Comme à l’accoutumée, le Niger vient de se poser en étoile du berger du développement de l’Afrique. En réunissant à Niamey, pendant plusieurs jours des centaines d’acteurs du développement sous le leadership d’une quinzaine de chefs de l’Etat et du gouvernement le 25 novembre 2022, le président Mohamed Bazoum, conscient que ni lui, ni son pays, encore moins l’Afrique, ne peuvent réinventer la roue de l’industrialisation, n’a pas manqué de prôner une nouvelle impulsion pour la marche du continent noir dans son franc-parler habituel. Un discours fondateur qui tout en établissant le diagnostic des maux qui constituent un goulot au pied d’une Afrique qui entend s’appuyer sur l’atout de taille que constitue sa jeunesse et refuse de rester à la traîne de la digitalisation et des technologies de l’information. En tout cas, la locomotive est sortie de la gare. Reste que le train suive la dynamique et ce n’est pas ce qui inquiète le plus les dirigeants et le peuple nigériens qui onty toujours mis un point d’orgue à rassembler les Africains autour de l’objectif de leur émancipation. «On ne peut pas arrêter le fleuve». Foi du panafricain Mohamed Bazoum.
«J’ai l’honneur et le plaisir de vous accueillir à Niamey sur le bord du Niger à l’occasion de ce double Sommet de l’Union Africaine sur l’Industrialisation et la Diversification Economique de l’Afrique d’une part et l’évaluation du processus de la mise en œuvre de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) d’autre part.
Ce sommet manifeste l’engagement du leadership de l’UA au plus haut niveau pour accélérer l’industrialisation en vue d’atteindre les Objectifs de Développement Durables 2030 et de l’Agenda 2063 par la mise en œuvre de stratégies concertées avec tous les acteurs, publics et privés.
Qui dit industrialisation, dit commerce, leurs dynamiques étant couplées. C’est ainsi que l’Industrialisation de l’Afrique passe par la mise en œuvre de l’Accord sur la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), qui, elle, repose sur l’industrialisation. Ce qui est bon pour l’une est bon pour l’autre et réciproquement, ce qui est mauvais pour l’une est mauvais pour l’autre. La promotion des deux doit tenir compte de cette dépendance positive afin d’obtenir un développement é
conomique sûr.
Permettez-moi à ce stade de mon propos de rendre hommage au Président Issoufou MAHAMADOU, champion de la ZLECAf pour son engagement qui a largement contribué à faire de celle-ci une réalité. Nous attendons vivement la présentation de son rapport qui ne manquera certainement pas d’alimenter nos échanges.
Une Afrique prospère, dynamique, inclusive et durable
Pour atteindre nos nobles et ambitieux objectifs d’une Afrique prospère, dynamique, inclusive et durable, il nous faut bien les définir et faire preuve de pédagogie afin de mobiliser les africains autour d’un projet clair et partagé.
Sachant d’où nous partons, notre situation actuelle, il convient de préciser de quelle industrialisation il s’agit.
En effet, il n’y a pas si longtemps, la juxtaposition des mots industrialisation et Afrique pouvait paraître incongrue. Aujourd’hui, l’interrogation qu’elle suscite est surtout celle des voies et moyens. Cela en soi, est la preuve que nous prenons la bonne voie. Un proverbe nigérien dit qu’on ne peut pas arrêter un fleuve. Ce fleuve, c’est la somme des énergies conjuguées de nombreux africains, qui sont déterminés à améliorer leur situation, celles des jeunes en formation, des entrepreneurs dans toute leur diversité, des décideurs qui ont à cœur le bien être de leur concitoyens, et qui forment la masse critique dont le continent avait toujours eu besoin. Cette masse critique est déjà là, elle est en train de se révéler; on en perçoit le frémissement au travers de nombreuses initiatives que nous voyons un peu partout.
