Les Africains, notamment ceux francophones vivent le printemps de la célébration des indépendances, acquises ou données, c’est selon. «Aujourd’hui 5 août 1960, à zéro heure, au nom du droit naturel de l’homme à la liberté, à l’égalité, à la fraternité, je proclame solennellement l’indépendance de la République de Haute-Volta.» Le ton était martial et la nouvelle, annoncée à Ouagadougou, par Maurice Yaméogo, a été accueillie, par la magie des ondes, dans les plus petits hameaux du pays. C’était un grand jour dans l’histoire de la Haute-Volta. La liesse populaire s’est emparée de tout le pays, comme dans d’autres capitales qui se sont, ou plus justement, ont été, libérées de la tutelle de la France. Heureuses de tenir désormais leur destin en main, comme le leur ont fait croire les élites et autres politiciens, les populations ont chanté et dansé.
Elles étaient persuadées que désormais, elles pouvaient tout faire comme le colon qui jouissait, en son temps, de droits particuliers. Le drapeau noir, blanc et rouge, couleurs des trois affluents du fleuve Volta, se dressait fièrement sur les têtes de Voltaïques euphoriques. Par le biais de l’Assemblée nationale dominée par les militants du mythique Rassemblement démocratique africain (RDA), parti unique, Maurice Yaméogo, 39 ans, est confirmé, en décembre 1960, comme président de la jeune république indépendante de Haute-Volta. Ailleurs sur le continent, c’était les mêmes pas de danse d’«indépendance tcha tcha».
Mais la grande joie de l’annonce de l’indépendance n’aura d’égale, quelques années plus tard, que la désillusion des populations qui ont réalisé qu’elles sont juste passées des mains des colons à celles de nouveaux maîtres, qui, eux-mêmes servent, sous les ordres de Paris. Cette dépendance dans l’indépendance, qui est toujours d’actualité, mais dans son format plus subtil et plus abouti de la coopération, ne laissera pas de place aux révolutionnaires. Le jeune et fringant capitaine Thomas Sankara, qui a fait irruption sur la scène politique voltaïque, à la faveur de la révolution du 4 août 1983, en fera les frais. Pourtant, le continent africain, avec Patrice Lumumba, venait d’avoir son nouveau «Che Guevara». Il connaîtra, d’ailleurs comme le Congolais, lui aussi poil à gratter des Occidentaux, un destin tragique.
Le président feu-follet, icône de la jeunesse africaine, n’aura eu que le temps de changer le nom de la Haute-Volta en Burkina Faso, c’est-à-dire le «pays des Hommes intègres», et le drapeau qui, de noir, blanc, rouge, a pris des couleurs, avec le rouge de la révolution et du courage, surplombant le vert de l’espoir, les deux bandes portant en leur milieu, une étoile jaune à cinq branches. Une étoile qui luit toujours, bien que le père de la révolution burkinabè, «anti-impérialiste, socialiste, panafricaniste, tiers-mondiste» soit, depuis un sinistre 15 octobre 1987, six pieds sous terre, abattu lors d’un coup d’Etat, qui porta au pouvoir, son alter égo de l’époque, le capitaine Blaise Compaoré.
Après ses 61 ans d’indépendance, le Burkina Faso, à l’instar de bien d’autres pays africains, notamment ceux du pré-carré français, sont encore à la recherche de la véritable émancipation, tant politique qu’économique. Il court par exemple, toujours derrière le rêve de l’industrialisation qui lui échappe comme une anguille. Le coton que ses paysans produisent en quantité et en qualité, est exporté, à un prix que lui impose le commerce international, dans lequel il est inexistant comme son continent l’Afrique. «L’or blanc», que produisent également le Mali et le Bénin, revient donc, dans ces pays, en tissus, pagnes, chemises, pantalons, costumes, caleçons, etc., mais coûtent une fortune. Et il en est de même pour toutes les matières premières dont les Africains sont toujours incapables d’assurer la transformation sur place.
Pouvait-il en être autrement, lorsque, au lieu de privilégier les grands ensembles qui leur permettront de peser sur les décisions qui guident la marche du monde, chaque dirigeant africain préfère être à la tête de petits territoires insignifiants dans la balance commerciale mondiale? Pour eux, mieux vaut être tête de rat que queue de lion. C’est dans la même logique que malgré leurs indépendances vieilles de plus de soixante ans, les Africains sont contraints de tendre la sébile pour survivre, pour se soigner, et même pour construire des toilettes! Les pays sahéliens, aujourd’hui confrontés à la menace terroriste, confient, sans autre forme de procès, la sécurité de leurs populations et la défense de leurs territoires à la France. Habitués à toujours tendre la main, les dirigeants africains vont voir aussi chez d’autres «partenaires», comme la Russie et la Chine, après avoir voué aux gémonies, cette même France qu’ils accablent de tous les péchés capitaux. Pourtant, comme l’a dit le célèbre politicien et historien voltaïque, pardon burkinabè, Feu Joseph Ki-Zerbo, «on ne développe pas, on se développe».
En tout cas, comme tous ces pays africains qui sont restés à quai du développement, le Burkina Faso attend toujours son indépendance, le passage à la vraie souveraineté nationale.
Par Wakat Séra