Le président du Mouvement patriotique pour le salut (MPS), le Pr Augustin Marie-Gervais Loada, a affirmé que si l’ex-Premier ministre, Yacouba Isaac Zida, «n’était pas patriote, le cours de l’histoire du Burkina Faso aurait été différent», dans une interview exclusive accordée à Wakat Séra. Le professeur Loada aborde sans langue de bois dans cette entrevue, les questions touchant à la vie de la nation burkinabè, éprouvée par de multiples attaques armées qualifiées de terroristes ayant fait, de 2016 à nos jours, près de 600 militaires, paramilitaires et civils tués.
Wakat Séra : Qu’est-ce qui a motivé le professeur à s’engager dans la politique ?
Pr Augustin Loada : Disons que mon engagement dans la politique, est relativement ancien. Je disais tout à l’heure à un groupe de jeunes enseignants en philosophie que lorsque on a eu la chance d’aller à l’école, et Dieu seul sait combien nous sommes minoritaires dans ce pays, au regard du poids de l’analphabétisme, lorsqu’on a eu la chance d’aller à l’université, d’être enseignant à l’université, on peut considérer que c’est un privilège de la vie. On a le choix entre s’occuper de son bonheur privé ou regarder ce qui se passe en dehors de sa sphère domestique et se solidariser avec ceux qui n’ont pas eu cette chance là. Donc c’est un engagement que j’ai commencé depuis la société civile et qui s’est prolongé dans la vie politique. Pour moi c’est deux faces d’une même réalité, c’est-à-dire, en tant que citoyen qui ne se préoccupe pas seulement que de son bonheur privé. Ça m’intéresse de savoir si le plus grand nombre de Burkinabè a eu des opportunités que moi j’ai eues. Pour moi c’est ça l’engagement citoyen.
Pourquoi ne pas aller dans un autre parti existant ? Il y a déjà de grands partis tant du côté de la majorité présidentielle que de l’opposition politique, pourquoi avoir créé le MPS ?
Je vais apporter une réponse juridique d’abord parce que je suis professeur de droit public. La création des partis politiques est un droit qui est consacré par la Constitution du Burkina Faso qui consacre le multipartisme. Le constituant du peuple burkinabè avait le choix entre créer, instituer, consacrer le monopartisme, ou le bipartisme ou le tripartisme que nous avons expérimenté sous la troisième République, mais il a choisi de consacrer le multipartisme. Et donc je dirais que créer un parti est d’abord un droit. Un droit qui trouve son fondement dans l’analyse de la situation de notre pays. Effectivement en tant que citoyen de ce pays, nous avons participé à l’insurrection. Nous avons exprimé aux côtés d’autres Burkinabè des aspirations fortes en termes de meilleure gouvernance, de quête de justice sociale, et nous avons espéré qu’au lendemain de la transition qui a duré une année et dont la mission essentielle était d’organiser les élections pour permettre à une équipe élue par le peuple burkinabè, donc parée de toute la légitimité populaire nécessaire, que cette équipe nouvelle concrétiserait les aspirations du peuple.
Mais ce n’est pas ce que nous avons constaté. Bien au contraire, nous avons constaté que notre pays était sur une pente dangereuse. C’est ce qui nous a poussé à réagir, à dire qu’au lieu de continuer à regarder en spectateur, il vaut mieux se retrousser les manches et plonger les mains dans le cambouis. C’est ce que nous avons décidé de faire en créant le Mouvement Patriotique pour le Salut (MPS). Dans ce processus-là, nous avons élaboré un manifeste qui fait l’analyse de la situation, qui pose les préalables nécessaires pour redonner de l’espoir au peuple burkinabè et qui définit, également un certain nombre de principes et de valeurs.
Certaines personnes diront de vous novice en politique, que répondez-vous à ces gens et à ceux qui doutent de vous ?
