L’armistice de 1918, signé le 11 novembre 1918 à 5h15, marque la fin des combats de la Première Guerre mondiale. Ainsi est commémorée à cette date, la victoire des Alliés et la défaite totale de l’Allemagne, selon les faits historiques qui précisent tout de même que ce ne fut pas de la capitulation. Au titre des symboles de cette fin de guerre figure en bonne place, le monument de l’armée noire. C’est depuis 2013 que le bronze a été érigé dans le parc de Champagne, à Reims, dans l’est de la France. Demeuré dans l’anonymat jusqu’au mardi 6 novembre 2018, date à laquelle il a été inauguré par le président français Emmanuel Macron et son homologue malien Ibrahim Boubacar Keïta. Une fois de plus, la France célèbre ainsi la mémoire des braves «tirailleurs sénégalais» tombés sur le champ de bataille, et non pas dans un parc de Champagne où ce dresse l’infrastructure, au cours de la Première Guerre mondiale. Un siècle après l’armistice de 2018, l’esprit des soldats des troupes coloniales africaines qui ont, au prix de leur sang versé, combattu aux côtés, pour ne pas dire aux avant-postes des offensives meurtrières, continue de hanter les bords de la Seine.
Car les «tirailleurs sénégalais» n’étaient pas venus que de Gorée ou de Dakar. Ce sont tous ces soldats africains embarqués en masse du Mali, de la Côte d’Ivoire, de la Haute Volta (aujourd’hui Burkina Faso), du Dahomey (aujourd’hui Bénin), etc., et déversés au front d’où la plupart ne reviendra jamais, ayant souvent servi de chair à canon. Mal équipés, mais animés du seul courage et de l’intrépide volonté de sauver la France et ses alliés, ils n’ont pas marchandé leur «patriotisme», encore moins leur vie. Un monument, qu’il soit élevé en France et ait son frère jumeau au Mali, suffit-il réellement à honorer la bravoure et le sacrifice de ces «tirailleurs», mot dont le découpage littéral ne leur fait, du reste, pas honneur, car pouvant signifier qu’ils ne touchaient pas leurs cibles? Non, ils méritent mieux car ils ont bel et bien tiré ailleurs, loin de leur Afrique natale que la majorité ne rejoindra pas car tués comme des mouches lors de cette guerre qui a fait, selon les statistiques macabres le plus grand nombre de morts. Ils ont tiré ailleurs, non pas forcément pour défendre leurs familles et leurs biens, mais pour défendre une cause à laquelle ils ne comprenaient rien.
Ils ont tiré ailleurs parce que le colonisateur a trouvé des hommes que les gris-gris et autres amulettes, selon leurs croyances, rendaient invincibles. On devait plutôt les appeler «tués ailleurs» pour que leurs descendants sachent qu’ils ont accepté le sacrifice suprême par devoir et pas parce qu’ils étaient attirés par le mieux-vivre que les Africains vont chercher, de plus en plus en vain d’ailleurs, en Europe. Ils sont ainsi rentrés dans l’histoire par la grande porte de l’honneur, contrairement aux déclarations de l’autre, alors qu’il était président, a affirmé avec fermeté que l’homme noir n’y est pas assez entré. Nicolas Sarkozy, puisqu’il faut le nommer, voudrait passer par pertes et profits le sacrifice des «tirailleurs sénégalais» au front, qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Pire, celui par qui la destruction de la Libye provoque de nos jours le chaos en Afrique semble vouloir gommer de cette fameuse histoire écrite par ses ancêtres, le massacre, de dizaines de ces soldats africains, le 1er décembre 1944 au camp de Thiaroye, alors qu’ils réclamaient leur solde selon une version battue en brèche par celle de mutinerie honteusement servie au monde.
C’est donc clair, ces noirs qui se sont battus pour défendre la France notamment contre la force allemande ont rendu un fier service à nos ancêtres les gaulois. Et c’est très appréciable et surtout heureux que l’ancienne colonie le reconnaisse aujourd’hui par des gestes allant de l’inauguration du monument de Reims à la revalorisation des pensions des anciens combattants. Même si cette revalorisation est arrivée en retard, se trouvant faite sur les cadavres de nombreux tirailleurs et de leurs descendants. Tout compte fait, ce serait l’erreur de trop pour les Africains de vouloir vivre dans le passé pour mettre toute leur misère sur le dos du colonisateur. Il leur incombe plutôt, en se servant de ces moments forts de l’histoire comme repères pour relever avec la bravoure des «tirailleurs sénégalais», les défis de développement qui se posent à l’Afrique. Les Japonais se sont bien remis des bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki en 1945 par les Américains. Pourquoi les Africains devraient-ils continuer à s’engluer, dans un passé nostalgique qui ne fait que retarder le développement du continent? Si leurs ancêtres ont tiré ailleurs, que les générations africaines actuelles et futures tirent donc ici.
Par Wakat Séra