Accueil A la une Moutons de Tabaski: ça ne va pas!

Moutons de Tabaski: ça ne va pas!

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A quelques jours de la célébration de l’Aïd Kabîr, fête musulmane couramment appelée Tabaski sous nos tropiques, une équipe de Wakat Séra a fait le tour de quelques marchés de vente d’animaux, le mardi 11 juin 2024 à Ouagadougou. Cette immersion a permis de constater le calvaire des acteurs de la filière bétail, des producteurs aux consommateurs, en passant par les vendeurs.  

7H30 du matin, nous faisons notre entrée au marché de bétail de Tanghin qui grouillait déjà d’animaux en attente de clients. Convoyés des quartiers de la ville de Ouagadougou, des zones à fort élevage du Burkina Faso et d’autres contrées, et à l’orée de l’Aïd Kabîr, la plus grande fête annuelle des musulmans, des moutons et bœufs s’agglutinent çà et là sur les différents points de vente.

Chacune de ces bêtes portait au cou une solide corde la liant à un tronc d’arbre mort, ou tenue directement par les mains infatigables de son propriétaire, le vendeur.

Abdoul-Rachid Ouédraogo, vendeur de moutons

«Moi, je suis venu de Dori. Si tu as acheté là-bas pour venir ici, c’est trop de dépenses en termes de transports, de nourritures avant une probable vente. Malgré ça, arriver ici, il n’y a pas le marché», déplore Abdoul-Rachid Ouédraogo, vendeur de moutons. Mais ce ressortissant de Dori, localité située dans le Centre-Nord du Burkina Faso, ne souhaite que la paix pour son pays. «Sinon ça ne va pas. Le marché ne va pas. Pour ce qui est des prix des moutons, je ne vends pas cher. Mes moutons vont de 65 000 à 75 000 francs CFA. Même ça, il n’y a pas de clients. Le prix le plus élevé, c’est 125 000 francs», s’en désole Abdoul-M. Ouédraogo qui, par faute de moyens pour payer des aliments pour ses bêtes en attendant un quelconque achat, conduit son troupeau dans les rues de Ouagadougou à la recherche de pâturage.   

«Sur ce marché de Tampouy, les prix des moutons sont trop chers. Pour le plus petit des coûts, on te parle de 75 000 francs. Parfois, ils te parleront de 250 000 à 300 000 francs pour une seule bête», fait savoir Cheik Ouédraogo, un acheteur. Il avait déjà fait un tour dans ce marché de bétail à Tampouy, la veille, où faute de moyen, il avait soldé une partie du prix d’un mouton qu’il compte acquérir.  «Aujourd’hui, je suis revenu pour verser le reste et entrer en possession de mon animal. Il y a des moutons ici qui ont le prix d’un bœuf. N’eut été que le mouton est le mieux indiqué, je préférais payer un bœuf», se désole l’acheteur, Cheik Ouédraogo, enfin propriétaire d’un mouton pour sa Tabaski.

Mamoudou Bagagnan, à la fois éleveur et vendeur de moutons dans l’arrondissement 4 de Ouagadougou

«Dans les années passées, nous n’avons pas connu de telles flambées de prix, certainement que c’est lié au contexte de l’insécurité que traverse le pays. Une hausse que nous constatons ces deux dernières années. Naturellement, elle joue beaucoup sur le marché (du bétail). Étant vendeurs nous-mêmes, nous déplorons de tels prix, car cela fait souffrir les potentiels clients, donc la population entière», souligne Mamoudou Bagagnan, à la fois éleveur et vendeur de moutons dans l’arrondissement 4 de Ouagadougou.

Des réalités bien connues et par les éleveurs, des vendeurs ainsi que par les clients. «En réalité, nous connaissons de nombreuses difficultés. Mais Dieu merci, nous avons des enfants (des travailleurs) et des frères qui, malgré l’insécurité, s’efforcent à nous ramener du bétail depuis les zones difficilement accessibles. D’ailleurs, d’autres ont eu, par deux à trois fois, à se faire retirer les animaux. Des mésaventures qu’ils ont eues avec les terroristes», explique, du haut de ses 47 ans de service, le président du marché de bétails de Tanghin, El Hadj Yacouba Sawadogo.

