Accueil A la une Burkina/Justice: « Trois policiers m’ont battu avant de m’enlever » (Naïm Touré)

Burkina/Justice: « Trois policiers m’ont battu avant de m’enlever » (Naïm Touré)

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L’activiste burkinabè, Naïm Touré, dans un entretien accordé à Wakat Séra dit avoir été « menotté et battu » avant d’être « enlevé » par « trois policiers » à son domicile à Ouagadougou. M. Touré revient sur le film de son arrestation qu’il juge « humiliante », en plus d’autres préoccupations dignes d’intérêt qui ont été abordées.

Wakat Séra: Qu’est-ce qui amené Naïm Touré vers le cyber-activisme?

Naïm Touré: Avant toute chose, j’aimerais quand même souligner un détail, je ne suis pas tellement d’accord qu’on me taxe de cyber-activiste même si moi-même je me suis présenté en tant que tel. Je suis tout simplement un jeune citoyen de ce pays qui utilise sa plateforme Facebook pour s’exprimer et dénoncer la mal-gouvernance dans son pays. J’exprime tout simplement mon opinion.

Vous êtes un activiste convaincu. Qu’est-ce qui vous a conduit dans ce combat? Il y a au moins un déclic en toute chose.

C’est tout simplement l’injustice. Même si vous franchissez cette porte, si vous observez bien la société vous sentez qu’il y a beaucoup d’injustices, d’inégalités et des abus de toute sorte. Donc en tant que jeune burkinabè, je ne peux pas être insensible, face à la souffrance du peuple.

Que reprochez-vous au régime du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) à propos de la gestion des affaires publiques?

Je reproche vraiment beaucoup de choses au régime actuel. Il y a un laisser-aller, une irresponsabilité caractérisée au plus haut sommet de l’Etat, la mal gouvernance, la gabegie, le copinage. Bref, tout ce qui caractérise une république bananière se retrouve actuellement au sein de l’exécutif burkinabè.

Certaines personnes trouveront que vos propos sont des accusations faciles, sans preuve. Sur quoi vous vous basez pour faire ces affirmations?

On n’a pas besoin de beaucoup discuter. Il suffit de voir autour de vous. A moins d’être intellectuellement malhonnête. Ça saute à l’œil, tout le monde en parle. Ça se vit au quotidien. Quand vous prenez l’administration publique burkinabè, ce sont des grèves à répétition, des mouvements d’humeur, des décisions arbitraires. Je prends en exemple la situation en cours à la police nationale, notamment, avec le cas de l’Alliance Police Nationale (APN) qui a maille à partie avec la hiérarchie. On peut citer le cas du secteur de la santé où un grave mouvement a provoqué une marche à Bobo-Dioulasso qui a failli dégénérer. Quand vous prenez aussi le secteur de l’éducation, ça ne va pas. Bref, je n’invente rien.

Racontez-nous l’épisode de cette interpellation par la Police

Pour moi ce n’est pas une interpellation mais un enlèvement. Tout le monde a été témoin de ce que j’ai vécu. Des individus non identifiés ont débarqué comme ça dans un domicile privé pour enlever un individu sans mandat ou autorisation express du procureur en matière de police judiciaire. Je crois que cela est carrément interdit. Il faut au moins un mandat lorsqu’on interpelle un citoyen qui, du reste, n’est pas un délinquant. Or cette nuit-là, c’est ce que ces soit disant policiers m’ont fait. Ils sont venus tranquillement, gaillardement sans mandat et m’ont forcé à les suivre. Ils m’ont menotté et m’ont battu avant de m’enlever pour aller me séquestrer. La preuve, quand ils ont tenté de me faire déférer au niveau du parquet, le procureur les a tout simplement refoulés en ma présence. Et c’est là que j’ai su que le procureur n’était même pas au courant. Il a dit devant moi qu’il n’était pas au courant de l’affaire Naïm Touré et donc il a tout simplement demandé aux policiers de repartir avec moi voir avec leur hiérarchie. Donc c’est grave.

Des séquelles laissées par les menottes sur les mains de Naïm Touré

Au vu des brimades que vous avancez dans cette affaire, allez-vous contre-attaquer en justice, surtout après avoir «réalisé une batterie d’examens»?  

Pour le moment, je préfère ne pas me prononcer sur cette affaire, mais croyez-moi, elle ne va pas en rester là. Ceux qui m’ont fait subir ces tortures et cette humiliation paieront au plus fort.

