Charles Blé Goudé sera bien jugé à Abidjan. L’ancien ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo est toujours en résidence surveillée à La Haye, après avoir été acquitté par la CPI, en attendant l’examen de l’appel de la procureure. Son dossier ouvert à Abidjan avant son transfèrement à la CPI est toujours ouvert.
Mercredi, à Abidjan, son collectif d’avocats a claqué la porte d’une audience avec la chambre d’accusation et s’est retiré du dossier pour dénoncer une procédure qu’ils estiment biaisée. Ce jeudi, le procureur général de la cour d’appel d’Abidjan a tenu à répondre point par point.
Le procureur général de la cour d’appel Marie-Leonard Lebry a expliqué que le dossier de Charles Blé Goudé a été ouvert en 2012 pour des infractions commises en 2010-2011 sous les qualifications de « crimes contre les populations civiles » et « crimes contre les prisonniers de guerre ». Ce qu’on appelle désormais, depuis la récente réforme du Code pénal en Côte d’Ivoire, « crimes contre l’humanité » et « crimes de guerre ».
La justice ivoirienne avait lancé des poursuites pour actes de torture, homicide volontaire, viol ou assassinat commis par lui-même ou par ses partisans durant les barrages d’autodéfense en 2010 et 2011.
Lors de l’audience mercredi, d’où les avocats se sont retirés, la chambre d’instruction a retenu un certain nombre de ces infractions. On n’en a pas encore le détail. « Mais on peut dire qu’il va être jugé », a assuré le procureur général.
Le magistrat précise d’ailleurs que les faits incriminés ne sont pas les mêmes que ceux jugés à la CPI et pour lesquels Charles Blé Goudé a été acquitté en première instance au mois de janvier. « Les faits pour lesquels M. Blé Goudé est poursuivi devant les juridictions ivoiriennes actuellement concernent les actes de tortures, homicide volontaire, traitements inhumains, atteintes à l’intégrité physique, viols, assassinats commis durant les barrages d’auto-défense dans le courant de l’année 2010 et 2011, et la complicité de ces infractions et crimes commis soit par lui-même, soit par ses partisans sur l’ensemble du territoire de la République de Côte d’Ivoire identité des faits entre les faits jugés par la CPI et ceux examinés par les juridictions ivoiriennes. »
Autre précision : les faits allégués ne sont pas amnistiés par l’ordonnance d’août 2018, parce que « c’était une amnistie personnelle, pas une amnistie qui portait sur des faits. Et Charles Blé Goudé n’a pas bénéficié de cette amnistie personnelle ».
Charles Blé Goudé sera donc jugé par un tribunal criminel, l’équivalent d’une cour d’assises. Peut-être par défaut donc, puisqu’il est toujours bloqué à La Haye en attendant l’issue des poursuites devant la CPI, et que rien n’indique que la justice ivoirienne ait l’intention d’attendre qu’il puisse revenir en Côte d’Ivoire pour le juger.
Les tensions politiques à l’aune du procès Gbagbo
La relance de poursuites contre un adversaire politique du pouvoir réveille chez l’opposition les soupçons d’instrumentalisation de la justice à un an d’une présidentielle qui s’annonce tendue. Or, Charles Blé Goudé, depuis quelques mois, ne fait plus mystère de ses ambitions politiques.
Devant des journalistes parfois suspicieux, le procureur général de la cour d’appel d’Abidjan, Marie Léonard Lebry a réfuté toute considération politique dans les poursuites relancées à l’encontre de Charles Blé Goudé ces dernières semaines. L’ancien leader des Jeunes patriotes est, selon de nombre d’organisations internationales et d’observateurs, l’un des principaux acteurs des troubles qu’a connu la Cote d’Ivoire dans les années 2000.
Ses nouveaux déboires judiciaires interviennent par ailleurs alors que la justice ivoirienne vient de confirmer en appel la condamnation de Laurent Gbagbo et trois coaccusés à vingt ans de prison pour l’affaire dite du « braquage de la BCEAO ».
Quelques jours avant, le gouvernement ivoirien a déposé une demande auprès de la CPI pour s’opposer à la libération sans condition de l’ancien président ivoirien, acquitté en janvier. Le FPI pro-Gbagbo a parlé de « cabale destinée à écarter des adversaires politiques » et d’« entrave à la réconciliation nationale ». Le PDCI, qui se rapproche du FPI dans l’optique de la présidentielle de l’année prochaine, a également dénoncé une instrumentalisation de la justice et fait part de « graves inquiétudes ».
Régulièrement interrogé sur cette question, le porte-parole du gouvernement Sidi Touré répondait récemment que « l’État de Côte d’Ivoire n’interfère pas dans les procédures judiciaires ».
Par RFI