Dans cette tribune dont le titre originel est : « Haute cour de justice du Burkina Faso : le procès équitable est de l’intérêt de tous », le juriste Amadou Traoré, trouve, entre autres, déplorable le silence de certaines « voix écoutées ».
Le lundi 8 mai 2017, la Haute Cour de Justice a renvoyé le procès des ministres du dernier gouvernement du Président Blaise COMPAORE au lundi 15 mai afin que ceux-ci constituent de nouveaux conseils pour les assister. L’ensemble de leurs avocats venait de se retirer de la salle d’audience pour protester contre la violation de la Constitution par la Haute Cour de Justice.
« Nous ne pouvons pas nous reconnaitre dans cette justice qui méprise la Constitution, les textes internationaux et les droits de la défense », avait affirmé Me Antoinette OUEDRAOGO au nom de tous ses collègues à la sortie de la salle d’audience.
Quelques jours avant, le 4 mai 2017, la Haute Cour de Justice avait déjà dénié à Me Pierre-Olivier SUR le droit de représenter le Président Blaise COMPAORE au motif que ce dernier était absent à l’audience. L’avocat avait alors parlé d’atteinte au droit à un procès équitable de son client. En réponse, la Haute cour de justice s’était fendue d’une déclaration pour dire que « …L’avocat assistant son client en matière pénale ne peut donc plaider devant le Tribunal ou la Cour qu’en présence de la personne qu’il assiste, cela d’autant plus que l’audience de jugement devant le tribunal correctionnel ou devant la juridiction criminelle est organisée selon le principe de la comparution obligatoire du prévenu ou de l’accusé.
Messieurs Blaise COMPAORE, Assimi KOUANDA et Madame BOLY née Barry KOUMBA, n’étant pas présents à l’audience et au regard des dispositions qui encadrent l’intervention de l’avocat en matière pénale devant les juridictions de notre pays, leurs conseils ne peuvent être autorisés à plaider devant la Cour. »
Ces deux incidents de procédure posent le problème général de la difficulté d’un jugement « ex aequo et bono » c’est-à-dire en équité devant la Haute Cour de Justice.
Cependant, force est de reconnaitre que le droit à un procès équitable, élevé aujourd’hui en principe fondamental, constitue une exigence de l’Etat de droit.
Il est déplorable que des voix écoutées ne se soient pas prononcé sur la question au regard de l’importance du procès. Je veux prendre en exemple le MBDHP ou le CGD qui ont naguère soutenu avec conviction le droit à un procès équitable pour d’autres justiciables.
Ainsi, dans son Rapport sur la Justice et l’Etat de droit au Burkina Faso de septembre 2011, le Centre pour la Gouvernance Démocratique (CGD) soutenait avec moult détails son attachement aux règles du procès équitable prévues dans les instruments internationaux et les textes nationaux dont l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le Centre précisait que la traduction procédurale de cet article appelait notamment au respect des droits de la défense et à la célérité de la procédure.
De même, lors de son intervention à la 53ème session de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) tenue en avril 2013, le Mouvement burkinabé des droits de l’Homme et des peuples (MBDHP) demandait à l’Etat du Burkina de « Respecter le droit à un procès équitable de l’ensemble des personnes détenues et plus particulièrement des militaires incarcérés suite aux mutineries intervenues en 2011 » et à la CADHP d’interpeller le Burkina Faso sur « ces violations qui sont pour la plupart dues au déficit de gouvernance démocratique. »
Aujourd’hui, des doutes existent sur la capacité de la Haute Cour de Justice d’assurer aux ministres du dernier gouvernement du Président Blaise COMPAORE un procès détaché des considérations politiques de l’heure.
Les voix de ces structures devraient s’élever en toute impartialité pour dénoncer un procès vicié dès son entame.
La déclaration du Procureur Général près la Haute Cour de Justice tendant à affirmer que « le parquet aurait fait une faveur aux accusés en leur permettant d’être assistés par des avocats » est étonnante à ce propos, parce qu’elle constitue une ignorance des droits de la défense et du droit à un procès équitable.
