Accueil L'ENTRETIEN Réhabilitation des anciens combattants: « Je porte seul La dernière carte» Warren Saré (photographe)

Réhabilitation des anciens combattants: « Je porte seul La dernière carte» Warren Saré (photographe)

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Warren Saré, photographe professionnel burkinabè

Le président du Centre photographique de Ouagadougou (CPO) crée en 2010, Warren Saré, par ailleurs président des Réseaux africains de la photographie créative, a déclaré dans une interview accordée à Wakat Séra qu’il « porte seul depuis 14 ans » son projet dénommé « La dernière carte » qui vise à réhabiliter les anciens combattants et à pérenniser leur mémoire pour les générations actuelles et futures.

Comment Warren Boureima Saré est-il venu  à la photographie ?

J’ai intégré la photographie depuis l’enfance. Tout petit comme tous les enfants du village en son temps à Béguédo, j’ai découvert la photo à l’âge de 13 ans dans le marché de mon village pendant que je vendais des pagnes et des plats aux femmes, les jours de marché. Et c’est ainsi que j’ai connu un monsieur qu’on appelait Boukaré, un photographe de Tenkodogo qui n’est plus de ce monde, qui venait tous les jours de marché pour faire des photos dans mon village à Béguédo. Tellement que j’admirais ce qu’il faisait, à un moment donné je n’arrivais même plus à vendre mes articles puisque je passais la plupart de mon temps à le contempler dans sa façon de travailler.

C’est comme ça qu’un jour je lui ai demandé de m’apprendre à faire la photo et il a refusé, prétextant qu’il aurait à me payer en tant qu’apprenti. Alors, un jour, un élément de son décor, un tissu bleu, lui servant pour ses prises de vue est tombé et je l’ai aidé à l’attraper. C’est comme ça qu’a commencé mon apprentissage pour la photographie. En ce moment j’avais 13 ans toujours. Mais j’ai fait seulement un an et demi avec M. Boukari avec qui je n’ai pas pu continuer à la suite d’un différend qui nous a opposé.

Alors cela vous a conduit à Ouagadougou et à Abidjan, racontez-nous ces aventures ?

J’ai migré à Ouaga alors que je ne connaissais personne dans la ville. Il fallait alors faire les petits métiers. J’ai été entre autres vigile, boy de maison qui faisait toutes les petites tâches (ménage, nettoyage de la maison et de la cour, lessive, blanchisserie, jardinier…). J’ai par la suite poussé les barriques d’eau que je vendais à des habitants du quartier Wayalghin (Est Ouagadougou). J’ai fait ces travaux pendant un an et demi. Ensuite, je me suis dit que ce n’est pas ce que je voulais faire. Ce qui me passionnait vraiment, c’était la photographie. C’est ainsi qu’après de multiples renseignements j’ai su que j’avais un oncle, Solo Bara, qui résidait à la cité an III (Centre-Nord de Ouagadougou) qui avait même un studio de photographie comme ce que je voulais. J’ai été pendant un bon moment apprenti photographe là-bas aussi avant de migrer en 1987 en Côte d’Ivoire dans le but de pouvoir m’acquérir mon propre appareil de photographie.

C’est ainsi que je me suis rendu à Abidjan où j’ai fait de petits métiers comme vendre des sachets plastiques, gardiennage, … et cela m’a obligé par deux fois à être victime des braqueurs. C’est vu ces dures réalités auxquelles j’ai été confronté que j’ai décidé de rentrer au bercail. Quand j’ai décidé de revenir à Ouagadougou, un de mes oncles qui m’avait accueilli n’était pas d’accord et on ne s’est pas entendus. Donc en venant au Burkina, je n’avais que 9.000 francs CFA ayant servi pour mon transport pour le retour. Et avec les tracasseries routières, je suis rentré à Ouagadougou avec seulement 1 000 FCFA. Une fois arrivé à Ouagadougou, j’étais dans la même galère. Ce qui m’a obligé à aller souvent aider une vendeuse de riz qui se nommait Anne. J’aidais cette restauratrice à laver ses plats sans même qu’elle ne me le demande et souvent aussi je vendais du café dans le quartier Wayalghin. Ce qui me permettait d’avoir au moins à manger.

Dans quelle condition avez-vous eu votre tout premier appareil photo ?       

