Ceci est une réflexion de l’ingénieur en génie rural Mamadou Diallo en vue d’une «stratégie sereine et viable» pour une sortie de la crise sécuritaire que connait le Burkina Faso depuis près de huit ans maintenant. Dans le texte parvenu à la rédaction de Wakat Séra ce lundi 1er mai, M. Diallo base son analyse sur le lien entre le djihadisme et la communauté Peulh au Burkina Faso.
A la suite de ma tribune du 12 mars 2023 «Djihadisme et communauté Peulh au Burkina Faso: Que faut-il retenir », certains de ceux qui ont pris le temps d’une lecture et d’une réflexion apaisées et utiles, ont souhaité des apports de réflexions sur les quatre questionnements proposés pour une réflexion stratégique sereine et viable pour une sortie de la crise sécuritaire ; je voudrais en introduction de mon propos les rappeler:
- Pourquoi les membres de la communauté peulh forment-ils le gros des troupes Djihadistes et animent-ils des Katiba au Burkina? Beaucoup de Burkinabè se posent légitimement cette question loin de toute stigmatisation.
- Pourquoi les groupes djihadistes ont-ils réussi à s’assurer semble-t-il un ancrage local, rural et une extension nationale significatifs; au point qu’ils animent une gouvernance indirecte des populations qui étend progressivement ses tentacules?
- Pourquoi les groupes djihadistes, malgré les pertes significatives subies, disposent-ils comme le phénix qui renaît de ses cendres, de capacités d’action significatives, au point d’imposer des blocus de nombre de villes moyennes, de nous laisser sans voix et tétanisés devant nos pertes militaires?
- Existe-t-il une stratégie politique alternative au regard de l’expérience de nos réponses de ces huit années de résistance?
En réalité j’avais esquissé quelques réflexions à ce sujet et tout particulièrement en ce qui concerne le premier axe de la réflexion stratégique par le biais de ma tribune Djihadisme et crise du pastoralisme au Sahel, que faire?
C’est en approfondissant la problématique de la crise du pastoralisme que j’en suis arrivé au paradigme du Dialogue, aux acteurs de sa conduite, ses thématiques, ses conditions et ses modalités; ce paradigme est porté à présent par le Groupe d’Initiative pour le Dialogue (GID) à travers une Pétition.
Je voudrais à présent convoquer l’histoire pour indiquer que des membres de la communauté peulh et assimilée à savoir les Toucouleurs ont déjà eu recours au Djihad pour desserrer les contraintes et obstacles à leur dynamique anthropologique et sociale, soit de pasteurs nomades soit d’agriculteurs sédentaires.
Pour la communauté Peulh, celle de pasteurs nomades, on peut rappeler l’expérience de la Diina du Macina avec son fondateur charismatique Sékou Amadou (un simple berger et marabout) c’est-à-dire l’Empire peulh du Macina (1818-1862). Les grandes réalisations du XIXè siècle en matière d’administration et de gestion du foncier rural et spécifiquement du foncier pastoral dans le Delta du fleuve Niger, dont l’originalité et l’efficacité sont reconnues, lui sont imputables. Le souvenir de la Diina et l’empreinte des structures sociales, de la vie et de l’éthique pastorales du temps de la Diina imprègnent encore aujourd’hui très fortement la communauté peulh dans la diversité de son inscription sur l’ensemble du territoire burkinabè; cela en dépit du fait que certaines vagues migratoires peulh vers l’actuel territoire du Burkina étaient dues au refus de son caractère théocratique. Avant d’être islamisés, les Peulhs étaient aussi de grands animistes et certains le sont encore ou en gardent un fond tenace, comme chacun de nous du reste.
Quant aux Toucouleurs, agriculteurs et sédentaires de langue et de culture peulh et islamisés, ils sont les tombeurs de la Diina en 1862; leur histoire avec la figure d’El Hadj Omar Tall est bien plus connue. Ce que l’on ne dit pas assez, ce sont les raisons profondes de cette lutte fratricide et plus que paradoxale.
Je voudrais à ce propos citer un des spécialistes de l’Empire Toucouleur (1848-1897) à savoir Yves Saint-Martin.
«C’était aussi une lutte où l’ethnie toucouleur, qui dominait dans l’armée d’El Hadj Omar, cherchait à imposer sa domination militaire, sociale et foncière, a d’autres peuples soudanais. Ayant quitté le Fouta Toro surpeuplé, les Toucouleurs retrouvaient avec plaisir dans le pays de Ségou et le Masina des terres alluviales fertiles et un double rythme de récoltes annuelles grâce aux pluies d’une part, a l’inondation ensuite, comme sur les bords du Sénégal. C’était mieux que les terres païennes du Kaarta et du Beledougou, privées des bienfaits d’un cours d’eau permanent. Il y avait de riches villes commerçantes, Sansanding, Djenne, Mopti, Tombouctou, Niamina, et bien que leurs habitants fussent de pieux musulmans, El Hadj Omar n’avait pas hésité à les pressurer durement. A la conquête des âmes, avait succédé celle des corps et des biens matériels».
