Le Service d’information des Nations Unies et le Bureau de liaison de l’UNESCO à Genève ont organisé le 3 mai dernier, un panel pour célébrer la 25eJournée mondiale de la Liberté de la Presse. Ils ont convié des représentants de gouvernements, d’organisations internationales et de médias pour discuter sur le thème de la journée « Médias, justice et Etat de droit : Les contrepoids du pouvoir ».
« Liberté de presse et accès à l’information, le système judiciaire au service d’un journalisme libre et sécurisé, liberté d’expression et d’information en ligne et les risques liés à la réglementation » ont été parmi les sujets débattus au cours de ce panel.
S’il est établi que le droit à l’information est un droit humain qui doit être protégé par la loi et un pouvoir judiciaire indépendant, force est de reconnaitre que 25 ans après la proclamation de cette Journée mondiale de la liberté de la presse, le bâillon est toujours de rigueur dans de nombreux pays à travers le monde et les professionnels des médias font face à un danger croissant.
Deux jours seulement avant la célébration de cette 25e journée, dix journalistes afghans ont été tués et six autres grièvement blessés dans un attentat « délibérément ciblé », selon l’ONU. Plus de 40 journalistes ont été tués dans le monde depuis le 1er janvier 2018, soit près de 60% par rapport à la même période l’an dernier. Reporters Sans Frontières indique qu’avec 65 journalistes tués, l’année 2017 fut la plus meurtrière depuis 14 ans pour la profession. La probabilité est donc très grande que 2018 batte ce triste record. Et il faut savoir que 90% des crimes commis contre les journalistes sont restés impunis.
Cela a fait dire à Noel Curran, Directeur général de European Broadcasting Union et orateur principal du panel qu’« il y a davantage de revendication de la liberté de la presse que durant les 25 dernières années ». Et l’on note une montée de l’hostilité envers les médias, certains pouvoirs allant même jusqu’à qualifier les journalistes d’« ennemis du peuple ».
Haro sur les « Fake news »
Ce panel a également été l’occasion d’évoquer les nouveaux défis en matière de liberté de la presse, parmi lesquels, l’expansion des médias sociaux. Ils prennent une place de plus en plus importante, maitrisent l’audience, accaparent la publicité et menacent l’existence même de certains médias traditionnels. Les recettes des journaux, selon certaines sources auraient chuté de 60%. Mais le plus grave, c’est que ces réseaux sociaux, bien qu’étant des outils d’émancipation et d’ouverture, s’avèrent parfois des vecteurs de fausses nouvelles. Ces Fake news, qui répandent de la désinformation et des stéréotypes présentent parfois des risques de déstabilisation des institutions. Les panélistes étaient unanimes sur un fait : les démocraties doivent réagir et lutter contre la désinformation en ligne. Comment y parvenir et surtout sans attenter à la liberté d’expression ? Comment faire la part entre l’erreur qui est humaine et l’intention délibérée de nuire ? C’est le grand débat du moment.
Même si l’avenir de la liberté de la presse ne semble pas se présenter sous les meilleurs auspices, les professionnels des médias auraient tort de verser dans la fatalité. La liberté de la presse est loin d’être une cause perdue. Les organisations professionnelles de journalistes devraient continuer inlassablement à se battre pour le pluralisme des sources, convaincues comme la Directrice du Service d’informations des Nations Unies à Genève, Alessandra Vellucci, qu’« une caméra, un micro, un stylo peuvent ébranler des dictatures ».
Mathieu Bonkoungou
Ambassade Mission permanente du Burkina à Genève
Encadré
La Journée Mondiale de la liberté de la presse a été instituée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1993, deux ans après l’adoption de la Déclaration de Windhoek, à l’issue d’un séminaire pour le développement d’une presse africaine indépendante. Alain Modoux est l’organisateur de ce séminaire de Windhoek. Celui que l’on appelle aujourd’hui le « Père de la Journée de la liberté de la presse » était à l’époque Sous-Directeur général de l’UNESCO pour la liberté d’expression, la démocratie et la paix. Nous l’avons rencontré au panel organisé à Genève, le 3 mai dernier.
Alain Modoux : D’abord, je dois dire que si la Journée mondiale de la liberté de la presse existe, on le doit aux Africains. C’est grâce aux journalistes africains qui, en 1991 se sont réunis à Windhoek dans la capitale namibienne. Ils étaient une soixantaine et qui ont mis en somme sur la table, un certain nombre de principes permettant de définir les conditions nécessaires pour une presse libre, indépendante, pluraliste, et ça a été un formidable succès.
La déclaration de Windhoek est devenue après la déclaration de Santiago, la déclaration de Sanaa, la déclaration d’Alma Ata… Toutes les autres régions du monde ont repris exactement les termes définis par les Africains. L’Afrique peut être fière de ce qu’elle a fait à Windhoek parce que ce qu’elle a fait n’était pas seulement pour l’Afrique mais pour tout le reste du monde. A tel point que l’Ambassadeur du Niger à l’UNESCO, à l’époque, qui était président du Groupe africain avait dit que la Déclaration de Windhoek était la contribution de l’Afrique à l’édifice des Droits de l’Homme.
M B : Diriez-vous que la situation de la liberté de la presse est meilleure aujourd’hui qu’il y a 25 ans ?
Alain Modoux : Non ! Elle est pire. Elle est pire d’abord parce que le nombre de journalistes a beaucoup augmenté, donc il y a beaucoup plus d’opportunité dans le monde de frapper les journalistes, puisqu’ils sont plus nombreux. Et puis, deuxièmement, il n’y a pas qu’au niveau politique. Dans certains pays, les journalistes sont absolument sans protection contre le crime organisé. Et maintenant, la plupart des journalistes sont assassinés par la Mafia et des groupes criminels. On en est plus à l’époque ou un ministre africain dont je visitais le pays pour me soucier des journalistes qui étaient en prison, me disait : « M. Modoux ne vous faites pas trop de soucis. L’endroit le plus sur chez nous pour un journaliste, c’est la prison ». Je lui ai répondu : M. le Ministre, peut-être que ça s’applique pour votre président et ses ministres. Probablement, la prison est aussi l’endroit le plus sûr pour vous.