Mon tout premier appareil photo, je l’ai eu après avoir rencontré un monsieur qui était vraiment très gentil avec moi. Ce monsieur qui n’est autre que Jean Baptiste Natama (ex-candidat à la présidentielle de 2015 et décédé le 18 mars dernier), était comme un grand frère pour moi. On s’est rencontrés chez la famille de Georges Marshall (ex-secrétaire exécutif de l’Union nationale des supporters des Etalons, UNSE) et il m’a amené chez lui. Et comme il avait un appareil, je prenais ça de temps à temps pour faire des photos. C’est ainsi qu’il a remarqué que j’avais la passion pour la photographie et il m’a dit de garder l’appareil. Voilà comment j’ai eu mon premier appareil en 1989.

Mais, ce n’est qu’en 1996 que j’ai obtenu mon premier appareil professionnel avec un expatrié français. J’ai eu cet appareil que j’ai attendu longtemps par l’amour de la photographie. Ce monsieur qui était le président des PME et PMI de la France dans les années 1985, avait construit une école dans un village (situé à l’Est du Burkina) qu’on appelle Bah. Et donc à l’inauguration de cette école, on voulait un cameraman pour aller filmer et faire des prises mais les moyens faisant défaut, ils voulaient un bénévole. Je me suis proposé pour aller les aider parce que je me suis dit que si lui qui est blanc a pu venir construire une école, je pouvais aussi mettre mon savoir en contribution. Alors je les ai suivis trois jours et il a vu comment j’ai travaillé. Avec la seule camera j’ai pu réaliser plusieurs prises sous plusieurs angles. Tantôt je suis dans l’arbre, tantôt je suis sur les motos des policiers, souvent même sur des chameaux, et donc j’ai fait toute sorte d’images.

Alors à la fin, étant content de mon travail, il m’a appelé et m’a demandé si je voulais aller en France avec lui ou si je voulais quelque chose d’autre comme un cadeau. Mais comme je n’ai jamais rêvé aller en immigration, j’ai demandé qu’il m’achète un appareil photo professionnel. Et c’est comme ça qu’il m’a acheté un appareil photo de la marque Olympus avec un objectif de 28/200 qui a coûté 600 000 FCFA en 1996.

Après cette aventure, vous qui êtes autodidacte avez voulu jouer dans la cour des grands en vous lançant à la trousse de Chantal Compaoré, l’épouse de l’ex-président Blaise Compaoré. Dites-nous comment vous vous êtes rencontrés ?

J’ai commencé à parcourir les grandes cérémonies pour faire des photos des personnalités dont la première dame de l’époque, Chantal Compaoré. Alors j’essayais de lui apporter les photos mais les gardes présidentiels m’ont à maintes reprises rejeté. Alors un jour, j’ai pu la rencontrer à la porte de Kosyam (le palais présidentiel), et c’est comme ça que ma carrière professionnelle a véritablement commencé puisque j’étais devenu l’un de ses meilleurs photographes. Le président Blaise Compaoré m’a acheté alors en 2008 un appareil de deux millions FCFA mais c’est en 2011 que j’ai eu un autre vrai appareil professionnel qui a coûté cinq millions francs CFA. Hormis cela j’avais organisé une exposition au Goethe Institut (en face de l’université Joseph Ki-Zerbo à Ouagadougou) qui m’a permis de payer un autre appareil photo que j’ai offert à un de mes collègues, François Ouédraogo qui était aussi un bon photographe mais n’avait pas d’appareil.

Mais en ce moment où je vous parle-là je n’ai plus d’appareil. Mon appareil de cinq millions est tombé en panne parce qu’avec le climat, la poussière et d’autres facteurs, l’usure a eu raison de l’appareil. J’ai donné à réparer en France mais jusqu’à présent je n’ai plus des nouvelles de celui à qui j’ai remis la machine, ni celles de l’appareil photo. Ce qui fait qu’actuellement je suis obligé de travailler avec les appareils de certains collègues.

Quels conseils avez-vous à prodiguer aux jeunes photographes qui veulent en faire leur profession ou autrement dit, y a-t-il un environnement qui prédispose à être un grand photographe ?