Vous considérez cet événement comme une humiliation?

Mais oui! Au-delà même de mon quartier, tous les Burkinabè ont vu ce qui s’est passé. Trois gaillards m’ont contraint par des actes humiliants. Voyez vous-même mes mains. Ce sont des traces de menottes. Ça c’est ce qui est visible que je peux vous montrez. C’est grave et désolant ce que j’ai vécu. Pour un pays qui a connu une insurrection en 2014, pour à peu près les mêmes causes, on ne peut pas reculer comme ça en matière des droits humains. Il faut que les gens répondent. Il faut que des têtes tombent. C’est vrai, aujourd’hui c’est Naïm Touré. Mais demain, à qui le tour?

Vous vous attendiez à cette interpellation que vous qualifiez, vous, d’enlèvement?

C’est vrai qu’on m’appelle, même dans la rue, Naïm l’ami des policiers. Je m’entends bien avec les policiers qui mènent une lutte si noble comme ils le font dans le cas de l’affaire de l’APN. Je leur apporte mon soutien parce que j’estime que ce qu’ils font, va avec mes aspirations. Mais, la hiérarchie policière ne voit pas ça d’un bon œil. Et dans tous les corps il y a des brebis galeuses qu’on manipule. Et donc, ces hauts gradés au sein de la Police ont leurs éléments. Et je parie que ce sont eux qui sont venus accomplir leur basse besogne. De toutes les façons, j’ai vu leur visage et je saurai les identifier. Donc c’est sûr qu’au sein de la Police il y a plein de gradés qui m’en veulent à mort.

Beaucoup de gens vous admirent, et pour s’en convaincre il n’y a qu’à voir vos followers sur vos plateformes, mais certains trouvent la forme de vos écrits très osée. Qu’en dites-vous?

Ha bon!

Ces derniers pensent qu’à travers vos écrits sur Facebook, vous ridiculisez les autorités!

Et si les autorités sont ridicules, bèh, on va les ridiculiser. Ce que je viens de subir, comment vous qualifiez ça? Pour un être humain qui a une morale et un peu de bons sens, comment vous pouvez qualifier ces actes dans ce 21è siècle, dans un pays dit démocratique? Alors quand, par exemple, j’écris que «les autorités sont médiocres», cette affaire en est la preuve. Comment pouvez-vous enclencher une procédure entre vous policiers et arrivés chez le procureur, il vous déboute, des gradés en plus. C’est de la médiocrité. Donc moi j’appelle le chat par son nom. Le jour où ils seront à féliciter, je vais les féliciter.

Ce qui est très rare chez vous!

Mais ils ne m’en donnent pas l’occasion.

A suivre comment vous défendez vos convictions avec force, d’autres estiment que vous comptiez sur quelque chose ou quelqu’un. Est-vous wacké (des puissances surnaturelles) ou quel est le «môgô» puissant qui se trouve derrière Naïm Touré?

D’abord je n’ai jamais fait le Wack. Je suis Africain c’est vrai, mais je ne crois pas trop au Wack. Pour moi, le meilleur Wack, c’est le travail et avoir la foi dans ce qu’on fait. Ensuite, en parlant de «môgô puissant» derrière moi, j’aimerais en avoir (sourire). Le jour où j’ai l’occasion d’être protégé par les môgo puissants, entre griffes, de ce pays… Pour être vraiment honnête et sincère, je n’hésiterai pas à la saisir. Pour le moment, croyez-moi, je vous jure que je n’ai pas quelqu’un derrière moi.

Donc Naïm Touré n’est pas manipulé?

Qui va me manipuler? Si on me manipulait, il y a longtemps que j’étais loin. La preuve, quand les conséquences se présentent, je les assume seul. Si j’avais des puissants avec moi, ce n’est pas sûr que ces policiers allaient venir m’enlever et s’en sortir. Ceux à qui vous faites allusion allaient me protéger. Donc vous voyez que c’est un faux procès qu’on me fait. C’est vrai que j’ai des soutiens de personnes anonymes et de certains mouvements de droits humains crédibles de ce pays, en plus du soutien de mes avocats que je remercie au passage, de même que tous mes proches et amis qui m’ont soutenu dans cette dure épreuve.

