Le Soudan se sauvera-t-il des lendemains difficiles et chaotiques qu’ont vécus les pays longtemps soumis à des longs règnes de ces hommes forts qui ont tenu leur pouvoir d’une main de fer? Par un tour de passe-passe dont ils ont seuls le secret, les généraux qui se sont bâtis des fortunes colossales et se sont octroyés des privilèges hors-norme se résigneront-ils à lâcher prise pour faire toute la place à un régime civil érigé sur le socle des règles démocratiques? Les coups de semonce lancés par l’Union africaine, enjoignant ainsi l’armée de remettre le pouvoir aux civils dans un délai, d’abord de quinze jours et maintenant de trois mois seront-ils efficaces pour que le changement espéré par le peuple ne soit pas un leurre, avec un système Béchir sans Béchir? Autant d’interrogations auxquelles de bonnes réponses dessineront l’avenir d’un Soudan aujourd’hui à la croisée des chemins. Certes, les militaires jouent avec le temps pour reprendre du poils de la bête, mais les manifestants dont la pression constante a fait plier le jusque-là inamovible général Omar el-Béchir, sont déterminés à aller jusqu’au bout de leur campagne de salubrité politique. Ils ne veulent surtout pas se faire voler leur révolution. Et c’est cet ensemble d’ingrédients qui pourrait bien devenir explosif, si la bombe n’est désamorcée avant les premières déflagrations.
S’il faut saluer les informations selon lesquelles le dialogue n’est pas rompu entre la junte militaire qui propose de rendre le pouvoir au bout d’une transition de deux ans, et les représentants du mouvement de contestation civile, il ne faut pas moins craindre une radicalisation des positions. Bien qu’ayant affirmé publiquement par la voix de son porte-parole qu’elle a trouvé «un accord avec la plupart des exigences» de la protestation civile, l’armée a déjà montré qu’elle sait bander les muscles, en sommant les manifestants de lever leur bivouac de pression dressé en face de son Quartier général. Ne l’entendant pas de cette oreille, la coalition civile a appelé à «la marche du million» comme pour prouver au camp d’en face que ces menaces sont loin d’altérer la détermination du peuple à déraciner le système Béchir. Et c’est de toutes les localités du pays, que par voitures, camions, bus, trains, etc., que les contestataires ont convergé vers la capitale, pour contraindre le conseil militaire à transférer le pouvoir aux civils. Qu’est-ce qui pourra désormais faire reculer cette opposition et ce peuple assoiffés de changement et certains d’avoir pris la bonne option de respirer l’air de la liberté? Tout porte à croire que les Soudanais épris de justice et surtout de démocratie sont prêts à tous les sacrifices pour vivre l’alternance totale en dégageant tous les hommes et les fondements du pouvoir déchu. Et la contestation qui ne faiblit pas, vient, du reste, d’emporter le patron de la police, le chef du comité politique du conseil militaire et une autre personnalité, trois figures controversées parce que jugées trop proches du défunt pouvoir. Ces dernières démissions, fruits de leur engagement à faire abdiquer la junte militaire, constituent, en tout cas, pour les manifestants, des acquis importants et surtout l’espoir que la victoire pourrait être proche.
Une fois de plus, le Soudan, comme l’Algérie qui s’est débarrassée de Abdelaziz Boutéflika, ne sont pas à l’abri d’un chaos si les acteurs, militaires et civils, n’arrivent pas à trouver le modus vivendi pour assurer la stabilité du pays. Une chose est de chasser un régime trentenaire et autoritaire, il faut cependant assurer le service après-vente. Et ça, c’est une autre paire de manche!
Par Wakat Séra