De même, les déclarations haineuses de certains juges parlementaires à l’égard des comparants présagent bien plus d’un règlement de compte que d’un procès régulier. Mais du point de vue procédural, ce sont les motifs des incidents de procédure ayant conduit au retrait des avocats qui méritent que l’on s’y arrête, essentiellement :
- le rejet par la Cour de l’exception d’inconstitutionnalité de la loi portant organisation de la Haute cour de justice ;
- le rejet par la Cour du droit de représentation du Président Blaise COMPAORE par le bâtonnier Me Pierre-Olivier SUR, incident qui pose le problème de la représentation du justiciable absent.
I- LE RECOURS EN INCONSTITUTIONNALITE CONTRE UNE LOI EN VIGUEUR
A l’ouverture du procès le 8 mai passé, les avocats ont saisi la Cour d’une requête visant à demander la saisine du Conseil Constitutionnel sur l’inconstitutionnalité de la loi relative à la Haute Cour de Justice. Cette dernière ayant rejeté ladite requête, les avocats se sont retirés de la salle.
A titre de rappel, l’exception d’inconstitutionnalité est le droit reconnu à toute personne qui est partie à un procès ou une instance, de soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit et d’obtenir le renvoi de la disposition devant le Conseil constitutionnel afin qu’il se prononce et, le cas échéant, abroge la disposition législative. Le recours en inconstitutionnalité offre donc aux justiciables des moyens juridiques d’inopposabilité d’une loi déjà en vigueur.
L’article 157 de notre Constitution tel que modifié par la loi constitutionnelle n°072-2015/CNT du 05 novembre 2015 portant révision de la Constitution dispose en son 2ème paragraphe que : « …..tout citoyen peut saisir le Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne devant une juridiction. Celle-ci doit surseoir jusqu’à la décision du Conseil constitutionnel qui doit intervenir dans un délai maximum de trente jours à compter de sa saisine.
Le Conseil constitutionnel peut se saisir de toutes questions relevant de sa compétence s’il le juge nécessaire. »
Cette nouvelle disposition accorde un droit de saisine directe du Conseil constitutionnel aux justiciables. Avant la relecture de la disposition, seules les juridictions pouvaient saisir le Conseil Constitutionnel, de fait que leur manque de réactivité empêchait les justiciables de poursuivre leurs droits.
Ensuite, cette formulation ne renvoie pas à une loi d’application comme c’était le cas avec la version abrogée, de sorte que la saisine du Conseil constitutionnel se trouve simplifiée.
Les avocats des ministres du dernier gouvernement du Président Blaise n’ont donc pas besoin de l’aval de la Haute Cour de Justice ou de l’entremise de la Cour de Cassation : ils peuvent saisir directement le Conseil Constitutionnel d’une exception d’inconstitutionnalité de la loi organique n°20/95/ADP portant composition et fonctionnement de la haute cour de justice et procédure applicable devant elle.
Pour le cas où cette saisine du Conseil constitutionnel serait faite, l’audience du lundi 8 mai ne pourra plus se tenir, parce que la Haute Cour serait dans l’obligation d’attendre que le Conseil constitutionnel vide sa saisine.
Au regard du droit positif, l’on ne peut que s’étonner que les juges parlementaires puissent ignorer les compétences de la Haute Cour de Justice au point de vouloir passer en force sur la saisine du Conseil constitutionnel. Certains sont pourtant des professionnels du droit.
II- LA PROBLEMATIQUE DE LA REPRESENTATION DU JUSTICIABLE ABSENT
A l’ouverture du procès, le bâtonnier Me Pierre-Olivier SUR avait souhaité représenter son client, le Président Blaise COMPAORE. La Cour l’a exclu du procès au motif que son client est absent. Il s’est plaint de ce déni de droit de représenter le Président Blaise COMPAORE qui, l’a-t-il rappelé, n’a jamais reçu de notification de comparaitre alors que son domicile habituel sur le territoire ivoirien est connu.
A ce propos, le Procureur Général près la Haute Cour de Justice a déclaré que « Monsieur Blaise COMPAORE a été cité à parquet après des recherches qui se sont révélées infructueuses » et qu’interprétant l’article 417 du Code de procédure pénale, il en déduit que faute de comparaitre, le prévenu ne peut pas être assisté par un conseil.