Novice en politique, je ne le crois pas. Ça dépend de ce que vous avez appelez politique. Si vous voulez parler de la politique partisane, oui c’est la première fois effectivement que j’exerce des responsabilités d’un parti politique. Mais s’intéresser à la politique, ça fait plus d’une vingtaine d’années que je m’intéresse à la politique dans le cadre de la société civile. Et je pense que c’est extrêmement important parce que la politique pour moi ce n’est pas seulement le jeu partisan. C’est aussi l’expression de la charité vis-à-vis des autres. Je parlais tout à l’heure de chance, d’opportunités que j’ai eues et des préoccupations vis-à-vis des autres. Je pense que c’est aussi ça la politique, se préoccuper de ce que les autres citoyens aient les mêmes opportunités pour se réaliser dans la vie.
Vous avez été ministre sous la transition, est-ce qu’il y a eu une anecdote que vous aimeriez partager avec nous ?
Plusieurs anecdotes bien entendu ! Peut-être celle qui m’a le plus marqué que je voudrais relater porte sur un cas. Je disais tout à l’heure que la transition avait pour mission essentielle d’organiser les élections, mais nous n’avons pas fait que cela. Nous avons aussi essayé, comme nous le pouvions de lutter contre certaines injustices. C’est ainsi que quand je suis arrivé à la tête du ministère de la Fonction publique, on m’a présenté un cas de jeunes burkinabè qui ont passé le concours de la douane et qui avaient été déclarés admissibles, et il leur restait la visite ophtalmologique. A la suite de l’examen ils ont été déclarés inaptes à leur grande surprise. Ils ont contesté les résultats de cet examen ophtalmologique qui les a disqualifiés. Deux jeunes ont pris leur place en quelque sorte. Et comme ils contestaient les résultats de cet examen, ils sont allés voir les autorités de l’époque qui ont fait la sourde oreille. Quand je suis arrivé, ils m’ont soumis leur cas. Et contre l’avis de mes collaborateurs, j’ai saisi le Premier ministre, Yacouba Isaac Zida, qui est intervenu pour que ces jeunes refassent l’examen ophtalmologique en terrain neutre. Cet examen a montré que les jeunes étaient parfaitement aptes. Il a donné des instructions que j’ai suivies, qui ont permis de rétablir ces jeunes dans leur droit.
Je dirais que c’est vrai, la transition avait pour mission essentielle d’organiser les élections, mais elle a aussi fait d’autres choses en général, corrigé un certain nombre d’injustices aussi et cette anecdote le montre bien.
Comment arrivez-vous à gérer votre temps entre votre métier d’enseignant et la gestion du parti politique ?
Moi je n’oppose pas les deux parce qu’enseigner pour moi est aussi une manière de faire la politique. Quand je disais tout à l’heure que pour moi la politique, c’est de se préoccuper aussi des opportunités dont les autres Burkinabè doivent bénéficier ; je dirais, ayant eu la chance d’être aller à l’école, d’être enseignant à l’université, c’est un devoir pour moi de contribuer et de continuer à contribuer à la formation de la jeunesse burkinabè. Donc pour moi faire de la politique, c’est un prolongement de cet engagement-là. Ça ne pose aucune difficulté de concilier les deux. Quand je veux enseigner, je vais en amphi, je donne mon cours et quand je dois gérer les affaires du parti, je suis au siège du parti. Donc il n’y a pas d’opposition entre la fonction enseignante, je dirais même la recherche, parce que en tant que responsable d’un parti politique, je rencontre des militants sur le terrain qui me permettent de tester la solidité de nos concepts, de nos théories et finalement enrichir ma vision en politique. Donc il n’y a pas d’incompatibilité. Pour moi c’est un devoir de continuer à former la jeunesse burkinabè et c’est ce que j’essaie de faire ici aussi en tant que responsable de parti politique parce que quand nous discutons avec les jeunes, ils nous donnent des informations ; nous aussi nous leur en donnons.
