À Saint-Louis, une ville du Sénégal baignée par l’Atlantique, le changement climatique est tout ce qu’il y a de concret, le phénomène touchant déjà ses habitants au quotidien. Des centaines d’entre eux ont dû fuir les effets dévastateurs de l’élévation du niveau de la mer et de l’érosion, renonçant à leurs moyens de subsistance, leurs rêves et leurs perspectives.
Cet exemple montre à quel point le coût de l’inaction est bien supérieur aux dépenses de prévention engagées en amont. Selon le volet consacré à l’Afrique de l’Ouest dans la nouvelle édition du rapport Groundwell, jusqu’à 32 millions de personnes — soit l’équivalent de la population du Ghana — pourraient être contraintes de migrer à l’intérieur de leur pays d’ici à 2050 si les gouvernements ne prennent pas des mesures immédiates et concrètes en matière de climat et de développement. Des foyers de migration climatique interne pourraient apparaître dès 2030.
L’Afrique de l’Ouest est habituée à ces mouvements de population, qu’il s’agisse de s’adapter au changement climatique ou de partir en quête de nouveaux débouchés : c’est le cas des nomades sillonnant le Sahel pour trouver des pâturages pour leur bétail, des pêcheurs affrontant les éléments déchaînés ou des marchands traversant le désert.
Aujourd’hui, les habitants d’Afrique de l’Ouest et centrale sont confrontés à des défis sans précédent, alors même que la région est le plus faible contributeur de la planète aux émissions de CO2. Le dérèglement climatique y provoque déjà des ravages, touchant de manière disproportionnée les ménages les plus pauvres, avec un impact durable sur leur capital humain.
Dans la bande aride du Sahel, les températures augmentent une fois et demie plus vite que la moyenne mondiale, provoquant une aggravation des phénomènes déjà à l’œuvre, comme les sécheresses, la désertification et l’érosion. Victimes d’une pénurie croissante d’eau, les éleveurs nomades doivent trouver de nouveaux pâturages et les agriculteurs voient leur productivité s’effriter. Une réalité qui accentue également les risques de conflit entre ces deux groupes au début de la campagne agricole.
Rien qu’au Nigéria, neuf millions d’habitants pourraient, selon nos estimations, être poussés à l’exode dans certaines des régions les plus exposées si les pouvoirs publics ne réagissent pas promptement. Des villes majeures comme Dakar et Lagos vivent déjà sous la menace de l’élévation du niveau de la mer, des marées de tempête ou de la désertification. Des millions de citadins pourraient être obligés de quitter ces pôles urbains en plein essor tandis que des régions fragiles comme le nord du Nigéria ou la frontière entre le Mali et le Burkina Faso pourraient connaître un nouvel afflux de migrants climatiques avec, à la clé, des pressions sur la terre et les moyens de subsistance.
Le moment est venu pour nos pays de prendre des mesures rapides afin d’éviter la crise qui s’annonce. Sachant que la lutte contre le changement climatique est vitale pour le développement de la région. Comme le souligne le rapport Groundswell, « une action immédiate et concertée pour réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre et accompagner un développement vert, inclusif et résilient pourrait réduire jusqu’à 60 % l’ampleur des migrations climatiques en Afrique de l’Ouest ».
Les pays africains peuvent se saisir des opportunités nées de la crise actuelle pour privilégier des programmes de relance qui soutiennent l’adaptation et renforcent la résilience. Cela passe par une volonté politique forte, une stratégie intégrée et clairvoyante, ainsi qu’un gros effort financier. La dernière édition d’Africa Pulse estime que l’Afrique subsaharienne devra mobiliser entre 30 et 50 milliards de dollars chaque année au cours des dix prochaines années pour financer des investissements dans l’adaptation climatique. Les gouvernements vont devoir s’appuyer sur des ressources internes et internationales, et associer les financements climatiques à des réformes de gouvernance essentielles. Cela exige de renforcer les chaînes de valeur agricoles, soutenir la sécurité alimentaire et hydrique, développer les énergies vertes et promouvoir des villes à faible empreinte carbone, et atténuer les chocs climatiques.
Le Groupe de la Banque mondiale a placé le climat au cœur de ses actions et entend mobiliser, à travers son Nouveau Business plan pour le climat en Afrique, 22,5 milliards de dollars pour soutenir l’action climatique dans les pays d’Afrique subsaharienne, dont au moins la moitié seront alloués aux mesures d’adaptation et de renforcement de la résilience. En Afrique de l’Ouest et centrale, le programme de gestion du littoral ouest-africain (WACA) s’emploie à renforcer la résilience des populations côtières au Bénin, en Côte d’Ivoire, en Mauritanie, à Sao Tomé-et-Principe, au Sénégal et au Togo. Le mécanisme a permis de lancer plusieurs initiatives, de la gestion des déchets au développement du tourisme rural en passant par des partenariats public-privé pour gérer les ports, qui ont offert des débouchés économiques et un emploi à des milliers de jeunes. Des rapports nationaux sur le climat et le développement seront élaborés pour le Cameroun, le Ghana et les pays du G5 Sahel afin d’analyser la manière dont le changement climatique modifie leur trajectoire de développement et d’identifier des axes d’action prioritaires en vue de renforcer la résilience au service de la croissance et du développement.
Le programme régional d’appui au pastoralisme au Sahel aide les éleveurs nomades de six pays d’Afrique de l’Ouest à adapter leurs pratiques agricoles. Par ailleurs, plus de 5 milliards de dollars seront investis au cours des cinq prochaines années pour bâtir des communautés résilientes au changement climatique dans les onze pays sahéliens membres de l’initiative de la Grande muraille verte. Ils permettront de financer une bonne soixantaine de projets dans divers secteurs comme l’agriculture, l’énergie et le transport, en s’attachant à promouvoir les moyens de subsistance, restaurer les terres dégradées et renforcer la productivité agricole. Dans les pays du bassin du fleuve Congo, la Banque mondiale est déjà fortement mobilisée pour favoriser un développement soucieux de la gestion des forêts et aide les autorités à concevoir et mettre en œuvre des politiques et des programmes intégrés en vue de réduire les émissions liées à la déforestation et à la dégradation du couvert forestier.
Il ne s’agit là que de quelques exemples attestant de la montée en puissance de nos investissements pour le climat.
La lutte contre le changement climatique exige des réformes audacieuses et des investissements massifs dans les principaux secteurs de l’économie. L’inaction n’est pas une option. La communauté internationale doit faire sa part pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et atteindre les objectifs de l’accord de Paris sur le réchauffement. Nous le devons à nos enfants et aux générations suivantes, en Afrique de l’Ouest et centrale et au-delà.
Ousmane Diagana, vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique de l’Ouest et