Ceci est une réflexion du juriste et fiscaliste Pacôme Sia sur la dénonciation de la convention fiscale de non double imposition signée entre le Burkina et la France le 11 août 1965 et entrée en vigueur le 15 février 1967. Dans ce regard de M. Sia dont Wakat Séra a obtenu copie ce vendredi 11 août 2023, il est relevé les impacts de la décision pour les deux pays.
REGARD SUR LA DENONCIATION DE LA CONVENTION FISCALE ENTRE LE BURKINA FASO ET LA FRANCE
Par correspondance n°2023-609/MAECRBE/CAB du Ministère des Affaires Etrangères de la Coopération Régionale et des Burkinabè de l’Extérieur datée du lundi 7 août 2023, le Gouvernement du Burkina Faso a procédé à la dénonciation de la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Burkina Faso tendant à éliminer les doubles impositions et à établir des règles d’assistances mutuelle administrative en matière fiscale, signée à Ouagadougou le 11 août 1965 puis ratifiée le 15 février 1967 et entrée en vigueur le 15 février 1967.
Suivant les arguments avancés dans la correspondance dont les références ont été indiquées ci-avant, cette « dénonciation est la conséquence du refus de la partie française d’accéder à la demande de la partie burkinabè, exprimée depuis janvier 2020, de renégocier ladite Convention ». En effet, suivant les termes de la correspondance, « le Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération du Burkina Faso saisissait l’Ambassade de France à Ouagadougou par note verbale N°0002/MAEC/SG/DGAJC/DAJC/STAI/iv en date du 05 janvier 2020, d’une proposition de renégociation de la Convention fiscale de non double imposition signée le 1 août 1965 entre les deux pays [le Burkina Faso et la France], en vue de la conformer aux évolutions des dispositifs fiscaux aux niveaux interne, communautaire et international ».
Que, « la partie française étant demeurée silencieuse face à cette requête, malgré la relance faite par la partie burkinabè à la fin de l’année 2021, le Gouvernement du Burkina Faso n’a [eu] d’autres choix que de mettre fin à la Convention. »
La dénonciation de cette convention intervient dans un contexte diplomatique tendu entre les deux Etats qui s’est traduit dernièrement par la suspension de l’aide au développement et de l’appui budgétaire que la France accordait au Burkina Faso. Il apparaît indéniable que les décisions prises de part et d’autre par les deux Etats auront une incidence manifeste dans leurs rapports économiques, financiers et sociaux autant en interne que dans les échanges qu’ils seront amenés à réaliser.
Dès lors, il paraît logique d’examiner, en particulier, les incidences de la dénonciation de la convention fiscale franco-burkinabè. Dans le cadre de la série de questions qui suivent, nous tenterons d’appréhender ces incidences :
1-Qu’est-ce qu’une convention fiscale ?
Selon l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), une convention fiscale est un accord conclu entre deux États pour régler les questions fiscales qui se posent lorsqu’une personne ou une entreprise est assujettie à la fiscalité des deux États en raison de sa résidence, de la localisation de ses activités ou de tout autre critère. Les conventions fiscales couvrent divers aspects fiscaux, tels que l’imposition des revenus, des gains en capital, des dividendes, des redevances, des transferts de technologie, ainsi que des dispositions relatives à la résidence fiscale, à l’échange d’informations et à la résolution des différends entre les administrations fiscales des États signataires.
Ces conventions ont pour objectif principal de faciliter les échanges internationaux, de favoriser les investissements transfrontaliers et de prévenir la double imposition, tout en fournissant un cadre juridique pour la coopération fiscale entre les États.
➢ Au cas particulier de la convention fiscale entre le Burkina Faso et la France sans se détourner de l’objectif général qui anime toute convention fiscale, la convention fiscale franco-burkinabè avait pour objet :
– d’éliminer Les doubles impositions : il y a double imposition lorsqu’une personne physique ou morale (société, entreprise) est imposée au même impôt au Burkina Faso et en France pour le même revenu (salaire, honoraires, prix de vente…) ou la même opération (travail, stage, vente de biens, prestations de services) sauf si cela est strictement défini par la convention elle-même ;
– et d’établir des règles d’assistance mutuelle administrative en matière fiscale : il s’agit des règles de coopération entre les administrations fiscales des différents pays partis, notamment ; en matière d’échange d’informations ; de lutte contre l’évasion fiscale ; de poursuite et de répression d’infractions en matière fiscale.
