Deux officiers supérieurs de la gendarmerie burkinabè ont livré, ce vendredi 1er mars 2019, leur témoignage entrant dans le cadre du procès du putsch manqué du 16 septembre 2015. Il s’agit de l’ex-chef d’état-major de la gendarmerie, le colonel major Tuandaba Coulibaly et l’ex-directeur de l’analyse stratégique au niveau du ministère en charge de la Défense nationale, le colonel major Mamadou Traoré. Ces deux pandores ont participé aux différentes réunions de la Commission de réflexion et d’aide à la décision (CRAD) tenues au moment des événements du 16 septembre 2015 et jour suivants.
Le témoignage des deux officiers supérieurs est quasi identique à celui que les autres membres de la CRAD ont eu à déposer devant la Chambre de jugement du tribunal militaire. Ils ont été invités à donner leur version des faits, notamment par rapport à leur participation à la réunion du 16 septembre 2015, qui aurait été convoquée par l’ex-chef d’état-major général des armées, le général Pingrenoma Zagré.
Selon leur narration des faits, après l’exposé du général Gilbert Diendéré, à la réunion du 16 septembre 2015, tendant à justifier l’arrestation des autorités de la transition par des éléments de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP), les participants à la rencontre auraient désapprouvé l’acte posé et auraient exigé la libération des otages. La réunion qui a débuté vers 17h aurait été interrompue une première fois pour que le général Diendéré aille consulter les éléments de l’ex-RSP avant de revenir donner l’information selon laquelle ceux-ci auraient refusé de faire marche arrière, ont déclaré les témoins du jour. La deuxième interruption de la rencontre, toujours selon les témoignages, est intervenue pour permettre à une délégation de se rendre au camp Naba Koom II dans le but de ramener les hommes de l’ex-RSP à la raison. Face au refus des éléments de ce régiment de libérer les otages, la délégation se serait vue contrainte de replier et compte rendu en a été fait aux autres membres de la CRAD. C’est ainsi que le général Diendéré aurait fait venir une déclaration qui se trouverait être une proclamation. Et au vu de «l’entêtement» du général Gilbert Diendéré, il lui aurait été dit d’assumer «l’acte et toutes ses conséquences». Et la réunion aurait pris fin le 17 septembre 2015 vers 3h30.
Le colonel major Mamadou Traoré, a affirmé avoir pris la parole à cette réunion pour dire que «l’acte était inadmissible et que la communauté nationale et internationale n’allait jamais accepter cette action».
«Comment est-ce possible que la hiérarchie militaire dit qu’elle a opposé un refus catégorique de soutenir le Général Diendéré», s’est interrogé l’un des avocats de la défense, Me Aouoba Zaliatou qui se demande comment cela est possible alors que la réunion a duré de 17h à 3h30. Réponse du colonel major Mamadou Traoré: « Quand il n’y a plus de braise dans le foyer, les chiens peuvent y entrer », ajoutant que l' »on ne résout pas une crise en 10 minutes ».
Quant à l’ex-patron de la gendarmerie, le colonel Tuandaba Coulibaly il a dit qu’à la réunion du 16 septembre 2015, compte rendu lui a été fait que des soldats de l’ex-RSP tiraient à proximité du camp Paspanga, précisant que face à cette situation, ses éléments sont «restés calmes et n’ont pas réagi». Toujours au cours de cette rencontre il a reçu un appel l’informant de la présence d’éléments de l’ex-RSP à la brigade territoriale de Cinkansé, qui voulaient se rendre à la frontière du Togo pour y chercher des grenades. Le témoin a été ferme en ce qui concerne la date de cette mission. «C’était dans la nuit du 16 au 17 septembre 2015. Ils sont arrivés aux environs de 2h et sont repartis vers 8h», a fait savoir le colonel major Coulibaly. Il est à noter que celui qui a effectué cette mission avait déclaré à la barre qu’elle s’est déroulée du 17 septembre 2015 soir au 18 septembre 2015.
Pour ce qui est de la demande de matériel qu’il aurait faite au général Diendéré, l’ex-chef d’état-major de la gendarmerie nationale a soutenu qu’il n’a jamais formulé une telle requête. A la réunion du 17 septembre 2015, selon le colonel major Tuandaba Coulibaly, le général Diendéré a effectivement demandé qu’on fasse le maintien d’ordre. «Je lui ai dit que je ne vais pas le faire. Il m’a demandé pourquoi. J’ai dit que je n’ai pas de grenades. Je n’ai jamais demandé de matériel de maintien d’ordre», a-t-il poursuivi, indiquant que c’est parce qu’il ne voulait pas le faire qu’il a dit cela sinon il y avait bel et bien du matériel dans les magasins.
En ce qui concerne la mission héliportée à la frontière de la Côte d’Ivoire, il a affirmé que c’est le colonel major Boureima Kiéré qui lui a dit de sécuriser l’avion, notant que la gendarmerie a sécurisé l’appareil car cela fait partie de sa mission, également pour des besoins de renseignements. Le colonel major Kiéré a reconnu l’avoir appelé pour l’informer mais a précisé qu’il n’a pas demandé que l’avion soit sécurisé.
Le témoin a également informé le tribunal d’une mission terrestre d’éléments de l’ex-RSP qui se serait rendus à la frontière de la Côte d’Ivoire pour chercher du matériel.
Pour ce qui est des patrouilles de la gendarmerie, l’ex-patron de cette structure a reconnu que ses éléments ont fait des patrouilles nocturnes, mais après la date du 17 septembre 2015. Cette patrouille qui consistait à «protéger les populations» a permis de constater la présence des éléments de l’ex-RSP en ville qui effectuaient des tirs, notamment dans le quartier Tampouy qui fait partie de la zone de la gendarmerie. «C’était deux soldats de l’ex-RSP qui tiraient. J’ai appelé le colonel major Boureima Kiéré pour l’informer et lui dire que je ne voulais pas les voir dans cette zone», a noté le colonel major Tuandaba Coulibaly. De même, il a déclaré que durant la période du putsch manqué, un gendarme qui a voulu secourir un jeune blessé par balle, a été menacé par un élément de l’ex-RSP. «Un des binômes a dit qu’il faut l’abattre», a déclaré le colonel major Coulibaly. Selon ce témoin, pendant cette période, la gendarmerie se sentait menacée. Il a soutenu qu’un jour, les gendarme ont constaté une mitraillette pointée vers le camp de la gendarmerie.
L’audience a été suspendue et elle reprendra le lundi 4 mars 2019.
Par Daouda ZONGO