Je dirai aux jeunes même ceux avec qui je partage mon expérience dans le cadre des activités du centre (CPO), que ce n’est pas les centres qui vont faire de toi un grand photographe mais ton talent personnel, ta façon de percevoir les choses. Pour moi, il faut d’abord sentir le besoin d’être photographe. Il ne faut pas venir dans la photographie parce qu’il y a des cérémonies telles les mariages et les baptêmes pour chercher de l’argent. Non ! Il faut venir dans la photographie parce que tu en as l’amour et la passion. De nos jours, beaucoup de jeunes viennent dans la photographie parce qu’ils pensent que c’est le métier le plus facile. La photographie pour moi est comme le journalisme, l’écriture, le cinéma, les arts du spectacle (théâtre ou cinéma), qui sont des domaines par excellence de la propriété des élites. C’est comme ça que moi je considère le métier de la photographie. Il ne faut pas venir dans ce domaine parce qu’on veut s’enrichir, avoir de belles voitures, de belles maisons, etc. Pour moi, la photographie me permet d’être en permanence en contact physique avec les gens et c’est ce que j’aime.

L’environnement pour moi c’est de faire des efforts pour aller apprendre. Il ne faut pas avoir honte de demander ce qu’on ne connait pas. Il faut être attentif à l’actualité qui se passe autour de la photographie. S’il y a une exposition au pays et même hors, il faut mettre les moyens pour pouvoir aller visiter. C’est là où on apprend et c’est là qu’on a l’inspiration.

D’où avez-vous eu l’idée de faire des photos d’anciens combattants ?

L’idée m’est venue de mon grand-père, Amado Saré, qui n’est plus de ce monde. En 2005 de retour de Bamako où j’ai participé à la biennale de la photographie, je me suis rendu au village dans l’objectif de voir mon grand-père pour qu’il m’explique l’histoire de notre village, d’où nous venons ? Qui est Warren ? Qui sont les Saré qui sont à Béguédo où la majorité c’est des Bara. Donc quand il a commencé à raconter notre histoire, celle des anciens combattants revenait en permanence, et lui-même bien vrai que n’étant pas dans l’armée. Donc c’est là qu’il a expliqué qu’il y a une guerre entre les colons et la communauté musulmane à Bobo-Dioulasso (la capitale économique du Burkina) et qui s’est déportée jusqu’à chez nous. C’est à partir de cette histoire que je me suis dit tient, voilà, j’ai trouvé ma démarche photographique. Et donc depuis ce jour, je m’investis à demander aux gens de bouche à oreille pour aller dans les petits villages à la rencontre des anciens combattants.

Parlez-nous justement de votre projet la « La dernière carte » 

« La dernière carte » est un projet à long terme qui a démarré en 2005, donc 14 ans. Ce projet je ne veux pas le loger dans les revendications, mais c’est tout comme. La dernière carte est un projet qui porte sur les anciens combattants ou tirailleurs sénégalais comme on les appelle communément à travers lequel j’essaie de savoir ce que deviennent ces personnes ressources de nos jours. Ce projet vise à rappeler à tout un chacun qu’il y a eu un moment ou des africains ont sacrifié leurs vies pour que la France (notre pays colonisateur) soit libre. Donc ce projet vise à interpeller surtout les dirigeants pour dire que nous ne souhaiterions pas que ces guerres dans le monde reviennent et qu’on oblige encore nos parents innocemment à aller combattre dans des guerres qui ne sont pas les leurs parce qu’aujourd’hui, beaucoup d’anciens combattants que j’ai rencontrés au Burkina, Niger, Bénin, Sénégal et France, regrettent. J’ai même rencontré des anciens combattants français qui louent la combativité de nos parents, leur efficacité et leur apport pour la France, et ils ont accepté témoigner en leur faveur dans ce livre qui va sortir si tout va bien en 2019. Ce livre je tiens à le souligner sera accompagné d’une vidéo.

Alors, on sait que réaliser un tel projet ce n’est pas une chose aisée, avez-vous pu mobiliser les ressources pour la dernière carte ?

Comme je vous l’ai dit, depuis 14 ans je porte seul ce combat. Ce projet, je l’ai évalué à environ 50 millions de francs CFA mais pour le moment j’ai investi environ neuf millions que j’ai dépensés personnellement. Mais si j’attendais les finances avant de démarrer, quinze ans aujourd’hui, cela veut dire que je n’allais pas photographier même un seul ancien combattant. Pour le moment je n’ai pas d’annonce de financement alors que j’ai même déposé des demandes d’accompagnement auprès de nos institutions républicaines dont la présidence et le ministère de la Défense qui est le ministère de tutelle des anciens combattants.