Toute cette dynamique a sans doute eu des résonnances particulières, pendant la conquête coloniale, la colonisation et dans l’époque post-coloniale avec ses politiques publiques d’administration du territoire et de décentralisation, en matière foncières, minières, forestières, agricoles et pastorales. Certaines de ces résonnances alimentent un certain imaginaire collectif négatif à l’égard de la communauté peulh, dans nombre de communautés plus anciennement installées sur le territoire de l’actuel Burkina Faso (esclavage, paiement de tributs, appui militaire aux missions coloniales de conquête, administration décriée de cantons et ‘’états’’ crées sous la colonisation). Leur contre-coup en fut globalement une insertion difficile de la communauté peulh dans l’Etat-Nation post colonial.
Ainsi, en ce qui concerne les insurrections villageoises contemporaines portées par les groupes djihadistes je voudrais rapporter in extenso le résumé d’un article du Professeur Jacky Bouju bien connu du milieu universitaire burkinabè dont le titre est «La rébellion peule et ‘’la guerre de la terre’’. Le gouvernement par la violence des ressources agropastorales (Centre-Mali, Nord-Burkina Faso)»:
«(l’) article vise à démêler l’enchevêtrement des causes de conflit pour l’accès aux ressources agropastorales dans les plaines transfrontalières sous-administrées de la cinquième région, au centre du Mali, et dans les provinces du Soum et de l’Ouadalan, au nord du Burkina Faso. Dans un contexte de saturation foncière, l’aggravation des conflits entre pasteurs transhumants et propriétaires fonciers a conduit à une contestation violente de l’inégalité des droits d’accès aux ressources agropastorales au sein de la société peule. L’affaiblissement brutal de l’État et l’insurrection djihadiste ont fourni l’occasion aux lignages peuls dominés de s’armer et de se rebeller contre leurs élites. Une forme de «gouvernement par la violence» s’est instaurée qui semble avoir pour enjeu, à terme, le contrôle des terres arables, des pâturages et de la ressource hydrique».
Le Pr Jacky Bouju souligne dans la conclusion de son article une tendance lourde qui met en exergue la communauté peulh, complexifie son positionnement, ainsi que les réponses des communautés et des Etats: «Au Mali et au Burkina Faso, les conflits entre pasteurs transhumants et agriculteurs sédentaires sont perçus comme intercommunautaires, car la division du travail rural reste globalement conforme à l’héritage historique, où l’élevage est l’activité principale des Peuls et l’agriculture itinérante sur brûlis l’activité principale des populations sédentaires. Dès lors, la spécialisation des activités économiques tend à coïncider avec l’origine ethnique des exploitants, d’où le caractère apparemment «ethnique» des conflits entre éleveurs et agriculteurs par exemple. Néanmoins (…), secondaire par rapport à la crise des modes de production traditionnels et à l’inégalité d’accès aux ressources foncières et agropastorales. Dès lors, la récurrence des conflits fonciers non réglés et le vide sécuritaire et administratif consécutif à la crise de l’État ont engendré partout de profondes frustrations…»
Il ajoute que in fine la crise du pastoralisme n’est que le sommet de l’iceberg de la ‘’guerre de la terre’’ à venir autrement plus destructrice encore. Ce dont témoigne la crise du foncier urbain dans notre pays.
Ceux qui voudraient exploiter plus à fond l’article peuvent le trouver ICI.
Comme chacun le sait, cette dynamique conflictuelle alimentant la crise sécuritaire portée par les groupes djihadistes a, depuis, pris une extension nationale au Burkina. En considérant cette situation et l’histoire, on peut souligner les caractéristiques et conditions les plus significatives d’une telle dynamique:
- Un ancrage dans des logiques politiques, sociales et territoriales précoloniales en lien avec les anciens émirats, empires musulmans et leurs chefferies peulh vassalisées, avec les suzerainetés et terroirs de nomadisation touareg (Boucle du Mouhoun, Nord, Sahel).
- Un ancrage dans les frustrations résultant des contraintes communautaires spécifiques rencontrées par les pasteurs nomades dans chacun des espaces interstitiels d’insertion des vagues migratoires peulh précoloniales et postcoloniales (Boucle du Mouhoun, Hauts-Bassins, Centre-Nord, Centre-Est, Centre-Ouest, Cascades, Sud-Ouest, Est).