«Nous devons nous dire la vérité»
L’optimisme n’empêche toutefois pas le réalisme. Pour nous donner toutes les chances de réussir, nous devons nous dire la vérité. S’agissant de l’état actuel de l’industrialisation en Afrique, le constat est frappant: hormis quelques exceptions, l’économie africaine reste peu industrialisée, et l’Afrique exporte de la matière première incorporant peu de valeur ajoutée tandis qu’elle importe des produits manufacturés à forte valeur ajoutée. Ce constat au niveau continental reste valable au niveau de chacun de nos Etats. Deux chiffres témoignent avec éloquence de cet état de fait: la part de l’Afrique dans le commerce mondial est de 4%; le commerce entre pays africains représente 17% de leur commerce global. Le faible niveau d’industrialisation de l’Afrique explique cet état de fait déprimant.
Nul n’est donc besoin de statistiques macroéconomiques pour affirmer qu’en tant qu’africains, nous savons où nous en sommes : notre continent est riche en matières premières variées, et riche d’une jeune population majoritairement rurale projetée à 2 milliards de personnes à l’horizon 2063 dont la moitié aura moins de 27 ans.
Ce constat serait trop simpliste si le monde, qui est en train de connaître une révolution digitale, n’était pas à la croisée de nombreuses crises, géopolitique, climatique, énergétique, industrielle, financière et économique.
Voilà donc le véritable défi pour nous : appréhender la situation mondiale actuelle, sans filtres idéologiques, sans dogmes, pour agir en conséquence.
Comment donc atteindre nos objectifs aux horizons temporels que nous nous sommes fixés sachant que nous naviguons dans un monde soumis aux mutations, aux incertitudes, aux crises comme la guerre en Ukraine et aux aléas imprévisibles comme le COVID19?
Nous savons que toute stratégie d’industrialisation qui ne tient pas compte des conditions initiales actuelles, des incertitudes et des aléas ou qui est basée sur l’hypothèse trop restrictive de leur stabilité, est fragile ; elle est vouée à l’échec à moyen terme.
Il ne s’agit pas pour nous de réinventer la roue. Les seules stratégies adaptées aux environnements changeants sont les stratégies robustes, c’est-à-dire celles qui sont résilientes aux changements, y compris aux chocs, et les chocs, vous conviendrez avec moi, qu’il y en a, et qu’il va y en avoir.
Adopter une stratégie robuste et sans regret
Nous devons donc piloter le processus d’industrialisation, en adoptant une stratégie robuste et sans regret, car en fait, l’industrialisation est un processus dynamique, pas un état statique. Sans regret, c’est-à-dire qu’à chaque étape, nous devons assumer les choix faits auparavant, qui devaient donc être soupesés. En ce qui concerne les étapes, nous devons prendre en considération le fait que nous devons enthousiasmer une jeune population dont l’âge médian actuel et de moins de 20 ans.
Nous devons être particulièrement prudents dans les options de notre industrialisation et veiller à utiliser nos ressources de façon efficiente. Il ne faut pas faire un feu de paille, mais allumer un feu d’industrialisation qui va brûler longtemps. Au-delà des grandes lignes définies par les objectifs, il nous faut définir des priorités pertinentes, qui vont servir de socle solide à l’industrialisation. Oui, il faut renforcer notre base industrielle pour bâtir solidement.
L’industrialisation et le commerce ont besoin d’une population dynamique en bonne santé, d’où il découle que nos priorités sont l’alimentation et l’eau, l’habitat, l’énergie, les transports, les communications, la santé et l’éducation. Et les nouvelles technologies de l’information où nous pouvons faire un pas de géant.
Les synergies et les interactions positives de ces secteurs sont évidentes. A cet effet, il faut tirer le maximum de nos ressources non renouvelables notamment énergétiques pour amorcer le moteur de l’industrialisation.
Ces domaines constituent des gisements d’emploi et de création de valeur ajoutée à même de soutenir longtemps une forte croissance économique qui alimentera en retour l’industrialisation.
Je disais tout à l’heure que notre continent est riche d’une jeune population. La jeunesse de la population et sa croissance qui sont un défi, peuvent constituer un atout à condition de bien gérer la transition démographique, mais ça, c’est un autre sujet. La jeunesse est donc notre première richesse dans laquelle il faut investir pour son éducation et sa formation.
