Feu Etienne Zongo, aide de camp du président Thomas Sankara, a affirmé qu’«après 4 ans de planification, le coup d’Etat (du 15 octobre 1987) était imparable», devant le juge d’instruction, François Yaméogo lors de son audition pour le compte de l’affaire dans laquelle l’ex-chef de l’Etat et douze autres personnes ont été tuées. Selon ce témoin, la tuerie du 15 octobre est la conséquence d’une «confiance aveugle» que le président Sankara accordait au capitaine Blaise Compaoré qui s’est rallié à des présidents étrangers, des militaires et des civils pour l’assassiner.
Le fidèle aide de camp de Thomas Sankara, Etienne Zongo, est décédé le 3 octobre 2016 dans son pays d’exil au Ghana. Dans son PV, celui qui était devenu consultant peut être considéré, au regard du poids de son témoignage, comme l’une des mémoires de la Révolution d’août 1983. Selon ce témoin, les deux leaders de la Révolution burkinabè étaient des amis sincères en apparence mais Blaise Compaoré ne faisait pas mystère de sa volonté de confisquer le pouvoir au président Sankara.
La maladie avancée par Blaise Compaoré «est imaginaire. C’est un faux prétexte»
Lors de la rencontre de Tenkodogo le 2 octobre le quatrième anniversaire du Discours d’Orientation Politique (DOP), un plan avait été monté par Blaise Compaoré, Henri Zongo et Boukari Jean-Baptiste Lengani, les trois autres responsables au premier plan de la Révolution d’août 1983. Le président Thomas Sankara devait être tué dans l’avion qui le transporterait. Mais il a pu identifier la taupe, l’un des gardes fidèles à Blaise Compaoré qu’il a obligé à changer de place. C’est ainsi qu’en interposant les places et leurs occupants avant le décollage, il a pu faire dévier le coup. A leur arrivée à Tenkodogo, comme personne ne s’attendait à voir Sankara vivant, ils ont été obligés d’improviser pour lui réserver un accueil normal pour ne laisser transparaître des soupçons.
En août 1987, selon toujours la narration du témoin Etienne Zongo lue à la barre du Tribunal militaire, le correspondant de RFI à l’époque, Stéphane Smith, l’a appelé, tout contrarié, afin de comprendre ce qui est arrivé car Blaise Compaoré l’a informé que Thomas Sankara est mort et qu’il pouvait passer l’info sur France inter. Ces genres de situation, le témoin dit l’avoir vécu plusieurs fois. Ce qui le conforte à affirmer que les commanditaires qui étaient sûrs de leur projet funeste, en parlaient souvent d’avance à leurs amis.
Dans son PV, il ressort que le groupe de militaires fidèles à Blaise Compaoré et qui voulaient en découdre avec ceux du camp de Sankara était dirigé par Hyacinthe Kafando, son chef de sécurité. Ce dernier pour passer vite en action, a recruté Bossobê Traoré, l’un des anciens gardes de sécurité de Sankara dans son groupe. Dans leur œuvre, a-t-il poursuivi, ils auraient été «certainement» aidés par le général Gilbert Diendéré qui était «braqué» contre Thomas Sankara qui avait remonté les bretelles à sa femme Fatou pour écart de conduit «indigne» de la Révolution. Quant aux propos de Blaise Compaoré qui dit qu’il était malade le jour du drame, pour lui, «c’est une maladie imaginaire. C’est un faux prétexte avancé pour ne pas assumer ce qui est arrivé».
Pour l’aide de camp de Sankara, le coup de 20H avancé par les proches du capitaine Blaise Compaoré était un juste un prétexte pour justifier leur action. Comme le témoin, feu Valère Somé et bien d’autres, le rendez-vous qui était fixé le 15 octobre 1987 à 20H visait à unir les différentes tendances idéologiques et politiques en un seul parti fort. «Les divisions sont nées des approches de théories et des intérêts des uns et des autres», a mentionné le regretté Zongo.
Il a fait noter dans plusieurs parties de ses déclarations qu’à maintes reprises Blaise Compaoré a tenté de reprendre le pouvoir dans la main de Thomas Sankara. De sa conviction, Thomas Sankara et Blaise Compaoré se différenciaient sur le plan de la rigueur à suivre pour implémenter la Révolution. Thomas Sankara était convaincu de la Révolution, ce qui n’était pas le cas chez Blaise Compaoré. Il a expliqué par exemple qu’après son mariage avec Chantal, «Blaise Compaoré voulait acheter une Mercedes et une BMW» mais Sankara était contre parce que cela est contre les principes révolutionnaires qu’eux-mêmes prêchaient. «Ce qui n’était pas du goût de Chantal », a-t-il souligné.
Une implication forte des puissances étrangères
L’aide de camp de l’ancien président a aussi souligné dans plusieurs pans de son témoignage que l’implication étrangère a été très déterminante dans le coup d’Etat du 15 octobre 1987. Des présidents africains comme Houphouët Boigny de la Côte d’Ivoire, Gnassingbé Eyadéma du Togo, Mouammar Kadhafi de la Libye, François Mitterrand de la France, ont soutenu le capitaine Blaise Compaoré pour le putsch qui a fait 13 personnes dont Thomas Sankara tuées. Outre ces chefs d’Etat, des pays comme l’Allemagne, les Etats-Unis, la Tunisie et bien d’autres, appuyaient Blaise Compaoré pour la prise du pouvoir qui est intervenue le 15 octobre. Toutes ces puissances en voulaient à Thomas Sankara et à son ami, le président ghanéen d’alors, John Jerry Rawlings, qui étaient les vrais visages des révolutions africaines.
Il a dit dans PV que Blaise Compaoré était un élément recruté par les services français. L’ancien président qui a été renversé le 31 octobre 2014 après 27 ans de règne, avant son accession au pouvoir, a rencontré à maintes reprises à Paris, Jacques Foccart, l’homme à tout faire de la France qui aidait à positionner les amis de son pays à la tête de certains pays africains, notamment ceux de l’Afrique de l’Ouest.
Par Bernard BOUGOUM