Les témoignages du lieutenant-colonel Kanou Coulibaly, chef du groupement mobile de la gendarmerie de Ouagadougou au moment du coup d’Etat manqué de mi-septembre 2015, «confirment l’implication de la hiérarchie militaire», a déclaré le général de brigade Gilbert Diendéré, à la barre du tribunal militaire ce mercredi 6 février 2019.
Avant les officiers militaires Kanou Coulibaly, Gilbert Diendéré, Aziz Korogo, ex-chef par intérim du défunt Régiment de sécurité présidentielle (RSP) et du colonel-major Boureima Kéré, ex-chef d’état-major particulier de la présidence sous la Transition, la séance des interrogatoires a débuté par l’audition du président du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, opposition), Eddie Komboïgo, entamée la veille. Entendu comme témoin, le premier responsable du parti de l’ex-chef de l’Etat, Blaise Compaoré, n’a pas varié ses déclarations qui nient toute implication du CDP aux évènements du 16 septembre et jours suivants.
Le procès s’est poursuivi ce jour avec la suite des phases d’interrogatoires des témoins, du côté de la salle des Banquets de Ouaga 2000, aménagée à l’occasion pour accueillir le jugement du coup de force militaire ayant fait officiellement 14 morts et des dizaines de blessés. Le président du CDP a été confronté à certains autres responsables de son parti, notamment Léonce Koné, ex-deuxième vice-président et Salif Sawadogo, ex-quatrième vice-président de l’actuelle deuxième force de l’opposition. A noter que M. Koné et Sawadogo sont des accusés dans cette affaire qui juge plus de 80 personnes, militaires et civiles.
Dans leurs observations après les propos de Eddie Komboïgo, expert-comptable de formation, les deux accusés à la barre disent ne pas avoir d’objection à faire. Mais Salif Sawadogo a tenu à apporter des précisions sur une réunion que les responsables du parti aurait tenue dans la soirée du 16 septembre 2015, c’est-à-dire le jour même de l’arrestation des autorités de la Transition. Pour cet accusé, il n’a pas été question d’une réunion formelle puisque celle qui a été convoquée pour 18h pour la validation des listes de candidatures «n’a pas eu lieu» au regard de la situation. Selon lui, après que quelques militants ont appris la séquestration des autorités de la Transition, certains membres se seraient retrouvés bien avant 18h au siège pour «échanger sur des dispositions à prendre pour sécuriser les structures du parti» qui avaient connu des saccages lors de l’insurrection populaire de fin octobre 2014.
Sur les questions à lui adressées sur la provenance des 15 millions FCFA qu’il a donnés à son vice-président Achille Tapsoba pour le lancement de la campagne électorale le 16 septembre, et les sources de financement de l’ex-parti au pouvoir, le président du CDP est catégorique. «Il ne m’appartient pas de venir révéler les sources de financement de mon parti ici», a dit Eddie Komboïgo qui estime que le parquet a eu près de deux ans quand il avait saisi tous ses comptes et celui du parti pour faire toutes ses vérifications. «M. Komboïgo, de quelle banque provient cet argent», a relancé le président du tribunal, Seydou Ouédraogo, à l’endroit du témoin. «M. le président je ne répondrai pas à cette question», a rétorqué le témoin. Malgré les tentatives du parquet, le président du CDP est resté sur sa position sur la question.
Le deuxième et dernier témoin du jour à être appelé à la barre est le lieutenant-colonel Kanou Coulibaly. Cet ex-chef du corps du groupement mobile de la gendarmerie, 53 ans, a indiqué avoir appris l’arrestation du président de la Transition, le diplomate Michel Kafando, son Premier ministre Yacouba Issac Zida et les ministres, au camp Paspanga après une formation de deux jours qu’il a suivie à l’hôtel Royal Beach sur la sécurisation des élections de fin novembre qui étaient en vue. «Intérieurement j’étais déçu surtout pour nos camarades» qui sont affectés auprès de la présidence pour les missions de sécurisation.
A en croire cet officier habillé en tenue «terre du Burkina», la tenue conventionnelle de tous les corps militaires, des éléments de l’ex-RSP qui se faisaient remarquer par leur tenue Léopard «ont tiré toute la nuit du 16 et 17 septembre aux alentours du camp Paspanga», le camp de la gendarmerie. Il a aussi reconnu avoir reçu des instructions et exécuté des ordres de sa hiérarchie directe représentée par le commandant de la troisième région militaire, le colonel Alain Serges Ouédraogo, également chef d’état-major adjoint de la Gendarmerie au moment des faits. Ces missions ont constitué, entre autres, à aller récupérer au moins «700 grenades lacrymogènes» avec le commandant Aziz Korogo et effectué trois patrouilles dans la partie nord de la capitale burkinabè. Il n’a pas non plus contesté que ces éléments sont sortis avec des véhicules et des armes dont des Kalachnikovs, même s’il estime qu’aucune arme n’a été utilisée sinon ces éléments lui auraient rendu compte. Il a été formel, son groupement n’a pas effectué des missions de maintien d’ordre.
A la question de savoir ce que visaient les patrouilles, il a laissé entendre qu’elles recherchaient à permettre aux gendarmes d’être en contact avec des foules qui barricadaient ça et là les voix, pour les «sensibiliser à dégager les blocus des routes». A aucun moment, les hommes du groupement mobile de la gendarmerie n’ont utilisé les gaz lacrymogènes qu’ils avaient à leur disposition, a ajouté M. Coulibaly qui a également reconnu après une question du parquet que c’est «inhabituel» pour la gendarmerie d’aller prendre des dotations en armement avec le RSP, puisqu’elle reçoit ses matériels de maintien d’ordre précisément du ministère de la Sécurité.
«Des chefs et commandants de corps de la gendarmerie ont refusé au début de mener des patrouilles» pour ne pas cautionner le coup de force, a-t-il reconnu après que Me Guy Hervé Kam de la partie civile l’a asséné de questions. Cela justifierait, à en croire le témoin, le fait que ses hommes n’ont pas effectué de patrouilles ni de maintien d’ordre lors des périodes de couvre-feu.
Appelé à la barre, le colonel-major Kéré et le commandant Aziz Korogo disent ne pas avoir quelque chose à ajouter ou à observer sur les dépositions du lieutenant-colonel. Cette perche permettra au général Diendéré de revenir point par point sur certaines de ses dépositions faites antérieurement à l’instruction et à la barre. Le général a alors conclu que les témoignages du lieutenant-colonel Kanou Coulibaly confirment bel et bien l’implication de la hiérarchie militaire puisque le matériel retiré avec le commandant Korogo «n’était destiné pas à orner les magasins de la gendarmerie», même si le témoin, disant ne pas avoir des preuves, a soutenu que les dotations n’ont pas été utilisées. «Nous ne dédouanons pas la hiérarchie militaire. Nulle part aucune victime n’a mis en cause un élément de la gendarmerie», a rétorqué le parquet en réponse aux propos du général.
Cette position du général Diendéré sera appuyée par les avocats de la Défense dont Me Dieudonné Willy, Me Latif Dabo, Me Mireille Barry et Me Mamadou Sombié. Ils ont dénoncé une tentative du parquet de vouloir diriger les témoins vers les réponses qu’il souhaite. Malgré le fait que «le parquet lui (Kanou Coulibaly) suggère les réponses, l’implication de la hiérarchie n’est pas discutable pour moi», a réaffirmé le général Gilbert Diendéré, ancien patron des Renseignements burkinabè.
Le procès a été suspendu vers 17h Gmt et reprendra le vendredi 8 février à partir de 9h avec un autre témoignage.
Par Bernard BOUGOUM