Pensez-vous que le MPS a les ressources nécessaires pour atteindre ses objectifs, quand on sait bien que vous souhaitez participer à la présidentielle, aux législatives et municipales ? Votre parti a-t-il les moyens humains, financiers et matériels pour traduire en réalité ses ambitions ?
Nous avons des ambitions pour ce pays, nous voulons transformer ce pays, nous voulons construire un Burkina meilleur. Evidemment pour réaliser une telle ambition, il faut réunir les moyens. C’est une problématique à laquelle sont confrontés tous les partis politiques. Grâce aux soutiens de nos militants, nous avons un minimum pour travailler, pour concrétiser cette ambition-là. Mais nous sommes toujours ouverts s’il y a d’autres militants et sympathisants qui veulent bien renforcer les moyens qui sont en notre disposition, parce que cette ambition que nous avons, ce n’est pas seulement pour le parti, c’est pour le pays.
Faut-il s’attendre à des alliances entre le MPS avec d’autres partis ?
Pour moi ça fait partie de la stratégie que nous n’excluons pas. L’expérience de notre pays a montré que lorsque nous fédérons nos énergies, nos ressources, sur la base d’une vision commune, nous avons plus de chance de succès. Et donc nous n’excluons pas, bien entendu, de parler, nous avons même commencé de parler aux partis politiques. Il y a d’autres aussi qui viennent spontanément nous voir parce que nous avons la même vision. Nous n’excluons pas évidemment la possibilité de coaliser avec d’autres formations politiques.
Alors, est-ce que déjà il y a un rapprochement entre votre parti et celui du professeur Abdoulaye Soma que vous connaissez bien, parce qu’on a oui dire que c’est également un bras politique de Yacouba Isaac Zida.
Vous me donnez là une information. Je vais l’analyser et la traiter. Je ne suis pas au courant. Effectivement hier, il y a un militant qui, voulant nous rejoindre, nous a posé une question. Il dit qu’il entend parler d’autres partis politiques qui se réclameraient de Yacouba Isaac Zida. J’ai dit, c’est peut-être possible mais s’il y a un parti auquel on doit rattacher Yacouba Isaac Zida c’est bien le MPS puisse que c’est notre président d’honneur. C’est important de le souligner. Il n’est pas président d’honneur ailleurs.
Que pense le MPS de la réconciliation tant prônée par les Burkinabè ?
Nous en parlons dans notre manifeste. Pour nous la réconciliation est nécessaire. Elle est nécessaire parce qu’aucun royaume divisé ne peut tenir. Vous regardez tous les pays qui ont réussi dans le processus de développement, une des conditions c’est la cohésion. Nous en avons parlé lorsque nous avons fait la conférence sur le Japon. C’est un pays qui est relativement homogène qui bénéficie d’une grande cohésion. C’est vrai que l’Afrique est un terrain de pluralisme, mais au moins, la leçon qu’on peut tirer à partir de l’expérience du Japon c’est qu’il nous faut de la cohésion, de l’unité si nous voulons réussir notre processus de développement. Et même pour la consolidation de la démocratie nous avons besoin d’unité. C’est d’ailleurs reflété dans les symboles du MPS. La cohésion, l’unité c’est quelque chose de fondamental chez nous. Evidemment, pour arriver à cette cohésion, unité, il y a des conditions. Une des conditions, c’est la justice. Nous l’avons dit, la réconciliation ne peut pas se faire sur le dos de la justice. Il faut que la justice se fasse. Mais en même temps nous disons que le politique a une fonction régulatrice. Il appartient aux hommes politiques de se parler. Il faut reconnaitre que dans notre histoire, il y a eu des fractures. Je prends par exemple, l’insurrection, il y a d’un côté ceux qui ont participé à l’insurrection, et puis de l’autre ceux qui se considèrent comme victimes. La résistance au putsch, il y a ceux qui ont été victimes et il y a les auteurs de ce putsch. Donc il y a des fractures récentes qui se sont ajoutées aux fractures anciennes. Il faut forcement transcender ces fractures en faisant, chacun un pas vers l’autre.