Le bâtonnier Me Sur justifie l’absence de son client par le fait que le Président Blaise Compaoré ne faisant pas confiance à l’accusation ne comparaitra pas, parce qu’« il ne s’agit pas d’un procès équitable, mais d’une procédure détournée et absurde, dans laquelle il est poursuivi non pas en tant que président mais en tant que ministre de la Défense d’un Conseil des ministres qu’il présidait !».
Ces échanges sont instructifs sur la vision des parties en présence par rapport à la conduite du procès. L’on en retient des éléments indubitables :
Tout d’abord, il est avéré qu’en notifiant la convocation du Président Blaise COMPAORE à parquet, c’est-à-dire sans quitter Ouagadougou, la Haute Cour de Justice ne recherchait pas sa comparution en personne, autrement, son domicile habituel en terre ivoirienne est connu et les moyens de l’y notifier valablement existent, soit à travers la coopération judiciaire, soit par le canal de notre représentation diplomatique dans ce pays.
Ensuite, le Président Blaise COMPAORE a raison de ne pas faire confiance à une juridiction qui a obtenu sa mise en accusation en violation flagrante des dispositions constitutionnelles. Pour preuve, la mise en accusation a été effectuée par le Conseil National de la Transition (CNT) au mépris du quorum requis par la Constitution et par un vote à main levée au lieu du vote secret requis par les textes. Le Conseil constitutionnel saisi de cette irrégularité s’est déclaré incompétent pour se prononcer sur l’inconstitutionnalité de la résolution irrégulière.
Cette dérobade incompréhensible de la juridiction suprême du Burkina Faso n’est pas sans rappeler les pratiques de la république imaginaire du Gondwana de l’humoriste Mamane.
Enfin, le Président Blaise COMPAORE a le souci de se faire entendre et il a des choses à dire comme peut l’attester la présence de son avocat au procès alors que son client n’a pas reçu notification de comparaitre.
L’absence du Président Blaise COMPAORE pose le problème général du droit au procès équitable dont la question a été définitivement réglée en France et dans toute l’Europe par les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de cassation française.
En France, la jurisprudence interne traditionnellement sévère empêchait le prévenu non comparant et sans excuse d’être représenté par son conseil. Mais en 1993, la France a été condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui concluait que la privation du droit à l’assistance d’un avocat en raison de l’absence injustifiée du prévenu lors de l’audience de jugement constituait une sanction disproportionnée (Arrêt Poitrimol, 23 novembre 1993). Elle se fondait sur les dispositions de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH).
En 2001, la Cour de cassation française, se fondant sur ce même article 6 de la CEDH portait la même analyse et rendait une décision semblable en estimant que la juridiction répressive ne peut juger un prévenu non comparant et non excusé sans entendre l’avocat présent à l’audience pour assurer sa défense. (Cass. ass. plén., 2 mars 2001)
C’est dire que l’évolution contemporaine du régime de protection des droits de la défense cherche à réduire les hypothèses de jugement par défaut. Le contradictoire doit être aussi effectif que possible et l’avocat régulièrement mandaté y tient un grand rôle. Si le prévenu est représenté par son avocat, celui-ci doit pouvoir s’exprimer, le jugement est alors contradictoire ; il ne sera donc pas nécessaire de le signifier.
Dans un système pénal où la place du contradictoire se renforce, le jugement du prévenu en son absence apparaît comme une anomalie et une incongruité, surtout dans le cas qui nous concerne.
En l’espèce, le Procureur général a banalisé la situation en disant que l’absence du Président Blaise COMPAORE« … ne pose pas de problème particulier. Nous ne pouvions pas le contraindre à être présent, il nous fallait donc faire un choix : patienter, tout en sachant qu’il ne se présenterait jamais spontanément, ou bien le juger par contumace, afin de ne pas pénaliser davantage les victimes, qui demandent justice. Nous avons retenu la seconde option. »
Mais nul n’est besoin de rappeler qui est le Président Blaise COMPAORE pour savoir que son absence à ce procès pose problème parce qu’il détient des informations cruciales qui pourraient servir à l’éclosion de la vérité.
Accepter la représentation du Président Blaise COMPAORE par son avocat dans le présent procès se fonde sur la nécessité et l’opportunité de délivrer des informations crédibles sur les évènements des 30 et 31 octobre 2014, si la Haute Cour de Justice a bien sûr besoin de connaitre la vérité. Cela est d’autant plus nécessaire que les ministres ne sont que des complices et que les auteurs restent à découvrir.