2-En quoi consiste la dénonciation d’une convention fiscale ?
La dénonciation d’une convention fiscale consiste en l’annonce officielle par un État contractant de sa volonté de mettre fin à l’application d’une convention fiscale bilatérale ou multilatérale existante avec un ou plusieurs autres États. La Convention de Vienne sur le droit des traités définit notamment les règles en matière de dénonciation des traités internationaux et ou convention internationales. Ainsi, suivant les dispositions de l’article 42 de la convention de Vienne « l’extinction d’un traité, sa dénonciation ou le retrait d’une partie ne peuvent avoir lieu qu’en application des dispositions du traité ou de la présente Convention. »
Autrement dit, les modalités de la dénonciation d’un traité ou d’une convention doivent être recherchées dans la convention elle-même. Les conditions et les procédures spécifiques de dénonciation des conventions fiscales peuvent varier en fonction des dispositions spécifiques de chaque convention et des règles internes de chaque pays.
Cependant, certaines caractéristiques importantes des dénonciations de conventions fiscales incluent :
– une notification préalable : l’État souhaitant dénoncer une convention doit généralement notifier officiellement l’autre partie de sa décision de dénonciation. Cette notification peut être faite par le biais de canaux diplomatiques ou d’autres moyens spécifiés dans la convention ;
– des délais de préavis : les conventions fiscales peuvent spécifier des délais de préavis à respecter pour la dénonciation. Ces délais peuvent varier en fonction du type de convention et de la volonté des parties ;
– l’entrée en vigueur de la dénonciation : la dénonciation d’une convention fiscale prend généralement effet à une date ultérieure spécifiée dans la convention ou après l’expiration d’un certain délai à compter de la notification de dénonciation.
➢ Au cas particulier de la convention fiscale entre le Burkina Faso et la France
Les dispositions de l’article 44 de la convention fiscale prescrivent que « […] à partir du 1er janvier 1971, chacun des gouvernements contractants peut notifier à l’autre son intention de mettre fin à la présente Convention, cette notification devant intervenir avant le 30 juin de chaque année. En ce cas, la Convention cessera de s’appliquer à partir du 1er janvier de l’année suivant la date de notification […] »
Une lecture combinée des dispositions de l’article 44 de la convention fiscale et celles de la correspondance portant dénonciation peut laisser entendre que la partie Burkinabè n’a pas respecté les modalités de dénonciation.
Toutefois, l’invite répétée formulée par la partie Burkinabè qui est restée sans suite peut être regardée comme une volonté manifeste de la partie française de ne pas prendre en considération les situations nouvelles susceptibles de créer une double imposition ou de nature à assurer une meilleure coopération entre les deux Etats.
Toute chose qui reviendrait à remettre en cause les aspirations et objectifs premiers de la signature de cette convention fiscale. Ainsi, le silence répété de la partie française peut utilement justifier la prise d’effet de la dénonciation sur les trois mois suivants réception de la correspondance portante dénonciation.
Quelles sont les conséquences de la dénonciation d’une convention fiscale ?
La dénonciation d’une convention fiscale entre deux pays peut entrainer plusieurs conséquences fiscales, dont :
– La double imposition : les conventions fiscales sont conclues dans le but d’éviter la double imposition, c’est-à-dire que les revenus ou les avoirs d’un contribuable ne sont pas imposés deux fois, une fois dans son pays de résidence et une fois dans l’autre pays où il réalise des revenus. En raison de la dénonciation de la convention, il peut y avoir une possibilité de double imposition ;
– La modification des taux d’imposition : les conventions fiscales prévoient souvent des taux d’imposition réduits ou des exonérations pour certains types de revenus, tels que les dividendes, les intérêts ou les redevances. En cas de dénonciation de la convention, les taux d’imposition applicables peuvent changer et être plus élevés ;
– Le remplacement par une convention alternative : la dénonciation d’une convention fiscale peut parfois être suivie de la négociation et de la conclusion d’une nouvelle convention fiscale entre les deux pays concernés. Cette nouvelle convention peut entraîner des modifications des règles fiscales et des obligations pour les contribuables ;
– Les difficultés pour les contribuables : la dénonciation d’une convention fiscale peut également entraîner des difficultés administratives pour les contribuables, notamment dans la détermination de leur statut fiscal (résidence fiscale, domicile fiscale, assujettie, exonérés), la déclaration de leurs revenus et le paiement des impôts.