Je prends par exemple la récente fracture, celle qui s’est dessinée autour de la résistance au putsch entre les putschistes et ceux qui ont résisté. On a eu la justice, mais vous avez suivi le procès. Ceux qui ont été condamnés sont restés droit dans leurs bottes, pas de repentance. Vous voyez comment ça devient compliqué si on veut parler de réconciliation. Ça veut dire qu’il y a encore chez eux peut-être des velléités de revanche puisqu’ils ne reconnaissent pas qu’ils ont fait quelque chose de condamnable. Ça veut dire que s’il y avait à refaire, ils le referaient. Vous voyez que ça devient difficile de parler de réconciliation nationale. Il faut que les gens soient sincères. Il faut que chacun fasse un pas vis-à-vis de l’autre. Que ceux qui ont commis des torts reconnaissent qu’ils ont commis des torts et ceux qui ont été victimes puissent également exprimer aussi leurs griefs. C’est dans la sincérité qu’on pourra surmonter chacun ces fractures-là. Donc ce n’est pas en restant droit dans ses bottes, en disant : «Je n’ai rien fait». Ce discours ne facilite pas la réconciliation et pourtant il faut bien que les Burkinabè se réconcilient s’ils veulent faire face à un certain nombre de défis qui se posent. Je pense par exemple aux défis sécuritaires. Les Burkinabè sont assaillis par les terroristes et qu’est-ce que nous trouvons de mieux à faire, c’est de s’affronter dans la rue.
Yacouba Isaac Zida et vous êtes plus proches et ce depuis la transition. D’aucuns estiment même que c’est cette proximité qui a fait qu’on vous a arrêté lors du putsch avec lui ?
Non ! Il faut que je restitue les choses. Honnêtement, je ne sais pas pourquoi on m’a enfermé avec lui. Jusqu’à présent je me pose la question. Mais c’est le fait de m’avoir enfermé avec lui qui a créé ce lien fort. Et depuis lors on a gardé des relations très étroites. Pour ceux qui le connaissent, c’est un patriote, parce que s’il n’était pas patriote, le cours de l’histoire du Burkina Faso aurait été différent. C’est parce qu’il a pris sur lui la responsabilité de mettre en avant les intérêts du peuple qu’il a connu toute cette mésaventure. Mais c’est un homme de devoir.
Beaucoup de choses ont été dites sur lui, est-ce que vous pensez que les populations dans leur majorité ont une bonne image de l’ex-Premier ministre, après tout ce qui l’accable comme des faits de justice, notamment de corruption dont on l’accuse ?
Moi je suis très lucide. Je sais que c’est une personnalité qui est clivante. Je vais être honnête. Mais ça peut s’expliquer. Mettez-vous à la place de ceux qu’on appelle CDPistes (militants du Congrès pour la démocratie et le progrès, CDP, ex-parti au pouvoir). Ils considèrent que c’est à cause de lui que, entre guillemets, ils rasent les murs parce qu’il a pris sur lui, la responsabilité de privilégier l’intérêt de peuple. Donc tous ceux qui ont perdu les privilèges de l’ancien régime considèrent que c’est à cause de lui. Donc ces gens-là, moi je ne m’attends pas à ce qu’ils aient une bonne image de Yacouba Isaac Zida. Je comprends. Mais je puis vous assurer que partout où je suis passé, les gens ont une bonne image de lui. Je vous ai parlé tout à l’heure, il y a quelqu’un qui veut nous soutenir mais il veut s’assurer qu’il n’y a pas un autre parti de Zida. Et donc ça veut dire qu’il y a beaucoup de Burkinabè et ils sont les plus nombreux qui sont attachés à l’homme. Comme je l’ai dit, c’est un homme de droit.
