Elle est cheffe de Division de la société civile et de l’innovation sociale à la Banque africaine de développement (BAD). Si son engagement pour la cause commune est reconnue et sa rigueur du travail saluée par nombre de ses proches et collaborateurs, ce qui fait courir actuellement cette charmante Africaine de nationalité burkinabè, c’est bien le bon fonctionnement de l’attelage BAD et Société civile au profit du développement du continent. Et c’est de cela que parle Zéneb Touré dans cet entretien qu’elle a accordé à votre quotidien en ligne Wakat Séra, quelques jours avant la tenue du Forum de la société civile qui aura lieu à Abidjan en Côte d’Ivoire, en principe, du 7 au 9 mai 2018
Wakat Séra: Que faut-il attendre de l’édition 2018 du Forum de la Société civile organisé par la Banque Africaine de Développement?
Zéneb Touré: C’est une manifestation inédite qui est cohérente par rapport à l’orientation de la BAD vers davantage de collaboration avec la société civile africaine. L’événement sera un creuset de dialogues féconds entre OSC, mouvements, associations, think tanks et décideurs publics et privés. Il y a un dynamisme du tissu associatif et civil africain qui se décline à travers une multitudes d’initiatives et de réalisations tendant à transformer qualitativement la vie des Africains. C’est ce bouillonnement intellectuel, entrepreneurial, citoyen, de Tunis à Johannesburg, de Ouagadougou à Kigali, de Dakar à Nairobi, etc.; que nous voulons ressentir pendant une journée à Abidjan dans des débats et des propositions. Nous attendons près de 200 délégués de toutes les régions du continent qui viendront partager leurs expériences et leurs idées dans un géant laboratoire citoyen que sera la Banque à partir du 7 mai.
Pourquoi cette rencontre a-t-elle été sortie des Assemblées annuelles de la BAD durant lesquelles elle se tenait?
Ce choix est consécutif à la consultation que nous avons lancée en 2016 et 2017 avec nos partenaires de la société civile africaine et au sein de la Banque. Celle-ci a révélé une attente massive relative à un renforcement du forum afin de lui donner davantage de crédibilité mais aussi d’espace de dialogue approfondi entre la banque et la société civile. À travers ce décrochage des Assemblées annuelles, le forum devient un rendez-vous à part entière qui prend en compte l’importance acquise par la société civile dans la définition, la mise en œuvre et l’évaluation des opérations de la Banque vis-à-vis des citoyens.
Est-ce une preuve de l’importance que cette société civile tient désormais dans les priorités de la BAD?
L’importance de la société civile n’est pas seulement appréhendée selon les priorités de la BAD, mais elle s’est imposée comme un élément essentiel dans la stratégie de développement sur le continent. Aujourd’hui, on ne peut penser le développement sans prendre en compte les organisations qui ont l’avantage de la proximité vis-à-vis de celles et ceux sur lesquelles s’exercent les politiques économiques et sociales.
Les organisations de la société civile, par leur agilité et leur capacité d’innovation, ont changé le rapport des populations aux gouvernants. Nous avons donc jugé important à la BAD d’être au cœur de cette société civile pour bénéficier de son inventivité et sa capacité de penser parfois en dehors des schémas classiques.
«Rôles et responsabilités des organisations de la société civile dans l’appui à l’accélération d’une industrialisation durable et inclusive en Afrique». Tel est le thème ce forum. Peut-on en savoir un peu plus?
Dans l’objectif du pilier «Industrialiser l’Afrique» de notre stratégie High 5, la société civile a un rôle majeur à jouer, de la phase de conception à celle de la mise en œuvre effective. Par le plaidoyer, l’intervention au plus près des bassins de vie et la posture d’avant-garde, elle se place au cœur des projets qui ont pour ambition de transformer la vie des populations africaines.
Mais son rôle est aussi de challenger les décideurs, d’orienter la prise de décision, faire le suivi de la mise en œuvre des politiques et programmes, et d’être une force de proposition par son expérience du terrain, sa flexibilité et son implantation au cœur de la vie citoyenne.
Qu’est-ce qui a guidé le choix de ce thème qui servira de pierre d’angle au Forum de cette année?
Comme vous le savez, malgré la croissance moyenne du PIB (Produit intérieur brut, NDLR) qui est passée d’un peu plus de 2% dans les années 80 et 90 à plus de 5% entre 2001 et 2014, l’Afrique n’a pu réussir la transformation structurelle de son économie vers la production, la création d’emplois décents, la réduction de la pauvreté et des inégalités. Nous sommes pour une majeure partie encore des économies extractives avec un faible potentiel d’exportation.
Le pilier «Industrialiser l’Afrique» de la stratégie, est une réponse au défi du doublement du PIB industriel de l’Afrique au cours des dix prochaines années, grâce au partenariat avec le secteur privé et les partenaires au développement.
Avec un investissement prévu de 3,5 milliards de dollars par an qui financeront six programmes phares visant la promotion de politiques industrielles réussies, le financement de projets d’infrastructure et d’industrie, le développement de marchés de capitaux liquides et efficaces, l’encouragement au développement des entreprises et des partenariats stratégiques et le développement de clusters industriels efficaces.
Nous échangerons de ses actions en prenant bien entendu compte des propositions et des critiques qui surgiront durant nos travaux. Nous attendons beaucoup des contributions des délégués de la société civile qui seront présents et des retours de tous les Africains car nos travaux seront suivis partout dans le monde grâce aux outils du web.
Quelle est la part de la Société civile dans la réalisation des 5 priorités de la BAD?
