«Armée française, allez-vous en! Allez vous en de chez nous! Nous ne voulons plus d’indépendance sous haute surveillance». C’est comme s’ils se sont passés le mot, pour fredonner, ensemble, cet air du célèbre reggae-maker ivoirien, Alpha Blondy. Après les pays de la confédération de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), en l’occurrence, le Mali, le Burkina Faso et le Niger, c’est au tour du Tchad, où le président français, Emmanuel Macron, avait fait adouber le fils à la mort du père, qui met fin à l’accord de coopération avec Paris. Mahamat Idriss Deby aurait voulu faire un pied de nez à la France qu’il ne s’y prendrait pas autrement, car c’est seulement quelques heures après la visite, au Tchad, du ministre français en charge des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, que le communiqué de dénonciation de cet accord, a explosé dans le ciel, déjà quelque peu nuageux, des relations entre N’Djamena et Paris.
Certes l’effet de surprise d’une déclaration de cette portée a été grand. Cependant, il ne fallait pas être expert en diplomatie ou en politique extérieure des Etats, encore moins un liseur dans une boule de cristal, pour se rendre compte des yeux doux que se faisaient de plus en plus, l’ours russe et le bédouin tchadien. Et même si, selon le gouvernement tchadien, cette décision ne remet nullement en cause «les relations historiques et les liens d’amitié entre les deux nations», elle ne confirme pas moins le désamour entre les deux capitales. Et même si le Tchad a réitéré sa souveraineté, en signifiant que ce n’est point un moyen de sortir de cette relation pour entrer en couple avec un autre amoureux transi venu des montagnes sibériennes de l’Oural, c’est, sans aucun doute, une nouvelle ère qui s’instaure entre N’Djamena et Paris en matière de coopération. Difficile également de boire sans filtre, le discours de Mahamat Idriss Deby, qui justifie cette décision «mûrement réfléchie» par le fait que cet accord est devenu «obsolète».
Ce que Mahamat Idriss Deby a oublié de dire courageusement, c’est que le sentiment anti-français, certains parlent plutôt, à raison, de ressentiment contre la politique de Macron, est aujourd’hui la vague sur laquelle il est bon de surfer, surtout à la veille d’élections, comme les législatives qui s’annoncent pour bientôt au Tchad. Ce que Mahamat Idriss Deby a volontairement tu, c’est cette accusation venue de la France, selon laquelle, il aurait acheté des costumes à près d’un million d’euros, considérés comme des biens mal acquis. Ce que Mahamat Idrisse Deby n’a pas avoué, c’est que la tentation est trop forte d’exhiber la France comme bouc-émissaire de sa peine, de plus en plus révélée, à venir à bout des opposants, terroristes, rebelles et autres combattants de nébuleuses comme Boko-Haram. La France est parfois trop regardante sur les droits de l’homme, et ce n’est pas forcément la meilleure option pour mettre hors d’état de nuire les hommes sans foi ni loi, qui sèment larmes et désolation au quotidien!
Pourtant, chassées du Mali, du Burkina et du Niger, les troupes françaises qui ont trouvé gîte au Tchad, devraient apporter leur expertise à l’armée nationale dans la lutte contre les assaillants du pays. Mais la plus-value», selon les autorités tchadiennes, n’est pas au rendez-vous. Du reste, tout compte fait, le Tchad, a bel et bien le droit, en toute souveraineté, d’opérer le choix de ses partenaires, en fonction de ses besoins et de ses objectifs. Comme le disent les Ivoiriens, «on ne dure pas dans mauvais rêve».
Comme quoi, le «nouveau paradigme» des relations entre la France et les Africains risque d’être bien bousculé. Au Sénégal, qui vient de célébrer, ce 1er décembre, les 80 ans du massacre du camp de Thiaroye, où des «tirailleurs sénégalais» ont tués en masse par les militaires colons français, et pour qui il est demandé justice, le nouveau pouvoir de Bassirou Diomaye Faye, a, clairement, opté pour le départ de l’armée française du pays de la Teranga. En Côte d’Ivoire, le processus de mutation de la base militaire française de Port-Bouët, non loin de l’aéroport Félix Houphouët Boigny, avec une rétrocession progressive des lieux aux Forces armées de Côte d’Ivoire, se pose.
Les jours de la présence militaire française en Afrique semblent bien comptés, et ce serait, sans doute, tant mieux, et pour la France qui ne doit plus être fière de porter la peu flatteuse appellation d’armée d’occupation, et pour les Africains qui ne cessent de clamer leur souveraineté et une indépendance totale. Les Africains ne veulent plus sous-traiter leur sécurité, encore moins leur développement! Pourvu qu’un maître ne cède la place à un autre maître, qui se révélera plus féroce que celui qui a été chassé, et que le cycle de l’indépendance dans la dépendance ne recommence!
Par Wakat Séra