A leur niveau, cela fait deux fois que j’ai déposé mais je n’ai jamais eu de réponse. Même une simple lettre de remerciements je n’ai pas eu. Au ministère de la Culture où j’ai écrit aussi, eux ils ont toujours répondu par des félicitations de ce que je fais pour la photographie burkinabè. Mais je préfère quand on me répond de cette manière car ça me soulage. Quant aux demandes sans réponse, je peux dire qu’elles m’ont aidé à me battre pour réussir mon projet. Cela me motive et me donne beaucoup de force pour relever ce gros défi qu’est la réalisation de mon projet. Mais actuellement avec ma condition professionnelle, je n’ai plus d’activité et là j’ai besoin vraiment d’accompagnement.

Aucune structure publique ou privée ne m’accompagne. C’est à travers mon centre que je cherche les financements mais je n’ai pas encore eu de répondant. C’est en 2017 que la Manufacture burkinabè de la cigarette (MABUCIG) par l’entremise de son responsable, monsieur Lassiné Diawara m’a accompagné deux fois en supportant le coût du billet pour aller faire des recherches à Paris. En dehors de cela je peux aussi noter que j’ai séjourné un mois à Cotonou dans une villa qu’une Belge m’a offert et même ajouté de l’argent pour mes petites dépenses.

N’avez-vous pas visé des institutions internationales pour demander de l’accompagnement ?

En France j’ai déposé une demande d’accompagnement mais je suis toujours en attente. A l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), j’ai déposé mais ils disent qu’ils n’ont pas d’argent pour accompagner ces genres de projets mais ils disent vouloir voir plus tard ce qui est faisable pour moi. Toutes mes économies ont été prises pour être investies dans la photographie des anciens combattants. La mission que je me suis assignée, c’est de pouvoir rendre ces anciens combattants visibles. Ma villa que je peux montrer à quelqu’un aujourd’hui c’est le travail. Je voudrais par mon travail qu’on puisse dire que grâce à Warren l’histoire de ces anciens combattants ne mourra jamais.

Alors cela fait quatorze ans que vous peaufinez ce projet, au jour d’aujourd’hui qu’est-ce qui a été fait exactement ?

En 2013, j’ai organisé une exposition à Bruxelles lors d’un projet dénommé « Regards croisés » où mes photos ont été l’objet de vernissage lors de ce festival. Le 24 octobre 2014, j’ai fait une exposition photo à l’Institut français de Ouagadougou. En mars 2017, j’ai été invité à une exposition à Angoulême lors d’un festival où j’ai exposé les photos des anciens combattants pendant un mois. Au cours de ce périple j’ai profité rencontrer des anciens combattants français qui connaissaient biens nos parents auprès de qui ils ont combattu et dont ils louent la bravoure et le courage.

Comment gagnez-vous les contacts des anciens combattants que vous interrogez ?

Je gagne les contacts de bouche à oreille. Quand je pars à l’étranger, je me sers de mon réseau de photographes, c’est petit à petit que je fais la recherche. Il y a des structures habilitées mais il y a des anciens combattants qui n’ont pas de prises en charge, et donc naturellement ne sont pas connus par ces structures et le bureau des anciens combattants. Or pour moi, ceux-là sont beaucoup plus intéressants que ceux qui ont la pension et qui sont à l’aise, et donc n’ont rien à avoir avec mon projet de recherche qui vise vraiment les oubliés. Mon souci actuellement à ce niveau est que, vu le temps et les années qui passent, beaucoup d’anciens combattants sont en train de quitter ce monde, emportant avec leur immense expérience. Et donc ce qui m’oblige maintenant à me confier à des structures étatiques à qui j’explique mon projet pour avoir des contacts.

Décrivez-nous les conditions que vivent les anciens combattants que vous rencontrez ?

En tout cas on ne peut pas dire que la vie leur sourit même si certains avec l’augmentation que Nicolas Sarkozy (l’ex-président français) avait fait a amélioré leurs conditions de vies. Mais d’autres n’ont même pas cette information et continuent de vivre le calvaire. J’ai rencontré un combattant béninois qui était même un artiste musicien et jouait pour l’armée française. Mais aujourd’hui, ce vieux-là est mis aux oubliettes. Et tellement qu’il est content du projet que je porte, il a enlevé son instrument musical et a joué pour moi en me disant mon fils : « Tu vas me faire vivre encore longtemps. Tu as prolongé ma vie parce quand je joue la musique, je redeviens encore plus jeune ». Tous ceux que j’ai rencontré, je garde un lien fort avec eux et c’est la seule chose qui m’encourage et me pousse à aller jusqu’au bout. Ils m’acceptent et m’intègrent facilement comme un membre de la famille. Il y a certains même qui tuent des poulets pour m’accueillir pour l’occasion.

