Les autorités municipales ont autorisé ce lundi 20 avril 2020, comme annoncé, la réouverture de Rood-Wooko, le plus grand marché du Burkina qui avait été fermé le 26 mars dernier en vue de la limitation de la propagation du Coronavirus qui a fait, à ce jour, 36 décès dans le pays. Des policiers municipaux et des volontaires formés pour la sensibilisation sur les mesures sanitaires recommandées, veillaient au respect strict des consignes édictées par les autorités sanitaires, a constaté une équipe de Wakat Séra.
Quand il faut faire montre de témérité pour accéder au marché Rood-Wooko
Ils étaient plusieurs centaines de commerçants à être devant les entrées principales de Rood-Wooko, dès 7H du matin, heure officielle annoncée pour l’ouverture du plus grand marché du Burkina Faso. Mais, ce n’est que vers 8H30, que les tous premiers commerçants qui sont restés debout devant les grosses grilles et autres barrières du marché, elles-mêmes gardées en cette matinée par une forte équipe de policiers municipaux, auront accès au marché non sans se soumettre aux exigences du dispositif sanitaire et de contrôle mis en place.
Alignés en file indienne, un à un, chaque commerçant qui porte un cachez-nez, passe d’abord laver ses mains aux savons, avant de poursuivre la désinfection de ses mains avec du gel hydro-alcoolique et terminer par une prise de température, avant d’aller vers sa boutique. Une fois à l’intérieur, pour ceux qui pensaient avoir rusé avec les consignes dont le port du masque et une fois à l’intérieur font fi en l’enlevant ou en ne respectant plus les mesures sanitaires, ils sont encore sensibilisés par des volontaires, ou bien tout simplement rappelés à l’ordre par les agents de la Police municipale qui sillonnent en nombre dans les allées du bâtiment à niveau.
Alors, quoi de plus normal que les avis et autres commentaires libres des occupants de Rood-Wooko aillent bon train, pour des commerçants, habitués depuis des lustres, à une totale liberté au niveau des marchés ou « Yaars », une expression de la langue locale Mooré qui veut dire « anarchie ou désordre ». Toutes les douze portes d’entrées du marché, prises d’assaut par des commerçants qui étaient lasses de chômer à la maison, faisant fi à ce niveau de distanciation conseillée, sont soumises aux mêmes règles.
Les commentaires des commerçants sur la préparation de l’ouverture du marché
Pour la plupart des commerçants qui sont arrivés tôt entre 6 et 7H, l’heure d’ouverture étant auparavant annoncée pour 7H00 (Gmt), si cette heure avait été rigoureusement respectée, ça aurait pu permettre d’éviter les bousculades constatées devant les portes d’entrée. Et, les mesures de distanciation auraient pu être aussi respectées. Mais pour certains, quel qu’en soit le dispositif mis en place, vu le nombre de personnes que le marché accueille, et chacun voulant être le premier à accéder au marché, on ne pouvait pas éviter ces forts rassemblements et les bousculades. A cela, s’ajoute le fait que beaucoup de gens traversant depuis un moment avec la fermeture une période difficile en termes financiers, sont déjà remontés.
« On est restés près d’un mois à la maison. On est venus ce matin, l’ouverture est effective. Cela est vraiment une bonne chose pour nous. Mais moi je doute fort si ces consignes pourront être respectées à la longue », déclare Issaka Kanazoé. Face à la nouvelle règle de la mairie centrale demandant que devant chaque boutique, il n’y ait pas plus de deux personnes, ce commerçant estime que ça sera une disposition « très difficile » à respecter car « il y a des boutiques gérées par trois, quatre personnes, voire plus. Et chacun cherche à manger ».
En plus des dispositifs au niveau des entrées, les commerçants doivent revoir leur comportement au sein même du marché. Ils sont soumis au port obligatoire à tout temps des bavettes, au respect des lignes rouges à ne pas franchir devant chaque boutique, à la distance d’un mètre à respecter face à un client et l’interdiction de se saluer avec les mains, tout comme les regroupements sont interdits. Mais, pour M. Kanazoé, ces mesures comme les consignes sanitaires seront respectées au « début mais pas pour longtemps ». Son voisin qui n’a pas voulu s’exprimer ouvertement a souri sur cette question en laissant entendre que si les policiers partent, les enfants, entendus par-là, les jeunes commerçants, vont emmerder les volontaires de sorte à ce qu’ils partent d’eux-mêmes.
« Moi je suis très contente de l’ouverture du marché. Que Dieu nous épargne seulement de la maladie pour qu’on n’en arrive pas à une seconde fermeture. Quant au dispositif, pour moi c’est propre, il n’y pas de souci », rassure Maï Sana, propriétaire d’une boutique à Rood-Wooko. Pour elle et ses camarades avec qui nous avons échangé, « les gens doivent comprendre et suivre les consignes parce qu’avant tout, c’est pour nous-mêmes notre santé, partant celle de nos proches et du pays », souhaitant prompt rétablissement aux patients traités au Centre Hospitalier Universitaire de Tengandogo (CHU-T).