Il est important de souligner que les conséquences fiscales spécifiques de la dénonciation d’une convention fiscale dépendront des stipulations de ladite convention ainsi que des règles fiscales des pays concernés. Aussi, à titre d’illustratif, voici quelques exemples de cas de dénonciation de conventions fiscales et de leurs incidences financières :
I.dénonciation de la convention fiscale entre les Pays-Bas et la Russie : le 7 juin 2021, la Russie a annoncé la dénonciation de la convention fiscale avec les Pays-Bas. Cela a conduit à l’augmentation des retenues à la source sur les dividendes, les intérêts et les redevances provenant de Russie, passant de 5 % à 15 %. Les investisseurs néerlandais en Russie ont donc dû faire face à une hausse significative de la charge fiscale sur leurs revenus provenant de ce pays ;
II.dénonciation de la convention fiscale entre la France et la Suisse : En 2015, la France et la Suisse ont annoncé la dénonciation de leur convention fiscale. Cela a eu un impact important sur les contribuables suisses détenteurs de comptes bancaires en France. Les contribuables suisses ont dû faire face à une imposition plus lourde sur leurs revenus provenant de la France, notamment les intérêts bancaires, qui ont été soumis à une retenue à la source plus élevée.
➢ Au cas particulier de la convention fiscale entre le Burkina Faso et la France
Pour rappel, la convention fiscale entre le Burkina Faso et la France régie notamment les problèmes de doubles impositions qui s’appliquent en matière :
– D’impôts sur les revenus : Pour le Burkina Faso, sont concernés l’Impôt sur les bénéfices industriels, commerciaux et agricoles (IBICA), l’Impôt sur les bénéfices des professions non commerciales (IBNC), l’Impôt unique sur les traitements et Salaires (IUTS), l’impôt sur le revenu des capitaux mobiliers (IRCM). Pour la France, sont concernés l’impôt sur le revenu des personnes physiques, la taxe complémentaire, l’impôt sur les bénéfices des sociétés et autres personnes morales ;
– D’impôts sur les successions ;
– de droits d’enregistrement (autres que les droits de successions) et de Droits de timbre. Il s’ensuit que la dénonciation de cette convention pourrait entrainer :
– La double imposition : en effet, en raison de l’absence d’une base légale commune qui évite les doubles impositions, les entreprises et les personnes physiques des deux Etats qui y résident ou y mènent des activités professionnelles pourraient courir le risque d’être soumis à une double imposition.
Cela pourrait être davantage ressenti par les entreprises de droit français (non immatriculées au RCCM Burkinabè) qui exécutent des prestations au Burkina Faso et dont la présence est plus importante. Ces dernières pourraient être tenues de s’acquitter de certains impôts tels que l’IS sur le chiffre d’affaires qu’elles réalisent sur le territoire Burkinabè sans aucune concession liée à la durée de réalisation de la prestation ou du caractère taxable ou non de l’opération en France. Inversement, la dénonciation pourrait avoir une incidence majeure sur l’imposition des revenus transférés aux stagiaires et étudiants Burkinabè vivant en France qui étaient exonérés en raison de cette convention fiscale ;
– L’absence de cadre d’échange d’informations fiscales : cela pourrait affecter la coopération en matière d’échange d’informations fiscales entre le Burkina Faso et la France et accentuer les cas d’évasion fiscale, accentuer les cas de double imposition en raison de l’absence de cadre d’échange ;
– L’incertitude fiscale : l’absence de cadre de réglementation chargé de lutte contre la double imposition pourrait créer une certaine incertitude pour les contribuables des deux Etats.
Les règles fiscales applicables pourraient changer, ce qui nécessiterait une révision des stratégies fiscales et des obligations fiscales pour les entreprises et les individus concernés.
– Des conséquences économiques : en raison de la réglementation de la double imposition et des exemptions ou autres exonérations que confère la convention fiscale en certaines matières, la convention fiscale apparaît comme un outil assez important de stimulation de l’investissement pour les ressortissants des Etats partis.
Dès lors, la dénonciation pourrait entraîner des conséquences économiques négatives, comme une augmentation des obstacles fiscaux aux investissements et aux échanges, une réduction de la certitude fiscale et une détérioration de la confiance des investisseurs.
Je vous remercie pour votre attention.
Pacôme SIA
Juriste-Fiscaliste
pacomesia@gmail.com