Vous parliez d’anecdote tout à l’heure, on n’était en train de partir dans une localité et on a dû s’arrêter pour vérifier le véhicule et des gens nous ont reconnu. Ils ont dit c’est vous le professeur Loada, j’ai dit non au départ et ils sont partis et revenir insister. Ils ont dit ça tombe bien parce qu’ils ne savaient pas comment faire pour nous contacter. Ils ont dit qu’ils ont appris la création du MPS et ils veulent y adhérer. Dans les explications ils ont dit que Zida pendant la transition est venu inaugurer des infrastructures dans les localités et que, eux n’avaient pas oublié le passage du (général) lors de la transition. Et ça c’est au fin fond du Burkina. Et donc il y a ce qu’on dit dans les réseaux sociaux et il y a la réalité sur le terrain. Et ça je suis très clair, ceux qui aiment Zida sont plus nombreux.
Le MPS a-t-il son candidat naturel, je dirais Yacouba Isaac Zida ? Si oui qu’est que vous voyez en lui qui puisse faire la différence d’avec les autres probables candidats, au point que vous dites qu’il est « l’homme de la situation » ?
Bon, ce n’est pas le moment de la désignation des candidats. Il y a des procédures au niveau du parti. Ce qui est sûr le parti va présenter un candidat et je pense qu’il ne manquera pas de personnalités de qualité pour porter les couleurs du MPS. En tout cas je vois au niveau du MPS des gens qui ont le sens du devoir, qui ont montré par leurs expériences qu’ils étaient des patriotes pour porter les couleurs du MPS.
L’ex-ministre de la Sécurité, considéré comme le numéro 2 du pouvoir de la transition, le colonel Auguste Denise Barry, est-il avec le MPS ?
Depuis que j’ai lancé le MPS je n’ai pas eu de contact avec lui.
N’y a-t-il pas des démarches pour le rallier à votre cause surtout qu’on dit de l’homme, bien adoubé par une bonne partie des populations, qu’il a des qualités indéniables en matière de renseignement ?
Nous n’avons pas entrepris des démarches vis-à-vis de lui. Mais le MPS est ouvert à toutes les personnes ressources, toutes les compétences qui veulent se joindre à lui pour bâtir un Burkina meilleur.
L’artiste reggeameker Karim Sama alias Sam’S K le Jah et Me Guy Hervé Kam, membres influents du mouvement le Balai citoyen, une organisation civile ayant étant active sous la transition, seraient-ils MPS attendus pour renforcer les rangs du MPS ?
Je ne les ai pas reçus depuis que nous avons lancé le MPS, mais comme je l’ai dit au début, le MPS est ouvert à toutes les compétences, à tous les talents. Donc, s’il y a des gens du Balai citoyens qui veulent rejoindre le MPS, ils sont les bienvenus. S’il y a des gens qui sont dans d’autres partis politiques, qui veulent venir nous aider à construire un Burkina meilleur, ils sont les bienvenus.
Les Burkinabè espéraient un véritable changement avec l’insurrection populaire. Quel commentaire faites-vous de changement de nos jours ?
Les Burkinabè sont nombreux à constater que la situation s’empire. C’est d’ailleurs pour cela que le MPS en partie a fondé son analyse et si ceux qui ont le sens du patriotisme ne font rien, la situation au Burkina Faso risque d’être compromise.
Que faut-il faire concrètement selon vous face à cette situation ?
Moi, ce que je propose à tous les Burkinabè qui ont le sens du patriotisme, qui veulent rebâtir ce pays-là, en faire un Burkina meilleur, moi je leur demande de rejoindre le MPS. Concrètement c’est ce que je pense proposer.
Quelle analyse faites-vous de la situation sécuritaire qui préoccupe de plus en plus les Burkinabè ?
