La fin du monde présenterait-elle pire visage? C’est l’interrogation que suscite en nous ce théâtre de désolation laissé par endroits par les intempéries diluviennes qui se sont abattues sur Abidjan tout dernièrement. Depuis le mardi, la capitale ivoirienne continue de compter ses morts. Une comptabilité macabre qui ne fait que monter, s’élevant désormais à une vingtaine de morts. Il faut y ajouter des dégâts matériels qui font presqu’autant pleurer que les pertes en vies humaines. Des populations ont tout perdu. L’eau et la boue ont tout ou presque tout détruit sur leur passage. Ces heures interminables et cauchemardesques de pluies ont fait la preuve que si l’eau c’est la vie, comme le dit l’adage, le précieux liquide peut être aussi la mort. Les inondations à l’origine du deuil qui frappe actuellement la Côte d’Ivoire laisseront des séquelles aussi indélébiles que celles provoquées par la longue guerre civile commencée en 2002 et le conflit post-électoral de 2010-2011. Comme cette période noire, l’eau n’a épargné aucune couche sociale. D’où la colère des populations, qui sont encore sous le choc d’un phénomène meurtrier qui ne leur est pas inconnu, la saison des pluies sur les bords de la lagune Ebrié constituant une véritable hantise, notamment pour les habitants des quartiers précaires.
Malheureusement, ces inondations sont trop facilement rangées au compte de la nature et continuent donc d’opérer, chaque année pratiquement, leurs ravages dans une Côte d’Ivoire qui ne tire pas leçons du passé. Les canalisations mal ou pas faites, où transformées en dépotoirs; des maisons ou plutôt des abris inconfortables, construites avec des matériaux de fortune; et surtout l’installation pérenne de populations dans des zones à risques, etc., font le lit aux catastrophes provoquées par la furie des eaux. C’est dire combien cette bêtise humaine, conjuguée avec les changements climatiques, dus aux effets de serre, peut être dévastatrice. Pire, tout se passe avec la bénédiction d’autorités mal inspirées craignant de perdre de l’électorat par la prise de mesures radicales. Dans un tout autre registre, comme dans ces nombreux marchés africains qui brûlent régulièrement à cause des installations anarchiques, les services municipaux ne se gênent pas de percevoir des taxes dans ces habitations où se disputent insalubrité, insécurité et menaces d’inondations. Si ce n’est de la complaisance de la part de l’Etat, c’est donc de la non-assistance à personnes en danger, ou simplement des crimes contre l’humanité! Les mots sont peut-être forts mais ils ne sont pas démesurés, car les maux auxquels sont confrontées les populations de par l’inertie feinte ou non des autorités, sont inacceptables.
Il faut le dire, Abidjan n’est pas la seule ville africaine sous la menace des eaux. Le Burkina Faso, après le fameux et horrible 1er septembre 2009 où des pluies torrentielles ont causé, entre autres, 9 pertes en vie humaines, 250 maisons détruites et une dizaine de ponts endommagés, et des milliers de sans-abris, pour la seule ville de Ouagadougou, la capitale burkinabè a enregistré, pas plus tard que la nuit du 31 mai au 1er juin derniers, plusieurs noyades après une grosse pluie. Les populations en colère avaient dénoncé les travaux inachevés d’un pont en construction. Ainsi va l’Afrique! Après les inondations et les morts d’Abidjan, un deuil national sera peut-être décrété, des cérémonies de dons fortement médiatisée mettront en valeur la générosité intéressée du président, des ministres et des députés, les familles des victimes verseront les larmes de tous leurs corps… Et on retournera encore aux vieilles et mauvaises habitudes qui provoqueront les mêmes inondations… Et bis repetita.
Par Wakat Séra