Dans notre trajectoire d’industrialisation, nous gagnerons à tirer des leçons des expériences du monde industrialisé et des expériences singulières des uns et des autres, tout en faisant appel à notre génie propre ; établissons des partenariats avec les puissances industrielles, car, osons le dire, le futur de l’industrie et du commerce est en Afrique.
Alimentation, élevage…et paradoxe
Je ne vais pas faire un discours académique sur l’industrialisation ni traiter in extenso tous les sujets évoqués ici.
Aussi, concernant notre plus grande priorité, l’alimentation, un secteur me tient-il particulièrement à cœur, celui de l’élevage.
Savez-vous que dans mon pays le Niger, qui a un des plus grands cheptels en Afrique, nous importons du lait de France et de Hollande? Que nos voisins immédiats, importent de la viande d’Argentine et de Nouvelle Zélande? Ces faits, aussi étonnants soient-ils, sont un faux paradoxe. Cette économie, qui par le principe des vases communicants, génère la valeur ajoutée loin de l’Afrique, génère peu d’emplois locaux, et nuit à la production locale, donc à l’industrialisation de nos Pays.
J’invite tous les africains, surtout les décideurs à comparer la Nouvelle Zélande et le continent africain dans son ensemble dans le domaine de l’élevage, de la production de viande et de produits laitiers et leurs parts dans l’économie et les exportations. Cela donne à réfléchir sur le potentiel industriel gigantesque de l’Afrique dans le domaine de l’alimentation.
L’industrialisation que nous voulons pour l’élevage, est celle qui permet de nourrir les africains, de créer des emplois qualifiés et de qualité, de rendre les produits laitiers et les viandes disponibles en quantité et en qualité à des prix abordables et compétitifs partout. Elle doit incorporer la valeur ajoutée locale et se faire dans le cadre de bassins régionaux naturels exploitant aux mieux les ressources locales, induisant une coopération basée sur la complémentarité qui génère à son tour la solidarité.
Au-delà de l’élevage, l’industrie est grande consommatrice d’eau. Nous avons de l’eau, mais elle est inégalement répartie sur le continent et nous sommes et serons nombreux. La gestion de nos réserves d’eau et la question climatique sont des enjeux critiques à garder en filigrane dans notre processus d’industrialisation.
Pour que les biens, les personnes, les services et l’information puissent circuler, c’est-à-dire que le commerce et l’industrie fonctionnent, nous avons besoin de réseaux de transports et de communications adaptés qui interconnectent les grands bassins économiques et désenclavent les zones rurales. Les transports et les communications sont des facteurs prépondérants d’industrialisation et d’inclusion socio-économique.
Aux grands problèmes, les grands remèdes
Aux grands problèmes, les grands remèdes: pour connecter le continent dans tous les sens du terme et transporter les grands flux à moindre coûts économiques et environnementaux, le maillage progressif par un réseau de chemins de fer se déployant autour de grands axes continentaux connectant les réseaux régionaux et de proximité est la colonne vertébrale des moyens de transport répondant aux besoins africains. Les grands axes Alger-Le Cap, Dakar-Addis Abeba, Le Caire-Casablanca sont en plus de leur rôle économique des vecteurs d’intégration africaine.
A l’autre bout du champ des transports, la géographie et le potentiel économique désignent plusieurs aéroports africains pour être ou devenir des grandes plateformes d’interconnections continentales et mondiales.
L’industrie et les transports sont gourmands en énergie. Aussi, la production industrielle, les activités humaines, les transports requièrent-ils un réseau cohérent de production et de distribution d’énergie dont le graphe se superpose à celui de ces activités de manière à assurer un fonctionnement et un développement optimaux au cours de la montée en puissance du continent. Le continent est riche en sources d’énergie de toutes les formes : fossile, nucléaire, solaire, éolienne, hydraulique et houlomotrice. Veillons à utiliser nos sources d’énergie non renouvelables, aussi, pour investir dans les énergies renouvelables.
Le système nerveux de notre continent doit être basé sur les télécommunications, qui avec les technologies de l’information, vont générer des emplois hautement qualifiés et sont de véritables amplificateurs d’industrialisation et de valeur ajoutée. La résultante des progrès et avancées en physique, en sciences et technologies de l’information, en biosciences et en mathématiques fait que nous assistons à un basculement du monde vers le tout digital qui se fait à la vitesse vertigineuse dictée par la loi de Moore.
