Cet écrit, du Docteur Serge Samandoulgou de l’Institut des Sciences des Sociétés (INSS/CNRST), à partir de la mise en relation entre l’éducation et la citoyenneté pose le problème du civisme en milieu scolaire. L’auteur tire la conclusion que « l’incivisme en milieu scolaire est le résultat d’une série de facteurs à la fois moraux, sociaux et politiques ».
Depuis quelques années, on assiste à une mutation des valeurs orchestrée par un regain de revalorisation des droits de l’enfant avec pour corollaire l’investissement du champ éducatif par une série de droits tous azimuts au risque d’affaiblir considérablement les ressorts de l’éducation. Si le progrès de la démocratie s’accompagne d’une prise en compte sérieuse du secteur éducatif, il peut constituer cependant un handicap à l’enseignement des valeurs par la trop place accordée à l’enfant avec parfois un droit de refus qui surplombe l’autorité parentale et administrative scolaire. L’élasticité même du concept de droits de l’enfant porte en lui, les germes de l’infécondité en matière d’éducation, car la trop grande place accordée à l’individu étouffe l’idée même de discipline.
Le rôle de l’Etat dans le processus de réinvention d’un système éducatif enserré dans le civisme impose que d’une part, le volet éducatif figure au panthéon des priorités et qu’il soit considéré en définitive comme la pierre angulaire de tout l’édifice socio politique de toute société. Au Burkina Faso, on assiste à une démission progressive de l’Etat du système éducatif alors même que la profusion des discours ne manque souligne l’impérieuse nécessiter de revaloriser le système éducatif national. Les déclarations d’intention sont rarement suivis d’effets réels et l’école reste à la traîne à cotés des autres oubliés comme les secteurs de la santé et de la sécurité. L’investissement du secteur éducatif par les acteurs du secteur privé entraîne un nivellement par le bas des valeurs qui se traduit par une montée générale de l’affairisme et du culte de l’argent au sein des établissements. Au risque de verser dans l’exagération, nous pouvons affirmer que l’enseignement privé à quelques égards mineurs fait le lit de la médiocrité au Burkina Faso. En effet, les recrutements tous azimuts motivés par la recherche du gain immédiat entraîne un dysfonctionnement administratif conjugué à l’absence de discipline avec pour corollaire une montée de l’incivisme dans de nombreux établissements. Il est de la responsabilité de l’Etat d’encadrer l’enseignement privé. Il n’existe presque pas de contrôle dans le privé alors que le secteur absorbe plus de 80% des élèves et étudiants dans les grandes villes comme Ouagadougou et Bobo Dioulasso. Réinscrire le civisme en milieu scolaire nécessite un environnement d’apprentissage serein assorti d’un contrôle permanent des programmes exécutés, et du suivi de la discipline au sein des établissements. C’est après satisfaction de cette double exigence que l’idée d’un environnement scolaire, berceau de la citoyenneté et du civisme devient concevable. L’éducation au civisme pourrait se faire sous des formes de modules « Ethique et société », « civisme et patriotisme », « éthique de la relation ». Ces modules peuvent légitimement être étendus à l’enseignement supérieur, étant entendu que le problème de l’incivisme se pose à toutes les couches du système éducatif burkinabè. Le civisme en milieu scolaire et universitaire n’est rien d’autre que l’apprentissage de la démocratie à l’état cellulaire. L’école est donc un canal prometteur pour l’ancrage démocratique de toute société.
Par ailleurs, Il est de nos jours admis que de nombreux parents ne remplissent pas suffisamment leur responsabilité parentale en matière d’éducation. En effet, le coût de la vie et les soucis d’ordre matériel hantent de nombreux parents occupés à la course au gain qu’à l’éducation des enfants. Du coup, l’éducation devient une préoccupation de second plan, avec pour résultats des enfants laissés à eux-mêmes. On pourrait reconnaitre que pour certains parents, l’école est même devenue un exutoire leur permettant de se détourner de leurs obligations. La montée de l’incivisme dans le milieu scolaire est révélatrice de l’effritement et de la dispersion de la famille. Les familles sont en crise et c’est l’idée même du vivre- ensemble qui se trouve ici compromise. Comment restaurer le civisme en milieu scolaire ?
Tout d’abord, il n’est plus à démontrer que le manque ou l’insuffisance de communication affaiblit considérablement la vie en groupe. L’école est un champ relationnel très vaste comprenant à la fois les élèves les enseignants et le personnel administratif entre autres. Ce champ de relations demande à fonctionner par l’exercice de la communication et du dialogue. Dans ce sens, il est impératif que des cadres de discussions puissent exister. Les enseignants doivent aider les élèves à intégrer l’idée que l’école prépare l’exercice efficace de citoyenneté par l’incitation au respect des lois et règlements qui encadrent la vie à l’école. Les enseignants et le personnel administratif devraient donner l’exemple en matière de dialogue et de tolérance vis-à-vis des élèves. Il ne s’agit pas de tolérer l’indiscipline, mais de créer un climat d’écoute qui permet de mieux cerner certains problèmes vécus par les élèves et qui par ricochet, peuvent engendrer une atmosphère de tension. Donner la parole à l’autre, c’est le reconnaître dans sa qualité d’homme, et partant, de son droit à l’expression. Etouffer la liberté de parole, c’est ouvrir la voie à des manœuvres violentes. Les pratiques citoyennes s’enracinent dans un processus d’apprentissage dont l’école en est assurément l’instrument d’appréciation. L’environnement scolaire exige dans son fonctionnement à la fois une somme de renoncements et de compromis chez l’élève qui se traduit par le respect de la discipline et de l’altérité, prémices d’une citoyenneté réussie et épanouie.
Aussi faut-il l’importance de la citoyenneté par l’exemple. En effet, les enfants sont des fins imitateurs du moindre de nos actes. En effet, les insultes, les bagarres, les provocations de toutes sortes sont transmises à l’enfant dans son milieu de vie. Cela voudrait dire dans le même temps que l’exemple est le meilleur enseignement que l’on puisse donner à autrui. Si la philosophie dans son acception classique se conçoit également comme un art de vivre dans la sagesse, c’est parce que d’abord la sagesse est un comportement et non simplement un discours.
L’incivisme en milieu scolaire est le résultat d’une série de facteurs à la fois moraux, sociaux et politiques. La revalorisation de cette triple dimension de la vie humaine est déterminante pour un renouveau éducatif national. Le desserrement de la morale en l’occurrence associée à la crise de l’autorité a porté un coup sévère à la qualité de notre système éducatif. Le triomphe de l’individualisme associé à une certaine ivresse démocratique a rendu l’éducation molle.
Bibliographie
Audigier, F. L’éducation à la citoyenneté aux prises avec la forme scolaire. In Y. Lenoir, C. Xypas Audigier, F. & Bottani, N. ed. (2002).
Coq, G. La démocratie rend-elle l’éducation impossible ? Paris, éditions Parole et silence, 1999.
Isambert-Jamati, V. L’éducation civique dans les collèges., Seuil, (2001).
Meirieu, P. Le choix d’éduquer, Paris, ESF éditeur, 1991.
Meirieu, P. Faire l’école, faire la classe, Paris, ESF éditeur, 2004.
Montandon, C. & Maulini L’élève humilié. L’école un espace de non-droit ? Paris : PUF, ed. (2005).
Rapport des travaux 2008 du Réseau Ouest et Centre Africain de Recherche en Education (ROCARE