Dans la même lancée, on vous taxe d’être un complice des forces du mal qui en veulent au Burkina…

Ça par contre, quand j’entends ces propos, ça me fend le cœur. Pourquoi? Parce que je suis Burkinabè. Je le dis et le répète, je suis né de père et de mère burkinabè, eux-mêmes nés de père et de mère burkinabè. C’est mon pays. Je n’ai nulle part où aller. Pourquoi, je vais me lever, combattre mes frères burkinabè. Non! Ceux qui disent ça ne veulent, tout simplement, pas reconnaître que je dérange ceux qui veulent le mal de ce pays. Un groupe d’amis, de copains et de camarades ou bien un groupe de champagnards ne peut pas se lever, venir prendre en otage le destin de toute une nation et moi Burkinabè, je vais me taire et les laisser faire. Ah non! C’est eux au contraire les ennemis de ce pays-là.

Si j’étais un ennemi de ce pays croyez-moi la rage avec laquelle la Gendarmerie, la Police et la Justice me traquent, il y a longtemps que je serai derrière les barreaux ou bien même peut-être fusillé parce que je suis constamment surveillé. On me file de façon permanente. Ils connaissent mes faits et gestes, mes mouvements. Vous croyez que si j’étais dans une entreprise maléfique, il n’y a pas longtemps qu’ils auraient brandi ça pour me faire passer de vie à trépas? Je ne fais que défendre ce qui est juste pour ce pays et ça dérange plutôt les ennemis.

N’avez-vous pas peur quand vous faites vos écrits?

Peur de quoi? Quand on a le dos au mur, c’est là qu’on se rend compte qu’il faut se battre. Et c’est mon cas. Je préfère, comme le dit la citation célèbre, vivre un jour comme lion, que cent jours comme un mouton. Si Naïm Touré doit disparaître pour ses vérités, ses convictions, et bien qu’il en soit ainsi. Je suis prêt à en assumer les conséquences.

En votre âme et conscience ne pensez-vous pas que certains de vos écrits révèlent des secrets du Burkina au profit des forces du mal?

Nous avons quel secret dans ce pays? Notre armée même à de la peine à s’imposer. Quand vous sortez même en plein Ouagadougou vous voyez des camps qui ne sont pas clôturés. Tout se voit. On parle de quel secret? Est-ce que Naïm a besoin d’écrire pour que les ennemis voient des secrets? Vous pensez que les terroristes sont sur Facebook pour voir ce que Naïm a écrit avant de passer à l’acte? S’ils sont incompétents ou incapables de faire leur travail, ce pourquoi ils sont payés, qu’ils s’assument au lieu d’accuser, comme j’aime le dire, un mecton qui ne fait que s’exprimer librement. Les Burkinabè ont le droit de savoir, d’être informés, et ce droit est défendu par la déclaration universelle des droits de l’homme. Et je mets au défi quiconque de me montrer des publications de Naïm Touré divulguant des secrets militaires ou sensibles.  

Après votre arrestation, il a été dit que vos écrits démoralisent les troupes au front contre les groupes armés terroristes.

Ça m’a fait rire parce que vos confrères du journal français «Le monde.fr» qui a fait un travail formidable d’investigation sur notre armée dont un soldat a témoigné, en disant clairement qu’il est démoralisé. La hiérarchie est assise à Ouagadougou dans des bureaux feutrés alors que ça ne va dans les zones assaillies par les terroristes. De même, lors d’une des conférences de presse de l’APN, son secrétaire général adjoint a fait une déclaration pour signifier clairement que la troupe est démoralisée à cause du comportement du directeur de la Police. Est-ce que c’est moi qui l’ai dit? Si les soldats et les policiers eux-mêmes disent qu’ils sont démoralisés, en quoi un écrit de Naïm va les démoraliser. Donc que chacun s’assume et laisse Naïm.

Naïm Touré montre des trace de menottes sur ses mains

Vous êtes parmi les activistes qui donnent des informations qui souvent se révèlent vraies. Les gens ont envie de connaître votre secret. Quelles sont vos sources?

Je n’ai pas de secret. En tant que journaliste vous-même devez savoir que les sources, on ne les dévoile jamais. Il faut plutôt les protéger parce que ce sont des gens qui ont eu confiance en vous pour vous donner des informations souvent même sensibles. Je n’ai pas de secret.

Travaillez-vous avec tout le monde à savoir les militaires, des OSC, des diplomates, des hommes politiques?

