Ceci est un rapport de Amnesty International revenant sur le « manque cruel d’accès aux vaccins, l’accroissement des inégalités et de nombreuses souffrances liées aux conflits » qui ont marqué l’année 2021 en Afrique subsaharienne.
- Amnesty International publie son Rapport annuel 2021
- Les dirigeant·e·s mondiaux n’ont pas tenu leurs promesses d’un redressement post-COVID-19 équitable afin de remédier aux inégalités de longue date, et seulement 8 % des 1,2 milliard d’habitant·e·s du continent africain présentaient un schéma vaccinal complet à la fin de l’année
- Les populations civiles en Afrique ont continué de subir les conséquences de conflits armés interminables, ce qui constituait un échec retentissant pour la communauté internationale et l’Union africaine
- Les populations les plus marginalisées, notamment en Afrique, en Asie et en Amérique latine, ont été particulièrement touchées, indique Amnesty International
En 2021, tandis que de nombreuses personnes en Afrique étaient privées de vaccins vitaux, les pays riches se sont associés aux grandes entreprises pour duper les gens avec des slogans creux et de fausses promesses de reprise équitable à l’issue de la pandémie de COVID-19, commettant l’une des plus grandes trahisons de notre époque, a déclaré Amnesty International mardi 29 mars 2022, à l’occasion du lancement de son bilan annuel de la situation des droits humains à travers le monde.
Le Rapport 2021/22 d’Amnesty International sur la situation des droits humains dans le monde conclut que ces États, ainsi que les multinationales, ont en réalité aggravé les inégalités mondiales, laissant la plupart des pays africains aux prises avec de grandes difficultés pour se remettre de la pandémie de COVID-19, en raison de niveaux élevés d’inégalités, de pauvreté et de chômage, exacerbés par une répartition inégale des vaccins.
« La pandémie de COVID-19 aurait dû être un signal d’alarme décisif incitant les États à combattre les inégalités et la pauvreté. Or, les inégalités et l’instabilité croissantes en Afrique ont au contraire été aggravées par les puissances mondiales, en particulier les pays riches, qui n’ont pas fait le nécessaire pour que les grandes entreprises pharmaceutiques distribuent les vaccins de façon équitable, afin que tous les pays aient les mêmes chances de rétablissement après la pandémie », a déclaré Deprose Muchena, directeur pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International.
« Dans l’état actuel des choses, la plupart des pays africains vont mettre longtemps à se remettre de la pandémie compte tenu des niveaux élevés d’inégalités et de pauvreté. Ce sont les populations les plus marginalisées qui en ont subi les pires effets, notamment celles particulièrement touchées par la pauvreté endémique, de l’Angola à la Zambie en passant par l’Éthiopie, la République centrafricaine, la Sierra Leone et la Somalie. »
La vaccination en Afrique compromise par l’avidité des multinationales et les nationalismes égoïstes
Plusieurs vagues de COVID-19 se sont abattues sur le continent africain et ont eu des effets dévastateurs sur les droits humains. Les efforts déployés par certains États, tels que l’Afrique du Sud, le Sénégal, la Sierra Leone, la Somalie et la Zambie, pour endiguer la pandémie se sont heurtés aux inégalités mondiales en matière de vaccins créées par les entreprises pharmaceutiques et les pays riches. À la fin de l’année, moins de 8 % des 1,2 milliard d’Africain·e·s présentaient un schéma vaccinal complet.
Près de neuf millions de cas de COVID-19 et plus de 220 000 décès liés à cette maladie ont été enregistrés dans la région au cours de l’année. L’Afrique du Sud est demeurée l’épicentre de la pandémie, au regard du nombre de cas signalés et de décès.
Parallèlement, les pays riches, tels que les États-Unis, le Royaume-Uni et les États membres de l’Union européenne (UE), ont accumulé plus de doses que nécessaire, tout en fermant les yeux lorsque les grands groupes pharmaceutiques ont fait passer les profits avant les personnes en refusant de partager leurs technologies pour élargir la distribution des vaccins. En 2021, Pfizer/BioNTech et Moderna ont prévu des bénéfices colossaux allant jusqu’à 54 milliards de dollars américains, mais ont livré moins de 2 % de leurs vaccins à des pays à faible revenu. La distribution des vaccins reste extrêmement lente sur le continent, faisant naître des craintes de voir la pauvreté s’aggraver et la reprise économique être encore retardée.
« Les pays riches et puissants ont utilisé leur argent et leur influence politique pour se procurer des centaines de millions de doses, écartant du marché les pays pauvres », a déclaré Samira Daoud, directrice pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International.
