Une messe du samedi ne peut qu’être différente de celle de tous les dimanches. C’est bien le constat qui a été fait pas les centaines de fidèles qui ont pris d’assaut, ce samedi 15 février, la cathédrale Saint-Paul d’Abidjan. L’assistance n’a pas eu droit qu’à la classique célébration oecuménique, mais à une gigantesque communion pour la paix. Plus qu’une simple prière c’est un véritable coup du cœur, ou coup de gueule, c’est selon, que les croyants ont lancé à l’endroit des politiciens, à l’approche de la présidentielle ivoirienne annoncée pour le mois d’octobre prochain. «Allons à la paix!». Le slogan, à lui seul résume bien la volonté des hommes de Dieu et de leurs ouailles de désamorcer cette bombe préélectorale dont les déflagrations risquent de ramener la Côte d’Ivoire aux années de guerre sanglantes de la rébellion et des tueries qui ont marqué la dispute du pouvoir entre Allassane Ouattara et Laurent Gbagbo, suite à l’élection présidentielle de 2010. Les souvenirs de la guerre civile de 2011 qui a fait pas moins de 3 000 morts hantant les esprits et les oreilles encore bourdonnant des rafales et autres détonations d’armes lourdes, les Ivoiriens invoquent par tous les moyens, la paix, cette denrée qui est devenue d’une rareté déconcertante, depuis la mort du président Houphouët Boigny. Plus qu’un mot, c’est un comportement, disait le Vieux de son vivant.
Mais aujourd’hui, parmi les successeurs, et surtout ceux qui se réclament les héritiers, du premier président de la république de Côte d’Ivoire, lequel, cultive ce comportement en lui-même et, a fortiori, en fait un leitmotiv pour ses concitoyens? Aucun, peut-on dire sans risque de se tromper. Que ce soit Henri Konan Bédié, qui a semé la graine de l’ivoirité, ou Laurent Gbagbo qui l’a arrosée et entretenue, en passant pas Alassane Ouattara à qui il est attribué, à tort ou à raison, la casquette de la rébellion de 2002 qui a favorisé son arrivée au pouvoir, aucun de ces dirigeants ne s’est mis dans cette posture d’homme de paix. Et logiquement, la division et la haine sont devenues la marque déposée de ces hommes politiques qui s’allient, se désunissent et se re allient, pour dans le seul but de conquérir ou conserver le pouvoir d’Etat et jamais pour les intérêts d’un peuple pacifique qui ne demande pourtant qu’à vivre dans la cohésion sociale, gage de tout développement. Malheureusement, cette tare qui perdure alors que les régimes passent prend une ampleur sans commune mesure, surtout à l’approche des échéances électorales qui sont devenues très conflictogènes sous les tropiques, surtout en Côte d’Ivoire. La présidentielle de 2020, vue de plus en plus comme l’élection de tous les dangers semble ne pas pouvoir échapper à la règle. Pire, Alassane Ouattara de qui l’on dit qu’il pourrait succomber aux charmes du troisième mandat, éloigne de la Côte d’Ivoire tous les autres candidats de poids et persécute leurs proches et militants restés sur place. L’Eglise catholique qui a toujours donné de la voix dans la chose politique en cas de dérive, comme elle l’avait fait au profit de l’actuel président ivoirien, a donc décidé, une fois de plus de calmer le jeu et d’interpeler celui-ci pour l’organisation d’élection apaisée, inclusive et sans modification des règles du jeu, pratiquement en plein match.
Certes, cette grande messe du samedi 15 février 2020 n’a pu se prolonger par la marche que les religieux avaient prévue, l’immixtion de l’opposition et des menaces graves d’atteinte à l’intégrité physique des manifestants étant passées par là. Mais, en présence de représentants des politiques, au pouvoir ou non, le rassemblement doit pouvoir faire tache d’huile. Surtout si les pasteurs, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, maintiennent la pression sur leurs brebis, dans une neutralité politico-ethnico-religieuse, pour redonner à la Côte d’Ivoire cette paix qu’elle mérite amplement après les années de braise.
Par Wakat Séra