Non, je ne rentrerai pas dans ces détails, mais c’est pour vous dire simplement que j’aime ce que je fais. J’ai la volonté et je ne suis guidé que par la recherche de la vérité. Quand quelque chose est vrai, j’estime qu’il faut en parler. C’est tout. De toutes les façons quand un événement se produit quelque part il y a toujours des témoins. Ce n’est pas forcément des militaires, les gendarmes ou les policiers qui m’informent. Il y a des civils, des anonymes qui peuvent être ma source. Mais je constate que les gens ont toujours tendance à accuser les hommes en armes de me filer certaines informations. Ce qui n’est pas forcément vrai.

Est-ce que Naïm Touré regrette le départ du régime de Blaise Compaoré?

Non! Absolument non! Vous savez, le changement est un processus qui est souvent très long. Après 27 ans, pour déraciner un régime qui s’était bien enraciné, c’est difficile. Je regrette le fait, tout simplement, que les Burkinabè aient reconduit un pur produit de Blaise Compaoré. C’est pourquoi, nous en sommes-là aujourd’hui. Mais par la grâce de Dieu et de nos ancêtres, j’ai bonne foi que les choses vont s’améliorer. Seulement, pour cela, il faut que les populations se battent. Il faut que les Burkinabè se battent pour le vrai changement. Il faut qu’on accepte faire des sacrifices. Mais j’ai l’impression sur ce point que les Burkinabè veulent une chose et son contraire. Vous ne pouvez pas vouloir le changement et ne pas se battre.

Qu’est-ce que vous appelez se battre?

Il faut se battre sur tous les plans. Le changement est un état d’esprit. Il faut que nous acceptions aussi de changer, surtout nos comportements. Je suis sûr que si chaque Burkinabè cultive le changement en lui-même, vous verrez qu’un mois c’est trop pour qu’on amorce le véritable changement. Mais je vous l’avoue, dans notre contexte actuel, c’est très difficile. Chacun parle du changement mais personne ne veut changer.

Donc vous en convenez avec ceux qui disent que chaque peuple mérite ses dirigeants?

Bien sûr! Comme ce que je disais, il n’y qu’à voir le comportement des uns et des autres et vous allez être d’accord avec cette assertion. Si chacun cultive en lui, l’excellence, l’intégrité, et plein d’autres vertus, les choses vont changer. Ces dirigeants même vont se lever et fuir puisqu’on n’aura même pas besoin de les chasser.

Vos écrits ciblent très souvent deux personnalités que sont le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré et le président de l’Assemblée nationale, Alassane Bala Sakandé. Quelle politique ou quelle posture voulez-vous qu’ils adoptent pour le bien-être des Burkinabè?

Je crois que j’ai déjà tout dit dans mes publications. Qu’ils les lisent simplement et en tirent toutes les conséquences. Ils sont assez grands, sûrement même de grands papas, et donc je ne pense pas devoir leur dire ce qu’ils doivent faire. De toute façon, ils savent et en plus ils ont des conseillers. Ils ont dit au moment de leur élection qu’ils sont la solution alors qu’ils nous le démontrent.

Si je vous demande de faire ressortir une caractéristique propre au régime du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP)?

Peut-être que ça va vous faire rire. Je les féliciterai d’avoir quand même réussi la prouesse de faire regretter à 90% des Burkinabè, le départ de Blaise Compaoré. Ça quand même c’est une prouesse. Il fallait Roch Kaboré et son MPP pour réussir cette prouesse. C’est tout.

Quels sont vos liens avec Aminata Rachow, une autre activiste que vous connaissez bien ?

Aminata Rachow est une femme qui publie beaucoup sur les réseaux sociaux, qui fait à peu près la même chose que moi.

Avez-vous un lien familial avec elle?

Non pas du tout. On se respecte mutuellement. On a de bons rapports, même si plusieurs personnes ne voient pas ça d’un bon œil. Mais ça c’est leur problème. Même à la police, ils ont voulu poser des questions sur elle et je leur ai dit que de la manière dont ils ont fait pour savoir où j’étais pour venir m’enlever, qu’ils fassent la même chose pour la retrouver. Ce n’est pas moi qui va venir vendre une de mes camarades activistes. Non! Aminata Rachow, je la respecte beaucoup, elle me soutient et je la soutiens aussi. C’est tout.     

Par Bernard BOUGOUM