L’ex-leader de la jeunesse des années Gbagbo est désormais de retour à Abidjan. Samedi 26 novembre, Charles Blé Goudé, le général de la rue, a été accueilli à son retour, par des milliers de sympathisants après onze ans d’exil et de prison, presque dans une atmosphère de pré-campagne électorale pour une présidentielle! Car si la vedette du jour avait, officiellement, souhaité, un retour «sobre» et sans «triomphalisme » ce fut dans une ambiance de liesse que ses amis et partisans l’accueillirent. Et ce dimanche, lendemain de son arrivée, à la messe où il s’est rendu, le général de la rue s’est érigé en maréchal de la paix. Pour toujours? Ça c’est un autre débat!
Doit-on en conclure pour autant qu’avec cet événement pour certains, tout le monde il est beau tout le monde il est content? Il serait bien imprudent de s’empresser de le faire, car le retour au bercail de l’ex trublion de la scène politique ivoirienne, n’apporte pas que des réponses, il pose aussi de sérieuses interrogations.
Actes forts et insolites
On l’aura remarqué, l’accueil de Blé Goudé a été parsemé d’actes forts et pas insolites. A sa descente d’avion, après avoir embrassé le sol ivoirien, le général de la rue s’est dirigé vers Simone Gbagbo, Simone qui, en plus de s’être séparée de son désormais ex-mari, a poussé la rivalité au point de créer son propre parti politique, tournant ainsi le dos à celui que Gbagbo a fondé à son retour de la Haye. Puis vint le tour de Pascal Affi NGuessan dont on ne peut pas dire à ce jour qu’il soit l’ami intime de l’ancien président.
Dans son discours à ses sympathisants dans la commune de Yopougon, l’ex leader des jeunes patriotes commence par affirmer que son rôle n’est nullement de «les révolter». Dans la foulée il remercie avec force les autorités ivoiriennes dont la bonne volonté a permis que lui, Blé Goudé, puisse remettre pied à Abidjan pour retrouver les siens et communier avec eux!
Le grand absent
Plus insolite encore, une ombre plane, qu’on n’aperçoit pas, mais qui est très présente. A tout le moins, cette absence intrigue. Celle du père spirituel, Laurent Gbagbo! Aucun mot, aucun signe, aucune allusion! Après ce que tous deux ont vécu, notamment les jours d’agonie du régime de Laurent Gbagbo, après tout ce temps qu’ils ont passé ensemble à la prison de la Cour pénale internationale (CPI), on s’attendait à un autre type de relation, à présent que le «père» et le «fils» ont échappé aux geôles de la Haye et ont l’occasion de bâtir quelque chose de nouveau, ensemble en terre ivoirienne. De toute évidence, l’un et l’autre ont d’autres ambitions. Et celui qui tire les meilleurs dividendes du retour de Blé Goudé et du ressort cassé entre lui et son mentor, c’est bien Alassane Ouattara et son Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) dont on se doute qu’ils se délectent in petto de ce qui se passe. Car nul doute que ce retour de Blé Goudé au bercail va servir à rebattre les cartes politiques, et ce, au profit du RHDP et Alassane Ouattara.
2025, c’est déjà demain!
C’est l’évidence, même si la condamnation de 20 ans de prison prononcée contre lui par la justice ivoirienne n’a pas été levée, Blé Goudé revient dans le jeu politique ivoirien. Avec Simone, «Blé», à moins qu’un épisode de la série nous ait échappé, évolue à l’heure actuelle, hors galaxie Gbagbo. Quoi de plus normal qu’Alassane Ouattara se serve de ce tandem qui, en son temps a fait ses preuves contre lui, pour affaiblir, aujourd’hui, son rival de toujours et, au passage, neutraliser politiquement Pascal Affi Nguessan? Ce faisant, tout est bénef pour le locataire du palais de Cocody! Non seulement il mettrait en sérieuse difficulté l’enfant terrible de Mama, mais s’attirerait les bonnes grâces à la fois de l’ancienne épouse et de l’ancien fils spirituel qui eux seront bien contents de se refaire politiquement et de prendre une certaine revanche sur pour l’une l’ex époux et pour l’autre l’ancien mentor. Par le fait même, le président ivoirien pourrait envisager un futur politique plutôt serein, car 2025 c’est déjà demain!
Et bien malin qui pourra donner sa main à couper pour une non candidature de Alassane Ouattara à sa propre succession. La nouvelle constitution lui en donne le droit, elle qui a permis au chef de l’Etat ivoirien, dans un tour de passe-passe, de faire passer son troisième mandat anticonstitutionnel en premier mandat constitutionnel d’une nouvelle république!
Dans cette perspective, on peut l’imaginer, la grâce présidentielle qui devrait absoudre Blé Goudé et lui effacer sa condamnation à 20 années de prison pourrait bien être d’actualité sous peu. Son ex mentor qui visait l’amnistie en jouit déjà de cette magnanimité présidentielle, même s’il espérait plutôt l’amnistie.
Et Guillaume Kigbafori Soro?
Quid de l’autre célèbre exilé qui, lui aussi, rêve de rentrer au bercail pour reprendre une carrière politique brisée un peu trop tôt. Guillaume Kigbafori Soro, puisque c’est de lui qu’il s’agit, l’ennemi intime du général de la rue, l’homme qui tutoya les sommets de la république, avant de sombrer dans les abysses de la déchéance? Lui également, au purgatoire où il purge sa peine de crime d’ambition jugée précoce et osée pour le pouvoir, par les pontes du parti au pouvoir. Le pater familias, Alassane Ouattara, lui donnera-t-il aussi la route pour rentrer à la maison? Grande question dont la réponse mériterait bien un plat d’Attiéké poisson fumé, l’APF, spécialité culinaire ivoirienne très prisé sur les bords de la lagune Ebrié. Mais pour l’instant, c’est Alassane Ouattara qui est le maître du jeu!
Par Wakat Séra