Un dirigeant d’Afrique francophone ne doit pas dire ou ne peut pas dire ses vérités en public à un président français au risque de provoquer la colère de l’ancienne puissance coloniale. Le Premier ministre malien de transition, Choguel Kokalla Maïga, vient de l’apprendre à ses dépens. Du haut de la tribune des Nations Unies le 25 septembre 2021, celui qu’on considère comme un «animal politique» a «osé» affirmer que la France a abandonné son pays en «plein vol», faisant ainsi allusion au retrait annoncé de la force Barkhane dans la lutte contre les groupes terroristes qui continuent de semer la mort au Sahel malgré leur présence. Il a laissé entrevoir l’idée de recourir à « d’autres partenaires », entendez par là aux Russes pour assurer la sécurité de son pays notamment dans le nord du Mali autour de la ville de Kidal. Ces propos de «garçon» ont valu à Choguel un accueil des plus chaleureux à son retour à Bamako où la foule est sortie pour accueillir celui qui a dit ses vérités aux «Blancs». Comme il fallait s’y attendre, cette sortie musclée a courroucé la France qui n’a pas du tout aimé cette outrecuidance du Premier ministre malien peu enclin à remuer sept fois la langue avant de parler. Les premières salves sont venues du Quai d’Orsay outré par cette «ingratitude» du Malien qui a fait ses études de télécommunication dans l’ancienne Urss. «La transformation de notre dispositif militaire au Sahel ne constitue ni un départ du Mali, ni une décision unilatérale, et il est faux d’affirmer le contraire», a déclaré la porte-parole du ministre français des Affaires étrangères. Furieuse, la ministre des Armées Florence Parly est montée au front avec des armes lourdes pour porter l’estocade. «C’est beaucoup d’hypocrisie, c’est beaucoup de mauvaise foi, beaucoup d’indécence, a ajouté Florence Parly, surtout parce que ces propos ont été tenus le samedi 25 septembre. Or, le vendredi 24 septembre, un 52e militaire français a donné sa vie pour combattre le terrorisme au Sahel». Comme si cela ne suffisait, le chef suprême des armées a lancé l’assaut final contre Choguel Maïga qui a eu «le culot» de dire haut ce que pensent bas de nombreux maliens. «Je rappelle que le Premier ministre malien est l’enfant de deux coups d’État, si je puis dire. Puisqu’il y a eu un coup d’État en août 2020 et un coup d’État dans le coup d’État. Donc la légitimité du gouvernement actuel est démocratiquement nulle… ce qu’a dit le Premier ministre malien est inadmissible. C’est une honte. Et ça déshonore ce qui n’est même pas un gouvernement», fulmine Emmanuel Macron. «… Qu’il y ait tant de mépris des actuels dirigeants maliens à l’égard de nos soldats, des vies qui ont été laissées, c’est inadmissible», a-t-il martelé. Très en colère, il se permet de faire la leçon aux «ingrats» dirigeants maliens qui gagneraient à organiser les élections en février 2022 qu’à vouloir mettre à nu l’ambiguïté des forces françaises dans la lutte contre le terrorisme. «Dans ce que j’attends, c’est que le processus électoral soit fait, que ceux qui sont là par le fruit d’un coup d’État respectent la vie démocratique et arrêtent de mettre en prison les dirigeants politiques….», a lancé le locataire du Palais de l’Elysée.
Cette montée d’adrénaline entre Bamako et Paris rappelle quelque peu le discours tenu par le jeune leader du Parti démocratique de Guinée (PDG), Sékou Touré un 28 août 1958 devant le général de Gaulle en tournée pour convaincre les colonies françaises à intégrer sa communauté franco-africaine dans laquelle leur souveraineté ne se limitera qu’à gérer les affaires intérieures, Paris se chargeant du reste. «Nous ne renoncerons pas et nous ne renoncerons jamais au droit légitime et naturel à l’indépendance. Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage», a jeté Sékou Touré à la face de de Gaulle véritablement sonné par cette audace du «Sily» qui disait ainsi «Non» au chantage de l’aide de la France contre la renonciation à l’indépendance. La suite, on la connait. Choguel Maïga va-t-il subir le même sort que Sékou Touré frappé d’ostracisme par un général français arrivé au pouvoir non pas par élection mais par des pratiques non constitutionnelles ? L’avenir nous le dira mais c’est clair que ses «gbê» ou vérités ne resteront pas sans conséquences.
Mahamadou Doumbia, Correspondant Wakat Séra en Côte d’Ivoire