- L’ancrage dans les conflits et rivalités communautaires, politiques, religieuses et économiques précoloniales et coloniales et leurs avatars à l’époque contemporaine.
- L’ancrage dans les dynamiques nées des changements souvent radicaux du rapport des forces politiques et sociales inter et intra, communautaires induits par les indépendances; entre autres: suffrage universel direct, modalités d’administration, cooptation des élites traditionnelles, scolarisation, mobilité sociale.
- Un ancrage dans les menaces et obstacles à l’économie villageoises ainsi que dans les conflits, portés par les dynamiques foncières, d’aménagement des espaces ruraux, d’exploitation minière, d’aménagement et de gestion forestière modernistes.
- L’ancrage dans les frustrations et le désenchantement résultant du délabrement institutionnel, éthique et moral de l’Etat-Nation post-colonial: inefficacité structurelle multidimensionnelle des régimes politiques; prégnance de la corruption et de l’affairisme au sein des élites modernes, traditionnelles et religieuses impactant la vie politique, le fonctionnement des institutions et la délivrance du service public; portage des dérives sociétales de la civilisation occidentale (sexualité, genre, famille, arts).
- L’ancrage dans les frustrations d’une jeunesse rurale paupérisée et déclassée tout particulièrement au sein de la communauté des pasteurs nomades dont l’immense majorité ne possède plus en propre de cheptel.
- L’ancrage dans la stigmatisation et les exactions à l’égard de membres de certaines communautés, notamment peulh, par certaines forces publiques et certains groupes communautaires et leur instrumentalisation à des fins de recrutement.
- L’ancrage dans l’économie illicite et criminelle comme modalité principale de financement avec ses animateurs au niveau du grand banditisme, des élites politiques, militaires et économiques.
- L’ancrage dans les traditions, stratégies et tactiques de guerre non conventionnelles: terrorisme sous la modalité de commission systématique, massive et théorisée de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité; techniques de guerre asymétrique et insurrectionnelle ; organisation et instrumentalisation de crises humanitaires (systématisation de la guerre psychologique, des représailles, des rezzous, des pratiques de siège et ‘’de la terre brulée’’).
Toute personne honnête et lucide, peut, de ce fait, convenir à cette étape, de la situation de déliquescence dans laquelle semble s’enfoncer notre pays: deux coups d’Etat en 8 mois; stigmatisation et exactions criminelles à l’encontre de certaines communautés (majoritairement la communauté peulh); poursuite de la dégradation de la situation sécuritaire malgré les efforts de guerre inouïs et une mobilisation plus large (62,5% du territoire est sous état d’urgence); dynamique de déstructuration de l’Economie et des Institutions; installation d’une spirale infernale de la violence contre les civils et de banalisation de la vie humaine dont le dernier épisode est le drame de Karma du 20 avril 2023 (notre Jeudi Noir et notre mauvaise conscience collective); accroissement du nombre de PDI (Personnes déplacées internes, NDLR); risque prégnant de fascisation du régime militaire; perspective d’enlisement dans la guerre et de fracture sociale béante; dynamique de déstructuration pour de nombreuses familles de PDI.
Les leaders djihadistes boivent sans doute leur petit lait malgré les offensives de l’armée et les grandes pertes dans leurs rangs.
En effet, depuis la défaite du Califat de Daesch en Syrie et en Irak, les djihadistes savent qu’il leur est impossible d’afficher un Proto-Etat et à fortiori d’établir un Etat viable et durable. Leur objectif au Burkina Faso n’est sans doute pas de conquérir et d’exercer le pouvoir d’Etat; c’est de faire de notre pays un non-Etat; c’est-à-dire une zone de populations et de terroirs en déshérence soumis à l’obligation d’allégeance au salafisme et à la gouvernance par la violence systémique de chefs de guerre salafistes.
C’est sans doute tout cela qui explique l’impasse politique du ‘’Tout Militaire’’ à gagner la Paix, à Refonder notre Vivre-ensemble même en cas de défaite militaire des groupes djihadistes comme cela a été le cas en 2013 au Mali.
Tels sont aussi les termes d’une puissante interpellation à notre capacité d’imagination politique collective pour gagner une Paix durable, Refonder notre vivre ensemble et l’Etat.
L’approche du Dialogue proposée à travers la Pétition «Donnons une chance au dialogue afin de sortir de la crise sécuritaire, refonder notre vivre-ensemble et l’Etat au Burkina Faso.» est toute dédiée au façonnage collectif d’un imaginaire alternatif à l’Etat-Nation postcolonial.
Bon courage à nous.
DIALLO Mamadou
Tél: 74 50 18 59