« Il en a résulté une répartition inéquitable de ces vaccins indispensables, qui fait que la plupart des habitant·e·s des pays à faible revenu vont être les derniers vaccinés, comme si la situation financière ou la nationalité étaient les critères d’admissibilité à la vaccination. »
Une pandémie révélatrice de la mauvaise qualité des infrastructures de santé et des inégalités, sur fond d’augmentation persistante des violences liées au genre en Afrique
Les conséquences dévastatrices de l’entente entre les grandes entreprises et les gouvernements occidentaux ont été aggravées par l’effondrement des systèmes de santé et des dispositifs d’aide économique et sociale sous le poids de décennies de négligence. Il en a résulté une augmentation de la pauvreté, des inégalités et de l’insécurité alimentaire. C’est en Afrique que ces effets se sont fait ressentir le plus nettement et le plus cruellement. Voilà pourquoi Amnesty International lance aujourd’hui son rapport depuis l’Afrique du Sud.
Avec moins de 8 % de sa population pleinement vaccinée à la fin de l’année 2021, le continent affiche le taux de vaccination le plus bas du monde, en raison des stocks insuffisants fournis à l’initiative COVAX, au Fonds africain pour l’acquisition des vaccins (AVAT) et par le biais de dons bilatéraux.
Trop souvent, les livraisons étant insuffisantes ou leur arrivée imprévisible, il a été difficile pour les gouvernements d’obtenir la confiance de la population et de structurer des campagnes de vaccination efficaces. Dans plusieurs pays, comme le Malawi, la République démocratique du Congo (RDC) et le Soudan du Sud, des lots de vaccins ont été livrés peu avant leur date de péremption, obligeant les autorités à les détruire ou à en retourner la majeure partie afin qu’ils soient réaffectés à d’autres pays.
La pandémie de COVID-19 a aussi mis en lumière le manque chronique d’investissements dans le secteur de la santé, observé depuis de nombreuses décennies dans la région. Dans la plupart des pays, les systèmes de santé déjà déficients ont été mis à rude épreuve, en particulier lors de la troisième vague. En Somalie, un hôpital de Mogadiscio, la capitale, a pris en charge à lui seul, pendant une grande partie de l’année, tous les cas de COVID-19 survenus dans le sud et le centre du pays. Des faits de corruption présumés, concernant notamment les fonds affectés à la lutte contre le COVID-19, ont mis encore plus en difficulté le secteur de la santé dans de nombreux pays, notamment en Afrique du Sud et au Cameroun.
À cause de la pandémie, de nombreuses personnes en Afrique ont été privées de l’accès à l’éducation, par exemple en Ouganda, ce qui va conforter les inégalités à l’avenir. En Afrique du Sud, environ 750 000 enfants avaient abandonné l’école en mai, soit plus du triple du nombre constaté avant la pandémie.
La discrimination et les inégalités liées au genre demeuraient fortement ancrées dans les pays d’Afrique. Parmi les sujets qui suscitaient les plus vives inquiétudes dans la région, citons les flambées de violences fondées sur le genre, l’accès limité aux services et aux informations en matière de santé sexuelle et reproductive, la persistance des mariages précoces ou forcés, et le fait que des filles enceintes soient exclues du système scolaire.
Des réactions régionales et internationales insuffisantes face aux conflits qui se poursuivent en Afrique
L’absence de réponse mondiale à la pandémie a été à l’image de l’incapacité de la communauté internationale et de l’Union africaine à s’attaquer aux atteintes aux droits humains commises dans le cadre de conflits sur le continent africain.
Ces atteintes se sont poursuivies sans relâche en 2021, en partie à cause de l’inaction du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine. Sa passivité face aux atrocités a été particulièrement évidente en ce qui concerne les conflits en Éthiopie et au Mozambique. Malgré les témoignages poignants d’atteintes aux droits humains qui n’ont cessé de nous parvenir en provenance de ces deux pays, le Conseil de paix et de sécurité a gardé un silence préoccupant.
De nouveaux conflits ont éclaté et d’autres, non résolus, ont persisté au Burkina Faso, au Cameroun, en Éthiopie, au Mali, au Mozambique, au Niger, au Nigeria, en République centrafricaine et au Soudan du Sud, se traduisant par des violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains. Les populations civiles ont été les victimes collatérales de ces conflits ; des millions de personnes ont été déplacées et des milliers d’autres tuées, plusieurs centaines ont subi des violences sexuelles, et les systèmes de santé et les économies déjà fragiles se sont retrouvés au bord de la faillite.
Dans le nord de l’Éthiopie, les forces gouvernementales éthiopiennes et les Forces de défense érythréennes (FDE), ainsi que la police et une milice amharas, ont continué de combattre les forces tigréennes dans le cadre d’un conflit qui a éclaté en novembre 2020 et a touché des millions de personnes. Durant ce conflit, des membres des FDE, ainsi que des forces de sécurité et milices éthiopiennes, se sont rendus coupables de graves violations des droits humains, dont des violences sexuelles contre des femmes, des homicides illégaux et des déplacements forcés. Les forces tigréennes ont elles aussi commis de graves atteintes, telles que des homicides illégaux, des viols et d’autres violences sexuelles, constitutives de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre.