Le président du marché de bétails de Tanghin, El Hadj Yacouba Sawadogo

«Dans ce contexte d’insécurité ambiante, aucun étranger ne nous fréquente. Dans le temps, nous recevons des Ghanéens, des Ivoiriens, des Sénégalais qui venaient nous payer les animaux. Mais dans la psychose du terrorisme, ces exportateurs ne nous visitent plus. C’est seulement nos employés qui s’efforcent, par des aller-retours entre Ouagadougou et Abidjan, pour nous écouler les bétails», soutient le président Sawadogo.

Pour quelques rares commerçants qui se sont fait payer des bêtes au cours de la journée ou dans les jours passés, ceux-ci restent tout de même sceptiques sur des opportunités de ventes à venir.

«Il est midi et depuis 6 heures, j’ai eu un seul client et comme c’était mon premier client du jour, j’ai pas hésité. J’ai livré moins cher que le prix souhaité, malgré moi, et espérant en avoir d’autres», lamente le trentenaire, Kafando Boukari, vendeur de bétail au marché de Kilwin, autre quartier situé dans le nord de Ouagadougou. Il soutient que «pour avoir le bétail déjà, (ils ont) fait des déplacements à Léo, Fada et Pouytenga». «Des villes dans lesquelles pour y aller de nos jours, c’est un peu difficile», poursuit-il.

Dimitry Kaboré, ressortissant de l’arrondissement 9 et vendeur de bétails à Tanghin

«En comparaison aux années précédentes, le marché pour le moment ne s’annonce pas bon. On est calme parce que tous savent que cette année, c’est difficile chez les gens. Sur ce, nous souhaitons bon rétablissement à notre pays», lâche Dimitry Kaboré, ressortissant de l’arrondissement 9 et vendeur de bétails à Tanghin. Il fait savoir qu’ «actuellement il n’y a pas des animaux (moutons comme bœufs) car là où on est sensé les élever, personne n’y vit maintenant par manque de sécurité».

Dans son parc à bétail, sont gardés au moins 100 têtes de moutons et trois bœufs qu’il dit mettre en échantillon pour la clientèle. En termes de prix, selon M. Kaboré, les petits ruminants sont vendus entre 150 000 à 400 000 francs CFA. Quant aux bœufs, ils sont à 700 000 et 1 500 000 francs.

Par contre, sur le même marché et selon d’autres clientes, les prix du bétail à l’approche de la fête de Tabaski restent, quoi qu’on dise, plus ou moins abordables. «Nos commandes sont déjà prêtes.  Chaque année, nous prenons (achetons) 10, 15 ou 16 moutons. En termes de prix, cette année, c’est abordable. Seulement ça dépendra de la nature de la bête que l’on voudra. Des moutons dits mossi varient de 96 000 en allant, des Balibali venus du sahel, eux sont compris entre 60 000 et 250 000 francs CFA. Nous ne pensons pas qu’on peut ressortir de ce marché sans un animal correspondant à son pouvoir d’achat», déclare, de son côté, Rachid Kaboré, acheteur au marché de bétail de Kilwin.        

«Mon mouton le plus cher est de 300 000 francs CFA. Pour dire qu’il y a des bêtes en dessous de cette somme. Par exemple, dans ce marché, il y a des moutons de 250 000, de 150 000 et même de 100 000 francs CFA. Pour celui qui n’a pas assez d’argent pour se payer une bête, une fois ici, qu’il cherche à nous joindre», lance aux premières heures de la journée, le Président du marché de bétails de Tanghin, El Hadj Yacouba Sawadogo.

Marché de bétail de Tanghin à Ouagadougou

Aussi, au-delà des prix circonstanciels des moutons sur le marché, «nous prions et souhaitons que le Bon Dieu attribue la force à nos autorités de transition pour que désormais les marchés en dehors de Ouagadougou puissent être fréquentables. Dans le passé, nous allions à Djibo, à Fada, à Dori, à Yalgo, à Mané mais à présent, nous ne pouvons nous rendre qu’à Dori. Là encore dans des conditions fort regrettables», affirme le premier responsable des vendeurs au marché de bétail de Tanghin, M. Sawadogo. Celui-ci, dans un élan de solidarité, est également un donateur de bétails aux personnes déplacées internes de Pazzani et Kienfangué, des zones environnantes de la ville de Ouagadougou.

«Notre ultime souhait est que la patrie-mère puisse retrouver sa paix d’antan. Également, nous implorons Dieu de nous conduire bonnement dans la fête de Tabaski. Pour finir, que nos pèlerins à la Mecque nous reviennent sain et sauf», lance El Hadj Yacouba Sawadogo.

Par Lassané SAWADOGO (Stagiaire)