Des politiques publiques claires et stables
L’industrialisation inclusive, solidaire et raisonnée que nous souhaitons ne peut pas être imposée et ne peut être le fait que d’une complémentarité vertueuse des secteurs privé et public, qui seule, peut créer des emplois de qualité dans un tissu de petites et moyennes entreprises maillant le continent et répondant aux besoins réels de l’économie. L’état de droit doit la favoriser, l’encadrer et parfois l’impulser.
Pour promouvoir les PME, il faut des politiques publiques claires et stables dans leur traduction dans les législations nationales,
- dans la formation de base, la professionnalisation des jeunes, la formation continue et la spécialisation, ainsi que les passerelles;
- la protection des entreprises privées avec une fiscalité moins complexe et des taux d’impositions revus en fonction des secteurs à développer, ainsi qu’une justice qui fonctionne de manière éthique;
- l’accès aux financements et aux garanties et un service bancaire fluide, moins de barrières non financières, c’est à dire moins de tracasseries.
Car, oui un entrepreneur est d’abord et avant tout un gestionnaire de risques, et il faut l’inciter à entreprendre en Afrique, il ne faut pas l’entraver. La bonne gouvernance démocratique offre un environnement sécurisant et désinhibant les énergies entrepreneuriales tout comme elle encadre et responsabilise les acteurs socio-économiques.
«Nous africaine sommes riches de la première des matières premières: la jeunesse
Je disais qu’en ce qui concerne la méthode et la stratégie dans notre processus d’industrialisation, il ne fallait pas réinventer la roue, mais utiliser plutôt l’état de l’art en la matière, la stratégie agile et adaptative. De même, dans l’exécution, nous ne devons pas repasser par la case machine à vapeur. Nous ne sommes pas obligés de passer par les mêmes étapes, ni d’emprunter les mêmes chemins que ceux qui nous ont devancés. Et j’ai une bonne nouvelle pour nous : dans le domaine des sciences et des technologies de l’information, nous pouvons faire un pas de géant et rejoindre les acteurs internationaux en profitant de l’aubaine de la grande bascule digitale en cours. Il faut le faire à temps, sinon nous allons subir au lieu d’agir.
Nous pouvons le faire, car dans le domaine des sciences et des technologies de l’information, nous sommes riches de la première des matières premières : la formidable quantité de cerveaux assoiffés de savoir de la jeunesse africaine. Il faut gérer et exploiter cette ressource en investissant massivement et qualitativement dans l’éducation, la formation et la recherche scientifique, spécialement dans les TIC.
Au-delà de la valeur économique et industrielle et son impact profond sur tous les aspects de notre vie, notamment la santé, la révolution digitale génère une nouvelle matière première stratégique : les données, les données de qualité, les métadonnées, et les « data sciences. »
Pour faire face aux besoins en ressources humaines de notre socle industriel évoqué plutôt, il nous faut continuer nos efforts et investir industriellement dans l’éducation de base, la formation professionnelle, l’enseignement universitaire et la recherche en utilisant les TIC comme catalyseur et amplificateur. Nous devons couvrir de manière cohérente le spectre des sciences et des métiers et les différents niveaux de maîtrise de manière à permettre au plus grand nombre de toujours pouvoir s’adapter aux évolutions rapides des métiers. Il faut industrialiser la formation.
Je disais tantôt qu’on ne peut pas arrêter un fleuve. Laissons donc le fleuve couler, aidons-le à couler: libérons les énergies des entrepreneurs africains, simplifions les démarches des investisseurs internationaux et des talents dont l’économie africaine a besoin.
Et voici la ZLECAf
Soyons ambitieux, nous pouvons nous le permettre. Investissons donc dans l’éducation, en particulier dans les Mathématiques à l’instar des Instituts Indiens de Technologie, sans oublier les humanités.
Nous vivons un moment historique. Le train de la transition digitale est à quai devant nous, ne le ratons pas, prenons-le avec détermination. C’est la condition de notre industrialisation qui va donner son sens à la ZLECAf.»