Il est maintenant le président légitime et légal d’un pays souverain. Vendangera-t-il cette souveraineté au profit d’une mise sous tutelle CEDEAO de la Gambie en insistant comme il le fait sur le maintien des troupes armées de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest, composées en majorité des soldats du Sénégal voisin ? Du reste, « le grand frère » sénégalais ne boudera pas ce plaisir de contrôler une Gambie qui constituait, au temps du règne sans partage de Yahya Jammey, un fort soutien, une base arrière pour les rebelles casamançais qui donnent toujours des nuits blanches à Dakar. Adama Barrow, qu’il le veuille ou non, n’est visiblement pas dans l’option de décapiter une armée aux couleurs très tribalistes, montées pièce par pièce par Yahya Jammey. De même, la réforme d’une administration gambienne restée 22 ans sous la coupe de l’ex homme fort de Banjul, ne sera pas chose aisée en ne peut se réaliser par un coup de baguette magique. Que dire d’un appareil judiciaire demeurée plus deux décennie aux ordres du fantasque ex-président de la Gambie ?
Un nouveau gouvernement. Un plan de développement de la Gambie nouvelle, par la santé, l’économie, les transports, l’éducation, la justice, la réforme d’une armée et de l’administration, etc. Un arsenal de balises pour promouvoir les droits humains et surtout la liberté d’expression. Ce sont autant de chantiers auxquels doit s’attaquer, sans perdre de temps, Adama Barrow qui ne connaîtra presque pas de répit. Après la liesse populaire qui a ponctué son retour, il lui faudra tout de suite enclencher la marche en avant qui permettra à la Gambie nouvelle de passer du simple slogan à la réalité. Et pour que ce projet gigantesque ne demeure vœux pieux et ne replonge le peuple gambien dans la désillusion, le nouveau président doit se départir des calculs politiciens pour rassembler large. Toute l’expertise, qu’elle soit locale ou extérieure doit pouvoir être mise à profit pour reconstruire la Gambie.
Dans cette logique, vouloir engager une chasse aux sorcières serait la voie la plus suicidaire pour le nouveau pouvoir, car cela relèverait de l’exploit de pouvoir trouver encore des cadres qui n’ont jamais flirté avec le régime Jammey. 22 ans, ce n’est pas 2 ans ! Ceux qui sont venus accueillir Adama Barrow à son retour en terre gambienne l’ont scandé, ils veulent une Gambie démocratique, une Gambie qui avance. C’est dire combien les attentes sont légion et surtout vives, même si la chasse à Jammey et ses affidés ne doit pas être la première des priorités. Une justice réorganisée et bien structurée se donnera cette tâche dans la continuité de la Gambie nouvelle, et un peuple qui aura mangé à sa faim se tournera naturellement vers la réconciliation nationale pour asseoir la paix et la cohésion sociale, gage de tout développement.
« Le président devra travailler dur, très dur », n’a pas manqué d’insiste un jeune commerçant au micro de Rfi. Du reste, les tee-shirt floqués « Gambia has decided », c’est-à-dire « la Gambie a décidé », dont ils étaient vêtus, sont la marque de la confiance que les Gambiens accordent à Adama Barrow. Mais le message est encore plus profond, car les Gambiens qui aspirent au changement n’accepteront plus de confier leur destin à quelqu’un qui leur fera encore porter une camisole de force. Les heures euphorisantes du « come back » d’Adama Barrow après plus de quarante jours de crise, succomberont très rapidement à la dure réalité d’une Gambie dépecée au sabre pendant 22 années de règne sans partage de Yahya Jammey. Des sacrifices seront sans doute nécessaires de la part des Gambiens qui les accepteront certainement mieux si tout le monde est soumis au même régime de pain sec. Dans cette Gambie nouvelle, la justice et l’équité doivent être les valeurs les mieux partagées. Le peuple, plus nombreux, ne doit plus serrer la ceinture afin que les dirigeants puissent porter des bretelles, comme l’a chanté, Zêdess, en son temps, « l’étalon de la musique burkinabè ».
Les 12 travaux de Barrow. Tel pourrait bien être le titre du prochain épisode du scénario du feuilleton Gambie qui continue de s’écrire dans une Gambie libérée de Yahya Jammey et désormais enserrée par le Sénégal.
Par Wakat Séra