Juste Koumara Logobana, secrétaire général du Syndicat des travailleurs de l’action sociale au Burkina, estime que l’Etat burkinabè (SYNTAS) «est en train de rendre esclaves les enfants du pays», en ne donnant pas de «réponses favorables» à leurs revendications qui visent l’amélioration des conditions de travail. Il s’exprime ainsi dans un entretien accordé à Wakat Séra. Son syndicat est depuis ce 19 décembre 2017 matin en grève de 96 heures pour «fustiger l’attitude de mépris des autorités».
Wakat Séra: Qu’est-ce qui vous pousse à aller en grève pour la quatrième fois depuis 2016?
Juste Koumara Logobana: C’est vrai, nous sommes en débrayage à partir de ce matin pour aller jusqu’au 22 décembre 2017. Cette grève vise à protester contre le traitement qui est réservé à nos préoccupations et pour fustiger l’attitude de mépris vis-à-vis de nos préoccupations et de nos organisations.
Pouvez-vous revenir sur l’essentiel de vos revendications qui nécessitent des débrayages?
Il faut dire que l’essentiel des revendications qui nous amènent à ces 96 heures, sont les huit points de notre plateforme. C’est la énième fois que nous allons en mouvement pour ces huit points qui constituent notre plateforme minimale. La première fois c’était en décembre 2016, où nous avons débrayé pour 48 heures. Et c’était une grève d’avertissement. On avait prévenu l’autorité en son temps que si rien n’était fait de façon concrète en ce qui concerne nos préoccupations, nous allons monter le niveau de la protestation. Ensuite nous sommes arrivés au mois de juillet 2017 à une grève de 72 heures. En octobre 2017 nous sommes allés en grève de 96 heures et nous voilà en ce mois de décembre 2017 dans 96 heures de grève également. Face au mutisme du gouvernement en général et de notre autorité de tutelle, nous ne pouvons qu’accentuer la lutte.
Le dialogue est-il rompu entre vous et l’autorité?
Nous, on peut conclure que le dialogue est rompu parce que de façon concrète il n’y a pas de réponse dans le sens de nous satisfaire. Nous pensons que s’il faut se rencontrer chaque fois pour revenir sur ce qui a été conclu il y a une année, ce n’est vraiment pas la peine. Nous interpelons l’autorité sur la justesse et la légitimité de ces revendications qui ne sauraient passer sans solution. Du reste, l’autorité elle-même l’a reconnue. A travers la presse elle (autorité de tutelle) a dit que l’autorité avait conscience de la pertinence, la justesse et la légitimité de ces préoccupations et qu’un travail allait être fait pour permettre de trouver des solutions. Malheureusement nous sommes dans une situation de patinage où il n’y a rien de concret qui se profile. C’est pour ça que nous disons que nous ne voulons pas d’un dialogue creux, mais d’un dialogue qui porte des fruits.
Depuis décembre 2016 n’y a-t-il pas eu des points de revendication qui ont été satisfaits?
Notre plateforme est en huit points et nous les avons synthétisés depuis novembre 2016. Et ce sont les mêmes huit points qui font l’objet de la quatrième grève. Donc on ne peut pas dire qu’il y a eu une avancée sur certains points.
Quelle sera la prochaine étape après ces 96 heures de grève, s’il n’y a pas d’avancée?
Nous allons affûter nos stratégies. Et nous pensons que nous finirons par trouver le bon bout parce qu’à l’heure où nous parlons il n’y a que de la mauvaise volonté qui puisse justifier le fait qu’on ne peut pas répondre favorablement aux préoccupations qui sont soulevées. Nous pensons que ce n’est pas la mer à boire que nous demandons.
Il y a des questions de droit qui sont violées. Je prends le cas de la carrière des personnels des ex-garderies. Voilà des gens qui sont victimes d’une violation de loi. D’abord la Constitution est violée à ce niveau, le droit de travail a été aussi violé parce que ce sont des gens qui travaillent pour la plupart depuis 32 ans aujourd’hui et personne d’entre eux ne peut brandir la moindre preuve qu’elle travaille. Nous pensons qu’ici il y a une violation de loi qui est là et ce n’est pas normal. Je me rappelle que sur ce point c’est la troisième fois que le gouvernement a pris l’engagement de résoudre la question. Le dernier engagement donnait comme date butoir « avril 2017 » pour régler définitivement la question liée à la carrière de ces personnels, mais jusqu’à présent rien de concret ne se profile sauf que ce sont des inquiétudes qui nous sont servis. Je prends pour preuve les informations que nous avons eues lors de la dernière rencontre avec notre ministre. Ce sont des informations qui tendent à nous laisser comprendre que le contenu du dossier pourrait ne pas être le contenu que nous attendons parce qu’il a été tripatouillé et se retrouve à un niveau de décision et nous nous inquiétons. Nous n’avons pas le contenu de ce dossier et nous nous inquiétons de la suite.
Il y a également un droit acquis qui a été laminé. Il s’agit de l’indemnité spéciale et d’accueil servie aux travailleurs de l’Action sociale qui a été supprimée. Nous demandons son rétablissement et son élargissement parce que cette indemnité renvoie à une réalité professionnelle. Le gouvernement lui-même a reconnu la justesse et la pertinence de cette revendication et avait pris l’engagement de travailler à corriger cela. Nous demandons qu’on nous dote en moyen pour pouvoir travailler et être en phase avec notre mandat professionnel. Une bonne partie de notre travail est un travail de terrain or nous ne recevons pas de carburant, on effectue le travail comment ? Donc du coup, nous comprenons que ce n’est pas le travail qu’on nous demande mais c’est pour que nous soufrions notre misère en silence. C’est ce que nous refusons. Si rien n’est fait nous allons continuer à affûter nos armes et nos stratégies et comme je l’ai dit nous finirons par avoir gain de cause. Nous ne demandons pas la mer à boire au gouvernement, il devrait pouvoir régler les préoccupations.
Pensez-vous que vos revendications peuvent être résolues ici et maintenant?
Je prends le cas des nominations de complaisance qui sont contre-productives et qui font que le travail sur le terrain est grippé. Est-ce que annuler les nominations qui sont contre-productives pour permettre aux travailleurs et au travail d’avancer, n’est pas possible dans un laps de temps ? Est-ce que remplir l’engagement pris pour régler la question des carrières des gens c’est demander l’impossible ? Il y des agents qui sont décédés dans la misère et d’autres frappent à la porte de la mort, certains sont des malades grabataires. Est-ce que permettre aux gens de prêter serment pour être en phase avec leur mandat professionnel, ce n’est pas possible à régler ? Est-ce que élaborer et adopter un statut particulier pour permettre à deux entités spécifiques de travailler de concert, c’est de la mer à boire ? Nous pensons que ça, c’est de la mauvaise volonté et ce n’est pas normal. Est-ce que parmi tout ce que j’ai cité, il y a une question d’argent ? Le discours favori du gouvernement quand on pose un problème, c’est « il n’y a pas de moyen ». Nous, nous demandons à être beaucoup plus opérationnels sur le plan professionnel et on devait pouvoir nous écouter. Il y a de la violation de droit ici. Nous ne pouvons pas rester silencieux. Nous pensons que l’Etat est en train de rendre esclaves les enfants de ce pays et ce n’est pas normal, il faut corriger. Quel qu’en soit le prix il faut le régler. Je pense qu’en dehors de la mauvaise volonté qui nous est servie ici, rien ne peut justifier que nos huit points de revendication ne puissent pas connaitre de réponse favorable.
Par Daouda ZONGO