S’il est vrai que l’ouverture du plus grand marché de Ouagadougou soulage plus d’un, certains commerçants ne manquent pas l’occasion de rappeler qu’ils ont traversé une période « très difficile ». C’est le cas de Nafissatou Ouédraogo, qui affirme que « vraiment moi je suis soulagée avec l’ouverture du marché aujourd’hui. Voyez vous-même comment on avait dépéri. C’est vraiment une période très difficile que nous venons de vivre ».
Pour elle, il ne faut pas que les gens fassent croire aux autorités dès l’ouverture qu’ils ne vont pas respecter ce qu’elles ont pris comme dispositions sanitaires et sécuritaires. « Chacun doit se soumettre. Ca n’arrangera personne si personne ne respecte les mesures qui doivent arriver à éradiquer la maladie du Coronavirus », a-t-elle renchéri, en souhaitant qu’on ouvre les autres marchés aussi et veiller à l’application des mêmes consignes sur ces lieux.
« Vous-mêmes vous savez qu’un marché comme Rood-Wooko qui était fermé près d’un mois, à l’ouverture, même sans les mesures restrictives des autorités, les gens même allaient faire face à des difficultés connexes à la fermeture. Si fait que beaucoup sont déjà tendus en arrivant ici », observe Abdoul Bikienga qui dit avoir foi que, les jérémiades et autres plaintes sommes toutes légitimes, seront réglées. Le problème est que pour le moment les commerçants, cherchent d’abord leur repère après la fermeture, poursuit-il, se disant convaincu qu’avec le temps « l’ensemble des gens comprendront le bien-fondé de ce nouveau comportement qu’on leur impose. Avant tout il faut rappeler qu’il s’agit d’une question de maladie qui n’a pas de médicament. Personne ne souhaite mourir à ce que je sache », conclut Abdoul Bikienga, commerçants à Rood-Wooko.
Dans le marché, devant chaque allée, dès les entrées, il y a des volontaires qui sont arrêtés en tenue avec des chasubles couleur orange. Ils sont environ 400 selon nos informations et ont été formés en urgence hier dimanche pour venir sensibiliser les commerçants et les clients sur les consignes sanitaires dont les gestes barrières à la maladie à Coronavirus.
« Notre rôle c’est de contribuer à la sensibilisation, aux mesures barrières édictées par le ministère de la Santé dans le cadre de la lutte contre le Coronavirus. Nous leur disons par exemple de porter leur masque, de se laver les mains avant de rentrer dans le marché », fait savoir Oumarou Ouédraogo, un étudiant qui s’est porté volontaire pour cette mission qui durera un mois.
Rood-Wooko s’ouvre dans la poussière…
Les premiers commerçants qui ont eu accès au marché, ont commencé à balayer les ordures composés essentiellement des feuilles des arbres entassés par endroit, des cartons pourris, des sachets, des cordes pourris, des files, des morceaux de pagnes, des morceaux de planches, etc. Si fait qu’entre 9h et 9H30 minutes, le marché était irrespirable à cause d’une immense nuée de poussière qui s’est emparée de Rood-Wooko.
Tout portait à croire que l’ambiance de Rood-Wooko qu’on connait allait reprendre normalement dans l’après-midi quand la majorité aura pu accéder au marché central de la capitale burkinabè. Tout ou presque tout se passait plus ou moins bien à l’intérieur de Rood-Wooko.
Mais, quand nous ressortions, côté Sud du marché, nous avons vite fait de constater que les mêmes mesures ne sont pas rigoureusement respectées dehors aux abords du marché. Assis côte à côte sur un banc de fortune d’un mètre et demi de longueur, autour d’un vendeur de café et de thé, un groupe de cinq jeunes nous a trouvé un peu agaçant quand nous avons voulu comprendre s’ils ignoraient les gestes barrières dont la distanciation ou bien s’ils n’arrivaient pas encore à accommoder leur comportement avec les exigences de l’heure.
« Je pense que c’est à l’intérieur que c’est (les gestes barrières au Covid-19) obligé, sinon si on va exiger les mêmes comportements dehors ici ça sera difficile pour nous », nous a rétorqué frontalement l’un d’entre eux, nous interpellant à regarder tout autour si la mesure de distanciation d’au moins un mètre est respectée.
Un peu plus loin, nous voyons également un autre regroupement de six jeunes vendeurs de téléphones portables. Parmi eux, il n’y avait qu’une seule personne qui portait son masque. Dans l’ensemble, même si les commerçants acceptent que la maladie à Coronavirus est réelle et dangereuse, cela ne se voit pas dans leur comportement, chacun pris individuellement, malgré le fait que des affiches de gros plans sont installées tout autour du marché avec des messages de sensibilisation sur le Covid-19 qui touche près de 600 personnes au Burkina.
En rappel, depuis que le virus a été déclaré le 9 mars 2020, le gouvernement a pris des mesures de restriction en vue d’éteindre la maladie. Entre autres il y a la fermeture des marchés dont Rood-Wooko, l’instauration de couvre-feu et la mise en quarantaine des villes qui hébergent des patients Covid-19.
Par Bernard BOUGOUM