Je pense que cette situation est la résultante de plusieurs facteurs. Il y a des facteurs exogènes structurels liés par exemple à l’environnement international notamment ce qui se passe au Mali et même plus loin en Libye, parce qu’on voit que la plupart des groupes armés viennent du Mali, ils frappent le Burkina et ils se replient. Forcement il y a des facteurs structurels liés à l’environnement international qui sont en partie liés à la situation que nous vivons actuellement. Mais il y aussi les facteurs endogènes liés au fait que pendant longtemps, notre appareil sécuritaire était déficient. Il y a avait le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) et puis le reste de l’armée. Il y a la question du politique aussi qui entre en ligne de compte parce que l’armée est au service certes de la nation mais c’est un instrument qu’utilisent aussi les gouvernants à la disposition du gouvernement. Et donc si les impulsions qui sont données à l’armée sont problématiques ça peut aussi expliquer en partie pourquoi les résultats que nous avons ne sont pas à la hauteur des attentes. Comment peut-on gagner une guerre lorsque dans un pays, aussi bien les gouvernants que les gouvernés, se comportent comme si nous n’étions pas en guerre. Donc je pense quand même qu’il faut que les Burkinabè prennent la mesure de la gravité de la situation et passent au second plan peut-être les autres demandes, les autres griefs qu’ils ont à exprimer.
Alors est-ce que vous pouvez nous donner plus d’éléments de détails pour qu’on puisse mieux percevoir ce dont vous dites ?
Vous voyez bien que nous sommes en train de perdre le nord du pays et pendant ce temps le gouvernement déploie des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) pour contrer des manifestants dans les rues de Ouagadougou. Quelle est la priorité ? Est-ce qu’il ne faudrait pas plutôt canaliser toutes les énergies, toutes les ressources du pays contre cet ennemi extérieur quitte à faire nos débats internes plus tard ? C’est ce que j’appelle faire la guerre à temps partiel. Les terroristes eux ne font pas la guerre à temps partiel. Donc il faut qu’on sente que nous sommes en guerre. J’ai l’impression que ceux qui sont à Ouagadougou ne se sentent pas concernés par ce qui se passe dans le Nord du pays. Et donc on continue à vivre notre vie ordinaire pendant que nos frères et sœurs qui sont dans le Nord du pays se cherchent. Moi je pense que ça c’est vraiment un problème si on veut remporter cette guerre-là. Evidemment il y a des réponses à court, moyen et long terme qu’il faut apporter à ce défi. Bien sûr il y a des réformes qu’il faut faire. Mais en attendant que ces réformes portent du fruit, il y a des choses qu’on peut faire à court terme. Par exemple un meilleur équipement des FDS, une réorganisation de nos systèmes de renseignements. Donc il y a des réponses plus musclées qu’on devrait apporter sur le terrain militaire mais ça dépend aussi des impulsions politiques qui sont apportées à l’appareil sécuritaire.
Le Pr Augustin Loada déplore la repression de la marche du 16 septembre
Qu’avez-vous à dire sur le code pénal tant querellé ?
J’ai suivi ce débat, Je pense que le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur cette question. Il n’a pas trouvé juridiquement de problème de contrariété de ce code pénal par rapport à notre loi fondamentale. On peut apprécier ce texte sur un point de vue juridique et constitutionnel. Mais sur le fond, tout le monde a bien compris que quelque part le gouvernement se trompe d’adversaire parce que les images qui sont relayées sur les réseaux sociaux viennent bien de quelque part. Et donc, il faut plutôt travailler à tarir ces sources d’images si on considère que ce sont ces images qui posent problèmes. Je pense qu’au lieu de régler la fièvre, le gouvernement veut casser le thermomètre. Or, ce n’est pas la meilleure façon de régler la fièvre. Ce n’est pas la publication des images (jugées choquantes) dans les réseaux sociaux qui posent un problème d’insécurité au Burkina Faso. C’est parce qu’il y a l’insécurité que le problème est posé au niveau des réseaux sociaux. Donc il faut s’attaquer aux causes et non aux conséquences. Moi c’est ce que je pense par rapport à ce code pénal.
