«Si la relation entre les pays d’Afrique et la France était une marmite, sachez qu’elle est très sale cette marmite. Elle est sale de reconnaissances légères, des exactions commises, elle est sale de corruption, de non transparence, elle est sale de vocabulaire dévalorisants», a déclaré la Burkinabè Ragnimwendé Eldaa Kouama, qui était parmi les 11 jeunes africains et de la diaspora qui échangeaient directement ce 8 octobre 2021 avec le président français Emmanuel Macron au sommet Afrique-France à Montpellier en France. L’intégralité de son intervention dans les lignes qui suivent.
« Mon interpellation sera celle de la vérité, de la sincérité et de la franchise, sans filtre monsieur le président. Le point va s’articuler autour de tous ces imaginaires. Et s’il s’agit de parler de ces imaginaires, ces concepts faux, incompatibles à la réalité de nos peuples, il faudra surtout parler de vocabulaire dépassé, inadapté, dévalorisant, qui résident encore dans vos discours, dans celui de vos institutions, lorsque vous vous adressez à l’Afrique, lorsque vous levez des fonds pour aider l’Afrique.
Parmi ces expressions, il y en a une qui retient mon attention tout le temps et qui, par finir, me dérange. «L’aide au développement». Monsieur le président, « l’aide, tant qu’elle ne permet pas de se départir de l’aide », comme le dit Thomas Sankara, il faut s’en débarrasser. Car ce type d’aide là rend esclave, empêche les populations de s’en sortir par elles-mêmes, par leurs propres capacités, parce qu’elles peuvent le faire monsieur le président et vous devez le savoir. Le meilleur est en chacun de nous, quelle que soit leur origine. Je continue donc pour vous citer ici feu professeur Joseph Ki Zerbo, un intellectuel africain, burkinabè : «On ne développe pas, on se développe». Alors si on ne développe pas, on ne peut pas non plus aider à développer.
Cela fait près d’un siècle que votre aide au développement se balade en Afrique. Ça ne marche pas. Sachez que l’Afrique se développera par elle-même, par le potentiel local et celui de la diaspora et certainement dans l’interdépendance avec les autres nations de la planète, mais surtout à travers des collaborations saines, transparentes, constructives. Il y a des têtes bien faites, il y a des investisseurs aussi en Afrique. Nous innovons déjà en Afrique. Et si ce n’est pas constructif dans cette relation qu’on imagine, on n’en veut pas.
C’est donc fini les expressions « sauvons l’Afrique », « aidons à développer l’Afrique, il y a tellement de misérables là-bas ». C’est fini monsieur le président. Alors si on doit vivre ensemble, parce qu’il le faut, ça sera dans l’interdépendance mais surtout dans le respect et la valorisation des uns et des autres.
Monsieur le président, vous avez voulu ce sommet différent, vous nous avez appelés, nous société civile, tout en sachant bien que tout ce qu’on peut faire, c‘est de dire ce qu’on pense. Vous, vous êtes un président, vous pouvez prendre des décisions, que chacun prenne donc ses responsabilités dans ce sommet.
Monsieur le président, je vais vous proposer des actions concrètes. L’Agence française de développement (AFD) fête bientôt ses 80 ans. C’est l’occasion de faire différemment, changez déjà le nom, changez le fond. On l’a si bien dit, on veut du partenariat qui soit clair, qui soit transparent, où nous aussi on peut parler et agir, mettre de l’intellect et des ressources financières sur la table de discussion.
Je vous propose de visualiser avec moi ceci: si la relation entre les pays d’Afrique et la France était une marmite, sachez qu’elle est très sale cette marmite. Elle est sale de reconnaissances légères, des exactions commises, elle est sale de corruption, de non transparence, elle est sale de vocabulaire dévalorisants, elle est sale monsieur le président. Je vous invite à la récurer par des actions concrètes. Nous en avons déjà proposées. Si vous refusez de la laver, si vous voulez quand même préparer là-dedans, je ne mangerai pas, nous ne mangerons pas, l’Afrique ne mangera pas. Le repas sera prêt et vous serez seul à table avec un appétit difficile. »
Propos retranscrit par Siaka Cissé (stagiaire)