Wakat Séra analyse avec Siaka Coulibaly, juriste, politologue et acteur de la société civile, la politique burkinabè dans le contexte de la disparition d’un acteur fort, en la personne de Salifou Diallo. Le profil du nouveau président de l’Assemblée nationale, les conditions pour que le Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) survive au défunt, la présidentielle de 2020 sans lui, etc., autant de sujets abordés dans cet entretien. Siaka Coulibaly «pense que l’opposition risque de monter un peu en puissance» après le décès de Salifou Diallo.
Wakat Séra: Qui voyez-vous comme président de l’Assemblée nationale?
Siaka Coulibaly: A mon avis, le profil du nouveau président de l’Assemblée nationale ne doit pas susciter autant d’intérêt. Parce que cette personnalité ne va pas pouvoir remplacer Salifou Diallo, en tant qu’individu et dans son rôle politique. Donc nous aurons un président classique. Un président de l’Assemblée nationale, en général, on ne le sent pas trop dans les institutions puisque c’est un rôle beaucoup plus protocolaire qu’effectif. On sentait le poste parce que Salifou Diallo allait au-delà de son rôle, à cause de rôle historique, et aussi il bousculait le gouvernement. En tant que président du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP), il lui fallait faire des résultats. Mais celui qui va venir, s’il n’est pas président du MPP, il ne va pas se sentir autant responsable que Salifou Diallo. Donc en réalité, C’est comme si on a une désactivation de ce poste-là, en fait. Ça va devenir comme les Soungalo Ouattara, les Mélégué Traoré à l’époque. Vous voyez qu’ils n’étaient pas aussi influents sur la vie politique. Donc on va avoir un président de ce profil-là. L’intérêt à mon avis n’est pas très important. Ils sont obligés de choisir quelqu’un à l’intérieur de l’Assemblée, mais qui appartient au MPP. Et quand on regarde les députés qui siègent, il n’y a pas quelqu’un dont la personnalité dépasse celle des autres. Cela veut dire que l’on va avoir un président qui a un profil classique. Quelqu’un de plus bureaucrate que politique, parce qu’il n’y a pas d’homme pour jouer le rôle politique de fond que Salifou Diallo jouait.
A ce moment, la majorité continuera-t-elle d’être à l’aise à l’Assemblée nationale comme avant ?
Les choses seront différentes maintenant. La personnalité de Salifou Diallo fermait les espaces pour l’opposition en particulier, de deux manières: d’abord parce que lui-même montait la garde sur le gouvernement, ce qui traditionnellement est le rôle de l’opposition. Mais comme il allait au-delà de ce que l’opposition pouvait faire, du coup l’opposition n’avait pas grand-chose à faire. Ce qu’il disait au Premier ministre par exemple, l’opposition était en deçà de cela. Cela fermait l’espace de l’opposition. Il y a aussi que l’opposition craignait d’affronter Salifou Diallo à cause de sa façon de faire la politique qui est sans limite. Donc pour ces deux raisons, l’opposition était sur ses gardes. Quand on va avoir à faire à un président moins combatif, sur certains dossiers l’opposition pourra déployer toute sa verve politique. Si l’on prend la loi PPP, on sait très bien que l’opposition n’y était pas favorable, puisque le Chef de file de l’opposition s’est prononcé. Mais après l’intervention de Salifou la loi a été votée ! Cela on risque de ne plus l’avoir puisqu’il ne sera plus là pour faire ce qu’il faisait. Je pense que l’opposition risque de monter un peu en puissance sur beaucoup de dossiers.
Quelles sont les conditions pour que le MPP survive à Salifou Diallo?
Les conditions sont simples. Je pense que Simon Compaoré pourrait devenir le président du MPP, même si c’est de façon temporaire. Son rôle sera de maintenir la cohérence des alliances qui ont fondé le MPP et aussi répondre aux défis politiques auxquels ce parti fait face afin de maintenir cette cohérence interne. Parce que si le front social s’agite, et que la stabilité est menacée, il n’est pas évident que les alliances tiennent comme sous Salifou Diallo. Les gens peuvent avoir des perspectives. Si les choses peuvent changer d’un moment à l’autre, autant prendre ses distances ou bien renforcer un autre camp qui est en train de monter en puissance. Salifou Diallo faisait barrage à ces perspectives d’évolution. Maintenant qu’il n’est plus là, cela va être difficile. Il faut que le nouveau président ou les nouvelles dispositions qu’ils vont prendre en tant que parti permettent de corriger le vide laissé par Salifou Diallo.
A vous entendre, à l’échelle nationale aussi il y aura une réorganisation sur le plan politique…
Il y aura forcément des mouvements, puisque l’alliance qui a créé le MPP et celle qui constitue la majorité était fonction de la personnalité de Salifou Diallo. A cause de lui, il y en a qui ne pouvaient pas venir au MPP et à cause de lui il y en a qui y étaient et qui après peuvent ne pas pouvoir y rester, à cause des alliances spécifiques qu’ils avaient avec Salifou Diallo. Pour ces raisons, la scène politique peut changer. Mais dans quel sens, on ne peut pas le dire actuellement, puisque pour l’essentiel les gros partis de l’opposition comme l’Union pour le progrès et le changement (UPC) et le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) vont difficilement rentrer en négociations directes avec le MPP, sans la convocation d’un dialogue politique national. Mais s’il y a un dialogue politique, les jeux seront ouverts et l’on pourra avoir plusieurs sortes de changements.
Malgré les hommages qu’elle a rendus à Salifou Diallo, cette situation n’arrange-t-elle pas l’opposition?
Ce ne sera pas une surprise que secrètement l’opposition soit heureuse de la disparition de Salifou Diallo pour la simple raison que dans le parti au pouvoir, il n’y a pas quelqu’un qui peut le remplacer. L’espace que lui seul occupait, sa disparition va ouvrir des perspectives pour l’opposition. C’est comme dans un match de football. Quand le meilleur joueur de l’équipe adverse se blesse, cela donne des ouvertures pour le camp d’en face et c’est pareil pour la disparition de Salifou Diallo. Que l’opposition le veuille ou pas, elle a les coudées plus franches pour agir. Et ce n’est même pas lié à la méchanceté, mais c’est dans l’ordre normal des choses, tant il était influent, proactif et prévenait avant que les situations n’arrivent. Maintenant qu’il n’est pas là, cela va se ressentir dans les relations entre le pouvoir et l’opposition.
Selon le développement que vous faites, un deuxième mandat pour le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, est-il menacé?
Toutes les élections comportent une part d’inconnu. Même si Salifou Diallo était là, 2020 pouvait être compliqué, à cause du bilan. En 2015 il y avait une histoire spécifique, avec leur démission du CDP, la lutte contre Blaise Compaoré, etc. Cela leur avait donné un espace politique. Mais pour 2020, on les a vus à l’œuvre et cela pourrait jouer même si Salifou Diallo était là. En plus s’il n’est pas là, son expérience politique va faire défaut au MPP et ce n’est même pas une question à poser! Cela va de soi. Lui, il a une longue expérience de la scène politique et il connait les acteurs individuellement. Cela lui permettait d’agir plus efficacement. Je ne dis pas que les autres ne connaissent pas. Roch et Simon ont à peu près la même durée de vie politique que Salifou Diallo, mais ils n’ont pas eu la même personnalité. Cela va faire la différence. C’est dire donc que 2020 sera plus compliqué pour Roch que si Salifou Diallo était là.
Entretien réalisé par Boureima DEMBELE