Mois de jeûne, de partage et surtout d’espérance pour l’exaucement des prières des fidèles musulmans, le Ramadan a connu une fin sanglante pour les manifestants soudanais qui pleurent plus de 35 morts dans leurs rangs. Ils sont tombés comme des mouches sous les balles assassines de l’armée et de miliciens acquis à la cause du régime déchu, mais visiblement toujours en place. Les insurgés, résolus à ramener le Soudan dans une ère de liberté et de démocratie ont été trahis par l’armée et la police qui s’étaient rangés à leurs côtés pour destituer, le 11 avril 2019, Omar el-Béchir qui a tenu pendant plus de trente ans, le pays d’une main de fer. Ils pensaient pourtant tenir le bon bout, affichant une détermination à toute épreuve pour aller jusqu’au bout du changement. Mais le rêve est bel et bien en train de virer au cauchemar car les hommes en kaki n’ont visiblement aucune intention de rendre le pouvoir aux civils. Si chaque camp, engagé dans les négociations officielles pour la constitution mixte d’un conseil souverain de transition politique de trois ans, luttait pour s’assurer la majorité et les postes stratégiques, les militaires eux ne se sont pas embarrassés de fioritures pour affirmer que l’organe sera sous la coupe de l’armée.
Du un pas en avant, deux en arrière, le dialogue est désormais au point mort. Pire, les généraux qui ont repris du poil de la bête avec le soutien inconditionnel de l’Arabie Saoudite et du Maréchal Al-Sissi, patron du syndicat des chefs de l’Etat, baptisé «Union Africaine», remettent totalement en cause tous les accords passés. Le transfert du pouvoir aux civils devient donc caduc au Soudan. Dans la foulée, de cette déclaration l’armée, accrochée à son noir dessein de faire main basse sur un pouvoir qui ne lui a jamais échappé en réalité malgré la chute du régime de fer de Béchir, annonce la tenue des élections dans neuf mois. C’est la façon la plus facile et la plus rapide pour les militaires de mettre fin au printemps de Khartoum et de perpétuer le règne de Béchir, sans Béchir. Les militaires ont donc tombé le masque, confirmant leur stratégie initiale de sacrifier Béchir pour garder le gouvernail bien en main. Les militaires ont désormais tombé le masque et les civils, l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC) en tête, sont contraints de revoir leur copie, et surtout d’affiner leurs méthodes de lutte pour rameuter les troupes et espérer contrer efficacement les velléités des militaires. Mais ce sera une autre paire de manches parce que l’union est loin d’être totale au sein des civils. Les politiques ne parlent pas le même langage, en témoigne la position de l’historique parti d’opposition al-Oumma, dirigé par l’ancien Premier ministre Sadek al-Mahdi et membre de l’ALC, qui s’était désolidarisé du mot d’ordre de grève générale de deux jours de la fin du mois de mai.
L’opposition après la dispersion violente et sanglante de la manifestation, l’ALC et l’opposition sont loin de baisser les bras. D’où la grève générale et le mouvement de désobéissance civile lancée ce mardi. Dans ce rapport de forces qui ne penche pas forcément en leur faveur, les manifestants vont-ils tenir le coup et mener la «révolution» pour le changement à bon port? En tout cas, tout sonne faux dans ce Soudan où les condamnations contre la répression et les menaces proférées par les gendarmes du monde comme la France et les Etats Unis et d’organisations comme celle de Nations unies et de l’Union africaine, restent sans effet sur des militaires visiblement sûrs de briser le rêve de changement du peuple insurgé.
Par Wakat Séra