Dès l’entame de son mandat, le Président Adesina a fait le choix de renforcer le lien entre la BAD et la société civile. Nous sommes convaincus qu’elle aura un apport précieux dans la réalisation des projets prioritaires pour un développement efficace, inclusif et durable.
Nous tenons également à la transparence et la redevabilité dans les processus d’élaboration et d’implémentation des projets, avec une participation des populations bénéficiaires, et de ce point, la société civile africaine nous offre un éventail de solutions exemplaires et inspirantes que nous sommes ravis d’intégrer dans nos actions et nos procédures.
Qu’attendez-vous de la part de cette société civile dans la dynamique de développement du continent que porte la BAD?
Nous attendons d’elle des idées, des retours d’expériences de leur action quotidienne aux cotés des populations. La Banque s’est montrée très tôt ouverte aux dynamiques citoyennes dans nos pays; ce forum en est l’illustration. Mais aujourd’hui, il y a une place prépondérante que les organisations de la société civile ont prise, qui les positionne au cœur des transformations, mais également des crises que l’espace public africain traverse.
Nous ne pouvons pas porter des projets d’amélioration des conditions de vie des Africains tout en omettant de leur donner la parole, d’écouter ce que la jeunesse, les femmes du continent ont à nous dire. La société civile est au plus près des gens, et à ce titre elle a un rôle majeur à jouer aux côtés de la Banque en vue de nous aider à mieux ajuster, orienter et rendre davantage efficaces nos opérations.
Pourquoi la Banque Africaine de développement a-t-elle décidé d’associer la Société civile à ses activités?
Cette question rejoint celle que vous avez posée plus haut. La répétition ayant une vertu pédagogique, la réponse sera sensiblement la même.
Cette décision est liée à notre conviction que la société civile peut être d’un apport inestimable en travaillant avec nous pour arriver à plus de bien être des populations africaines. Lorsqu’on parle de développement inclusif, il est important d’avoir des relais proches de ces populations afin de mieux connaitre leurs aspirations et de ne laisser personne sur le bord de la route du progrès. Les organisations de la société civile constituent ces relais.
Cette décision est aussi liée à la préoccupation de la Banque d’accroitre son niveau de transparence envers le grand public. Pour cela, il faut des mécanismes innovants. La société civile étant au cœur des processus d’innovation sur le continent africain, le choix d’un partenariat plus accru nous a paru dès lors évident.
De quand date cette idylle entre la BAD et la Société civile?
Cette coopération date officiellement de la première réunion de consultation tenue avec des ONG à Abidjan, en 1990. De cette rencontre est née un document de stratégie, une série de procédures, de mécanismes et de directives pour poser le cadre de mise en œuvre.
En 2000, il y a une mise à jour de la stratégie en vue d’élargir à toute la société civile ce qui était jusque-là circonscrit aux seules ONG. Ces dix dernières années, de nombreux changements sont intervenus à la Banque qui a conçu et fait la promotion de nouveaux mécanismes et stratégies d’une meilleure intégration des aspirations des citoyens africains dans ses programmes.
Nous avons adopté un Cadre d’engagement avec les organisations de la société civile en 2012, qui est un outil de coopération renforcée avec les organisations de la société civile, en adéquation avec la Stratégie à long terme 2013-2022 intitulée: «soutenir la transformation de l’Afrique».
Depuis le début de cette aventure quel bilan succinct pouvez-vous en faire?
Nous en retenons un bilan satisfaisant qui nous pousse d’ailleurs à poursuivre dans la voie de la coopération. Comme vous l’imaginez, c’est la raison pour laquelle se tient ce Forum déconnecté des Assemblées annuelles, qui montre que nous en sommes à un palier supérieur de notre engagement auprès de la société civile.
Notre vision de la société africaine change au contact des acteurs du terrain qui ont une perspective et un point d’ancrage complémentaire aux nôtres. Nous pouvons donc mieux calibrer nos actions et les orienter dans le sens de plus d’efficacité et de pertinence.
Comment fonctionne cet attelage quand on sait que des institutions comme la BAD travaillent surtout avec les Etats?
Oui, nous sommes surtout en lien direct avec les Etats, mais notre orientation depuis 1990 prend fortement en compte la société et son potentiel majeur en termes de développement endogène et efficace. Nous avons au sein de l’institution un nouveau département Genre, Femmes et Société Civile, qui chapeaute une Division Société Civile et Engagement Communautaire (AHGC2) créée avec l’implication des organisations de la société civile.
Même si toute la Banque est concernée par notre orientation en faveur d’une meilleure coopération avec la société civile, cette Division qui est l’interface privilégié avec les organisations de la société civile, recueille leurs avis et observations et assure l’organisation de fora comme celui du 7 mai prochain.
Quels sont les critères qu’une organisation de la société civile doit réunir pour passer le tamis de la BAD? Quand on sait qu’en Afrique les OSC sont souvent des arrière-cours des politiques, la BAD dispose-t-elle de normes particulières pour ces organisations dont-on dit qu’elles-mêmes ont de la peine à se définir?
Nous voulons être le plus accessible possible à ces organisations. Selon la définition officielle de la Banque, la société civile recouvre un ensemble d’activités humaines et associatives qui s’opèrent dans la sphère publique en dehors du marché et de l’État. Elle est la libre expression des intérêts et aspirations de citoyens organisés et unis autour d’intérêts, d’objectifs, de valeurs ou de traditions, et mobilisés pour mener des actions collectives en tant que bénéficiaires ou parties prenantes au processus de développement. Toute organisation qui rentre dans cette définition est susceptible d’être partenaire de la BAD.
Propos recueillis par Morin YAMONGBE