Des millions de personnes ont été privées d’aide humanitaire dans la région du Tigré, et beaucoup vivaient dans des conditions mettant leur vie en danger. Dans l’ouest du Tigré, des détenu·e·s ont été soumis à la torture, ont subi des exécutions extrajudiciaires et ont été affamés et privés de soins médicaux.
Au Mozambique, la population civile était toujours prise en étau entre trois forces armées dans le conflit de la province de Cabo Delgado, où plus de 3 000 personnes ont perdu la vie depuis le début des hostilités en octobre 2017. La guerre a fait près d’un million de personnes déplacées à l’intérieur du pays (principalement des femmes, des enfants et des personnes âgées).
En République centrafricaine, des attaques illégales, telles que des homicides et d’autres atteintes au droit international humanitaire et relatif aux droits humains, dont certaines s’apparentaient à des crimes de guerre, ont été commises par toutes les parties au conflit. Selon l’ONU, des membres de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) ont attaqué et pillé des centres de santé dans la préfecture du Mbomou en janvier.
Au Burkina Faso, au Mali et au Niger, des centaines de civil·e·s ont été tués par divers groupes armés.
La sécurité et la pandémie de COVID-19 prises comme prétextes par les autorités pour réprimer l’opposition
La tendance mondiale à réprimer les voix critiques et indépendantes a gagné du terrain en 2021 dans toute l’Afrique subsaharienne, à la faveur d’un éventail de plus en plus large d’outils et de tactiques déployés par les gouvernements.
Les mesures visant à endiguer la pandémie de COVID-19 ont fourni aux gouvernements un nouveau prétexte pour réprimer l’opposition pacifique dans la région, la première réaction de nombre d’entre eux ayant été d’interdire les manifestations pacifiques en invoquant des préoccupations pour la santé et la sécurité, comme cela a été le cas, entre autres, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Lesotho, au Tchad et au Zimbabwe.
Parallèlement, dans des pays comme l’Eswatini et le Soudan du Sud, des organisateurs et organisatrices ont été arrêtés et Internet a été coupé pour faire capoter les manifestations prévues. Les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive pour disperser des manifestations pacifiques auxquelles participaient des centaines, voire des milliers, de personnes bravant les interdictions. Dans plus d’une douzaine de pays, dont l’Angola, le Bénin, l’Eswatini, la Guinée, le Nigeria, le Sénégal, la Sierra Leone, le Soudan et le Tchad, les forces de l’ordre ont tué de nombreuses personnes en tirant à balles réelles. En Eswatini, la dispersion violente de manifestations en faveur de la démocratie a fait 80 morts et plus de 200 blessés en cinq mois. Au Soudan, au moins 53 personnes sont mortes lorsque les forces de sécurité ont tiré à balles réelles pour disperser des manifestations contre le coup d’État militaire d’octobre.
Au Tchad, au moins 700 personnes manifestant contre le processus électoral, puis contre la mise en place du gouvernement de transition, ont été arrêtées. En RDC, trois militants arrêtés au Nord-Kivu pour avoir organisé un sit-in pacifique contre la mauvaise gestion d’une zone de santé étaient toujours en détention. En Eswatini, au moins 1 000 manifestant·e·s prodémocratie, dont 38 mineur·e·s, ont été arrêtés arbitrairement.
« Au lieu de proposer un espace d’échange et de débat qui manquait si cruellement sur la meilleure façon de relever les défis de 2021, de nombreux États ont redoublé d’efforts pour faire taire les voix critiques ».
La victoire des droits humains malgré tout
L’année 2021 n’a toutefois pas été totalement négative. À la faveur d’un travail de campagne constant pour les libertés, des avancées ont été constatées en matière de droits humains en Afrique subsaharienne.
Après des mois de manifestations incessantes de la population d’Eswatini en faveur de la démocratie, le roi Mswati III a cédé aux appels au dialogue et accepté de négocier l’avenir du pays avec les manifestant·e·s. C’est un nouvel espoir pour ce pays, dont le monarque n’était guère ouvert à la négociation sur les réformes politiques.
Au Soudan, le pouvoir du peuple s’est manifesté dans toute sa splendeur quand la population civile est descendue dans les rues en octobre pour rejeter le coup d’État militaire et la volte-face sur les avancées en matière de droits humains obtenues pendant la période de transition.
La Côte d’Ivoire et la Guinée ont remis en liberté des dizaines de membres et sympathisant·e·s de partis d’opposition, ainsi que des membres d’organisations de la société civile, qui avaient été arbitrairement arrêtés pour le seul exercice de leurs droits à la liberté d’expression ou de réunion pacifique.
La nécessité de revendiquer nos libertés
Si les États se contentent en 2022 de vouloir recoller les morceaux, nous n’avons guère le choix. Nous devons combattre toutes leurs tentatives de nous faire taire et résister face à chacune de leurs trahisons. C’est pourquoi, dans les semaines à venir, nous lancerons une campagne mondiale de solidarité avec les mouvements populaires, qui revendiquera le respect du droit de manifester. Nous devons renforcer et mettre à profit la solidarité internationale, même si nos dirigeant·e·s ne le font pas.