En tant que constitutionnaliste, quelle voie préconisez-vous pour l’adoption du nouveau projet de constitution puisque ?
J’ai participé au processus parce que j’étais membre du comité chargé de donner des avis à la Commission chargée de réviser le projet de constitution. Permettez-moi de rappeler que sous la transition, il y a eu un processus qui a été enclenché pour doter le pays d’une nouvelle constitution. Mais les gens ont dit non que la transition n’avait pas cette légitimité pour élaborer une nouvelle constitution. Donc ils ont mis un frein là-dessus. Et la promesse du candidat du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) c’était de doter le pays d’une nouvelle constitution. Je constate qu’il va terminer son mandat sans avoir tenu cette promesse. Et pourtant, s’il voulait tenir cette promesse, il aurait pu parce qu’il y avait deux voies effectivement pour l’adoption de ce projet de constitution qui a été adopté par consensus par la commission qui est le reflet des forces vives de la nation, puisque représentant les différentes sensibilités de l’ensemble du peuple burkinabè.
Donc il y avait deux possibilités. Soit, adopter le projet par voie parlementaire, ce qui pouvait se faire rapidement, soit, comme finalement l’option retenue, adopter le projet par voie référendaire. Mais les hommes politiques avec le président du Faso (Roch Kaboré) en tête, ont choisi de l’adopter par voie référendaire avec les implications en termes de coût, mais aussi en termes de temps, d’opportunités…etc. Et nous en sommes là, c’est-à-dire finalement le président va finir son mandat sans avoir tenu sa promesse. Et tout cela parce que la plupart des gens qui se sont prononcés sur cette question-là, ils sont un peu pétris dans le moule français. Il faut qu’on arrive à décoloniser un peu les mentalités parce qu’ils ne s’imaginent pas qu’on puisse adopter une constitution sans passer par le référendum. Pourtant, vous prenez l’Allemagne qui est considérée comme une démocratie exemplaire, dirigée par une femme, sa constitution n’a pas été adoptée par référendum. On peut citer d’autres exemples pour montrer que ce n’est pas le mode d’adoption de la constitution qui détermine la nature démocratique du régime.
Que pensez-vous de la force du G5 Sahel mis en place pour lutter contre le terrorisme au Sahel ?
On reconnait l’arbre à son fruit. Quels sont les fruits que l’arbre du G5 Sahel a produits ? Rien ! A part les sommets et les blablas !
Ce n’est pas trop tôt de les juger ainsi puisque cette force est à ses débuts ?
Oui mais les terroristes n’attendent pas. Donc nous avons besoin de résultat maintenant parce que, plus le temps passe, plus ce sont nos compatriotes qui meurent. D’ailleurs c’est une illusion de croire que la solution va venir de quelque part. Donc c’est à l’intérieur que nous allons mobiliser les ressources pour faire face à cette menace.
Comprenez-vous les derniers actes de xénophobie ayant causé des violences dont certains africains ont été victimes en Afrique du Sud ?
Dans notre manifeste, nous avons clairement dit que nous sommes des panafricanistes parce que nous savons qu’en dehors de l’intégration régionale, continentale, il n’y aura pas de salut. Or, nous voulons, non seulement le salut pour notre pays mais aussi pour notre continent. Et donc, nous regardons ce qui se passe en dehors du Burkina parce que le MPS s’intéresse aussi aux millions des ressortissants Burkinabè qui vivent à l’extérieur. C’est pour cela que nous condamnons la xénophobie qui s’est manifestée en Afrique du Sud même s’il faut signaler que ce n’est pas le seul pays où il y a ce phénomène. C’est un sentiment qui existe là où il y a des difficultés, et surtout là où les hommes politiques pour surmonter ces difficultés, utilisent la voie la plus facile, à savoir manipuler ce sentiment que les gens en difficultés peuvent avoir pour obtenir leur soutien.
Interview réalisée par Bernard BOUGOUM et Daouda ZONGO