III- L’UNIVERSALITE DU DROIT AU PROCES EQUITABLE
Tout le déroulement précédent pose le problème du respect du droit au procès équitable, notion qui pourrait se résumer en deux principes cardinaux que sont : le droit à être jugé par un tribunal impartial et indépendant et le droit au respect du contradictoire et des droits de la défense. Le droit à un procès équitable est également la source d’autres principes, et garanties : droit au juge, droit à impartialité et indépendance, droit à l’égalité des armes, droit d’être jugé dans un délai raisonnable, présomption d’innocence, principe légaliste, principe du contradictoire, droit de la défense.
La notion a pour objet de protéger le justiciable du danger d’une justice secrète qui pourrait échapper au contrôle public, étant entendue que la vraie justice est rendue au nom du peuple et pour le peuple, et qu’elle ne saurait s’accommoder de décisions injustes et inéquitables.
Le droit à un procès équitable a pris une importance majeure en Europe à travers la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), signée à Rome le 4 novembre 1950 et entrée en vigueur le 3 septembre 1953 entre les Etats européens. L’originalité de la Convention tient au fait qu’elle garantit non seulement les droits substantiels, mais aussi des droits procéduraux dont le droit au procès équitable prévu par l’article 6. La Cour européenne des droits de l’homme, créé par la Convention a été mise en place en 1959 pour appliquer le droit à l’échelle intereuropéenne et même internationale.
La Convention européenne des droits de l’homme, à travers son article 6 sur le procès équitable, a beaucoup contribué à la construction d’un fonds commun procédural qui s’impose à tous les Etats soumis à l’emprise des instruments internationaux. L’article 6 concerné fixe le cadre du procès équitable et le socle de base des garanties fondamentales dont tout justiciable doit être assuré de pouvoir bénéficier.
Il est cependant important de souligner que la Cour Européenne des droits de l’homme tire sa force de l’interprétation de différents instruments juridiques internationaux dont les plus importants sont l’article 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 et l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Tous ces instruments sont ratifiés par le Burkina Faso.
Mieux, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 inscrite dans le préambule de la Constitution du 11 juin 1991 en fait partie intégrante.
Du reste, le droit à un procès équitable est garanti par l’article 4 de la Constitution du 11 juin 1991 qui dispose que : « Tous les burkinabè et toute personne vivant au Burkina Faso bénéficie d’une égale protection de la loi. Tous ont droit à ce que leur cause soit entendue par une juridiction indépendante et impartiale. Tout prévenu est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie. Le droit à la défense y compris celui de choisir librement son défenseur est garanti devant toutes les juridictions».
Il est donc constant que le Burkina Faso a souscrit totalement et entièrement aux règlementations internationales qui fondent le principe du procès équitable des justiciables. Il lui reste à se conformer sérieusement et rigoureusement à cet engagement pour justifier sa prétention à être un Etat de droit et non un pays où règne l’arbitraire érigé en système.
Dès lors, le Burkina Faso doit faire siennes les dispositions de ces différents instruments juridiques ratifiés car l’Etat de droit, c’est le respect des règles de droit et de cette hiérarchie des normes.
Et si nous disons que le Burkina Faso est un Etat de droit et que l’Etat de droit a les mêmes principes sous tous les cieux, les juridictions burkinabè doivent être en mesure de rendre des décisions conformément aux standards internationaux.
CONCLUSION
Depuis la Transition politique dans notre pays, les dirigeants ont tendance à s’affranchir des exigences de l’Etat de droit. Cela s’est traduit entre autres par la violation des dispositions constitutionnelles, le déni de droit de la décision de la Cour de justice de la CEDEAO, la négation des obligations liées aux conventions ratifiées, et biens d’autres. Pourtant, la justice est le socle de l’Etat de droit. Et lorsque du fait des décisions juridictionnelles manifestement illégales le citoyen perd confiance en l’institution judiciaire, le gouvernant pourra difficilement le convaincre de la nécessité de respecter l’autorité de l’Etat.
Les juges de la Haute Cour de Justice jouent la crédibilité et la stabilité du Burkina dans ce procès dont les décisions auront une incidence sur tous les secteurs de la vie de notre pays.
Amadou TRAORE
Juriste