Il y en a qui pense que j’ai apporté la solution. Quand ils s’ouvrent à moi je les écoute avec beaucoup d’attention car cela est très important avant de leur dire à la fin que je ne suis qu’un simple photographe. Mon travail est de pouvoir produire un mémoire pour les générations futures. C’est de faire en sorte qu’après notre mort, que notre histoire reste vivante pour toujours. Il y en a même qui pleurent de joie. Malgré  le fait que je n’aie rien, je donne souvent de l’argent pour acheter tel ou tel chose pour soulager leur peine vitale. Quand je pars à leur rencontre je ne dure pas parce que j’ai envie de vider tout ce qu’il y a dans ma poche. Aujourd’hui, je ne peux pas comprendre que chaque 18 mai de l’année, la France célèbre la journée de la guerre mondiale et qu’ici au Burkina, il n’y a rien qui est dédié à nos parents. Même si la France d’aujourd’hui veut les oublier parce qu’elle les a peu connus, est-ce que les fils et petits-fils des anciens combattants qui sont aujourd’hui des supérieurs dans l’armée ou dans les autres sphères de décision au pouvoir, peuvent les oublier ? Je dis non ! Nos autorités dans les pays africains ont le devoir de ne pas laisser mourir l’histoire de ces personnes si riches en sagesse. Nos historiens qui sont dans les grandes universités ont le devoir de ne pas laisser mourir l’histoire de ces anciens combattants-là.

Sentez-vous le retour du travail bien fait avec le projet que vous portez ? Les populations africaines portent-elles de l’intérêt à votre œuvre ?

En tout cas je reçois des félicitations de la jeune génération parce que beaucoup de jeunes surtout dans mon quartier connaissent mon travail et m’aident même dans la retranscription. Il y a aussi des officiers qui me félicitent. La plupart des ministères de la Défense que ce soit ici ou ailleurs en France, sont au courant de mon travail, m’encouragent mais je ne sens pas l’intérêt surtout de la hiérarchie militaire. Je me dis que peut-être mon handicap, c’est d’être un autodidacte venu de nulle part pour porter un tel projet qui est très élitiste et devait être porté par des chercheurs d’université or ils n’ont pas cette idée. Ce qui fait que je me sens seul dans ce combat. En 2015 j’ai organisé une journée en hommage aux anciens combattants à Bobo-Dioulasso. Au cours de cet évènement, j’ai fait un petit déjeuner et encadré des photos que je leur ai offert  comme cadeau. Mais pour moi, l’Etat doit faire beaucoup mieux que ça. On devait essayer depuis longtemps d’intégrer ces anciens combattants au niveau de l’armée ne serait-ce que pour qu’ils servent souvent de Conseillers aux jeunes soldats avec qui ils vont partager leurs expériences. On pouvait utiliser ces gens-là qui ont fait la guerre en Algérie, en Indochine ou la seconde guerre mondiale, qui ont une expérience de terrain et de sagesse dans nos casernes lors des formations. L’armée peut organiser des conférences avec ces anciens combattants et les jeunes vont beaucoup apprendre.

Quand je demande aux anciens combattants aujourd’hui s’il y a des militaires au Burkina, ils me disent qu’il n’y en a pas car de nombreux hommes de tenue se comportent comme des commerçants. Selon eux, les jeunes soldats viennent dans l’armée pour l’argent et non pour la patrie. Ils disent de ne regarder rien que les motos avec lesquelles les jeunes militaires circulent or peut-être même que dans leur famille, il n’y a pas à manger. Une relation intergénérationnelle aiderait les jeunes à mieux préparer leur vie militaire. Mais au lieu de ça, on les a oubliés (les anciens combattants). Ceux qui parlent beaucoup on dit d’eux que ce sont des fous. Donc je trouve ça dommage et je pense que ce côté-là l’armée a raté et doit se rattraper pour corriger cet état de fait.

Par Bernard BOUGOUM