Apologie du viol. «La télé d’ici vacances», diffusée ce lundi, a créé un émoi qui a traversé les frontières de la Côte d’Ivoire, grâce à, ou à cause de, la magie des réseaux sociaux. Son animateur est même en garde-à-vue pour être présenté au parquet. Il a donné la parole à un ancien condamné pour viol a fait monter la grogne à un niveau que seuls savent atteindre, pour l’instant, les spécialistes de la polémique que sont les politiciens en mal de publicité.
Yves de M’Bella a poussé le bouchon trop loin, par la mise en scène d’un viol sur un mannequin, objet sur lequel s’est déchaîné, sans retenue, l’ancien prisonnier qui avait comme retrouvé ses instincts d’ancien violeur. Et l’animateur n’y est pas allé de «langue morte» par des expressions contextuelles de ce genre d’acte. Florilège: «Est-ce que tu peux nous montrer comment tu faisais tes viols. Voilà une go, comment tu fais, tu l’attaques de devant ou de derrière, tu touches son sexe, ça peut l’exciter,…» Et tutti quanti!
S’il faut concéder au brillant animateur, son intention première, par lui exprimée, de vouloir sensibiliser sur le phénomène et encourager la lutte pour l’éradiquer, il faut dénoncer tout le scénario monté autour de la chose, qui a logiquement choqué. Que vont ressentir toutes ces personnes qui ont été violées et en gardent encore des séquelles que le temps, malgré sa force érosive, n’arrive pas à effacer?
Interrogation logique dans la mesure où cette émission aurait pu être conduite autrement et aider davantage les victimes dans leur combat quotidien pour oublier ces images insoutenables qui transforment leur quotidien en enfer et leur fait passer des nuits blanches sans fin. Mais l’ire est générale, tant dans la presse que sur les réseaux sociaux, dans les cellules familiales que sur les lieux de travail. «L’indignation est profonde. Le malaise est indescriptible. La bombe est inqualifiable». Premiers mots introductifs de l’édition spéciale initiée ce mardi par NCI, pour exprimer sa désapprobation du viol, ce «fléau déshumanisant» et pour réitérer son soutien à la cause de la femme.
Une véritable levée de boucliers suscitée par l’émission scandale. La Société civile des opinions ouvertes et publiques, par le biais de son président, François Dominique Delafosse, qui condamne fermement l’émission et apporte son soutien indéfectible aux femmes victimes de cet acte ignoble, la Ligue ivoirienne des droits des femmes qui a lancé une pétition pour la sanction de l’animateur et annoncé avoir déposé une plainte, le Comité de coordination pour la participation politique des femmes (2C2PF), sont tous montés au créneau, pour manifester leur ras-le-bol contre cette pratique avilissante qui n’épargne aucune strate de la société et touche des femmes, des hommes et plus malheureusement encore, des enfants. Une publicité qui tombe mal pour l’événement Miss Côte d’Ivoire, dont Yves de M’Bella est le présentateur vedette.
Le Comité Miss Côte d’Ivoire, a pris les devants, se désolidarisant «de toute atteinte à la morale et à l’honorabilité des femmes», signifiant avoir pris «toutes les dispositions nécessaires pour son remplacement». Une position qui pourrait ramener la société de téléphonie, MTN, sponsor officiel de Miss Côte d’Ivoire, à de meilleurs sentiments, elle qui, exprimant son indignation et apportant sa solidarité à toutes les personnes victimes de ce fléau s’est engagée «à prendre des mesures fermes et appropriées conformes à ses valeurs avant la finale prévue ce samedi 4 septembre 2021».
Lâché de tous, Yves de M’Bella qui a présenté ses excuses sur les réseaux sociaux où il subit une volée de bois verts, vient d’être suspendu pour 30 jours, «de toutes les antennes des chaînes de télévisions et de radios en Côte d’Ivoire», par le collège de la Haute autorité de communication audiovisuelle (HACA). Il serait même en garde-à-vue pour être déféré devant le parquet ce mercredi, en vue de faire l’objet d’une procédure en flagrant délit d’apologie du viol. Mais n’est-ce pas à la NCI de sanctionner son agent et à la HACA de punir la chaîne de télévision? De quoi ou de qui a peur la HACA, qui n’ose pas s’attaquer à la NCI? Un parapluie politique au haut niveau protégerait-il la Nouvelle Chaîne Ivoirienne, comme cela se susurre dans certains milieux généralement bien informés?
En tout cas, le traitement de l’information est une valeur cardinale, surtout quand l’on s’adresse à un public, qui plus est, sur un sujet aussi profond et si déshumanisant que le viol. Tous les sujets ne sont pas bons pour le buzz. Errare humanum est, perseverare diabolicum, disent les Latins. Yves de M’Bella apprendra sans doute de son erreur qui est humaine et retiendra la leçon que c’est persévérer dans l’erreur qui est diabolique. Tous autant que l’animateur de NCI, nous hommes et femmes de média sommes interpellés.
Par Wakat Séra