du Fespaco plus de 1 500, 1 700 ou 1 800 films, cela montre, en plus du talent que le continent a, en quoi ce numérique, avec le peu de moyen dont disposent nos politiques de cinéma, a permis une très bonne production de films.
Mais, il est important aussi de souligner que le cinéma, ce n’est pas parce qu’on a une caméra numérique qu’on fait un film. Le cinéma respecte certains codes et demande du talent. Donc, il est important de pouvoir respecter ces codes et d’avoir ce talent afin de pouvoir faire des films de très bonne qualité pour permettre aux spectateurs, aux passionnés du cinéma, de rêver.
Pour cette 27è édition, un seul Burkinabè, Aboubacar Diallo, sera en compétition avec son film, «Les trois Lascars» pour les Etalons de Yennenga. Qu’est ce qui peut expliquer cette rareté des films burkinabè dans les hautes compétitions du Fespaco, alors que Ouagadougou est considéré comme la capitale du cinéma africain?
L’Afrique compte plus de 50 Etats. Le Fespaco, c’est un festival panafricain. Si nous voulons prendre un film par pays, nous aurons plus de 50 films. Et nous avons en compétition 15 films. Soyons d’abord fiers d’avoir un film en compétition. Vous imaginez, d’autres pays n’ont pas de film, et presqu’à chaque édition du Fespaco nous avons au moins un film burkinabè qui est en compétition. Imaginez ceux dont les pays n’ont jamais eu un film en compétition aux Etalons de Yennenga. Le Fespaco, c’est un festival panafricain, ce n’est pas un festival national.
Dans notre démarche artistique, nous recherchons des films qui sont capables d’être en compétition avec les autres, mais pas des films par rapport à leur nationalité. Nous sommes enclins à pouvoir garder aussi l’essence, l’identité et la force du Fespaco qui est partie de sa capacité de pouvoir réunir dans les différentes sections des films de très bonne qualité. Nous ne choisissons pas les films de par leur pays. Et je pense que dire qu’un seul film est insuffisant, c’est d’autre part remettre en cause la qualité du film qu’est «Les trois lascars».
Cette année, chaque section a un seul film par pays, sauf l’Egypte qui se retrouve avec deux films en compétition. Nous avons de nouveaux pays qui sont en compétition, comme Haïti qui est un pays de la diaspora, qui est à sa première participation. Des pays comme le Lesotho, la Namibie qu’on ignore lorsqu’on parle de cinéma, ont la chance d’être en compétition pour cette édition. Nous avons des pays à très forte production cinématographique comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal qui se retrouvent avec un seul film. Ce n’est pas parce que nous abritons le Fespaco que nous devrons être enclin à avoir cinq à six films en compétition. Penser ainsi, remet en cause l’identité et la force du Fespaco.
Et n’oubliez pas que la concurrence est devenue rude aussi. A l’époque où le Burkina Faso avait trois ou quatre films en compétition, ils étaient nombreux ces pays dont la production cinématographique n’était pas aussi forte. Donc, moi je pense qu’on doit-être déjà fier d’avoir un film en compétition et de vraiment célébrer cette victoire à mi étape et de voir aussi dans les autres sections où sont logés les films burkinabè.
Il se pose au Burkina un problème pour le financement des films. Alors, à votre avis, vous qui aviez été directeur de programme dans de nombreux festivals de grande envergure dans le monde, qu’est ce qui peut être la solution pour qu’on arrive à soutenir nos films pour leur production?
Je dirai tout simplement que la faiblesse de la production du cinéma burkinabè n’est pas aussi grave qu’on le pense. Nous avons déjà la chance de voir que chaque année nous avons au moins une dizaine de films, si j’ajoute les courts et longs métrages, les documentaires, les fictions et même les films d’animation. Ce qui déjà n’est pas mal. Mais, c’est vrai que nous ne devrons pas nous contenter de cette production pour dire que nous avons une industrie cinématographique forte. Nous devons juste revoir notre politique de cinéma ou la production des films car les contextes ont changé.
Il va falloir que nous arrivions à nous adapter à ces contextes pour pouvoir être compétitifs sur le plan national et international. Ce n’est pas seulement de financer la production des films mais de voir comment nous développons d’abord nos projets de films. Le cinéma ce n’est pas seulement la production, c’est son développement aussi à travers un projet dès la base. Il ne faut donc pas juste se contenter de financer la production mais financer le développement du projet, financer sa distribution, sa visibilité et son marketing. Voilà pourquoi je vous disais qu’avec le Yennenga Academy, nous allons essayer de tenir compte de tous ces paramètres de fabrication d’un film. C’est ainsi que nous pourrons avoir une industrie cinématographique forte. Nous ne pouvons pas avoir une industrie cinématographique forte si nous ne pensons pas d’abord à la production, ni à la consommation.
Vous faites votre baptême de feu à la tête du Fespaco, comment portez-vous ce poids à une semaine de l’édition quand on sait que le public burkinabè est très exigeant?
Mais vous me voyez! Je suis lucide, je ne pleurniche pas entre les bureaux ou entre deux réunions. J’ai eu la chance de pouvoir travailler dans des festivals de grande envergure. J’ai la chance de pouvoir m’appuyer sur des personnes capables de m’accompagner dans la réalisation de ces projets. Je reste donc confiant, je reste confiant en mon équipe aussi. Je crois que ce sont des hommes et femmes qui ont cette chance, cette capacité de pouvoir gérer ce genre d’évènement. Et aussi, j’ai la chance d’être dans un pays où les gens sont confiants dans leur travail. La réussite ou l’échec de ce festival, ne serons pas à moi seul mais au Burkina. Donc, nous sommes tous responsables de la réussite de ce festival-là. Alors, moi je suis serein et je crois fort bien qu’on pourra me juger au soir du 23 octobre.
Interview réalisée par Bernard BOUGOUM