« La question n’est pas de sortir du F CFA ou de ne pas en sortir », affirme Amadé Badini, professeur de philosophie à l’Université Ouaga I Joseph Ki Zerbo, dans un entretien avec Wakat Séra. Pour lui il faut chercher une souveraineté monétaire, « une monnaie qui se suffise à elle-même » dans les pays qui utilisent le F CFA.
Wakat Séra: Quelle est votre appréciation concernant la gouvernance en Afrique de façon générale ?
Pr Amadé Badini: En me fondant sur ce qui ce passe ici (au Burkina) je sais que ce n’est pas facile et les responsabilités sont partagées entre la société civile, les gouvernants et le contexte international qu’il faut prendre en compte pour apprécier les gouvernements locaux que nous avons. L’international joue beaucoup sur la gouvernance en Afrique, ce qui fait que beaucoup des tares de celle-ci sont des conséquences d’une intrusion de l’international dans les affaires nationales. La corruption et la démocratie balbutiante sont pratiquement alimentées par l’international.
Un de vos étudiants (Sefounema Joseph Akoutou) a soutenu sur l’Etat et sa gestion chez Machiavel, quel enseignement pour l’Afrique. Selon vous quelle est l’importance d’un tel thème pour le continent africain ?
C’est vrai que la politique en Afrique, celle officielle n’est jamais la même que la politique réelle. Dans la réalité, la politique dans les Etat africains, que je connais, est plus proche de la théorie de Machiavel qu’on ne le pense, étant entendu que ce sont des régimes qui utilisent la répression, des régimes qui dans la plupart des cas sont plus craints qu’ils ne sont aimés ou acceptés, d’où tout cet appareillage militaire qui fonctionne. Et les militaires en Afrique c’est plus pour faire peur au peuple que pour faire la guerre. De toutes les façons, ils sont inefficaces chaque fois qu’il y a la guerre.
Dans son travail l’étudiant fait ressortir la problématique de l’indépendance des pays africains. Qu’est-ce qu’il faut pour que l’Afrique jouisse d’une réelle indépendante ?
Je préfère le terme souveraine à indépendante. L’Afrique peut être souveraine. Elle est obligée d’être souveraine si elle veut se développer. Il faut une souveraineté politique, économique et culturelle. J’entends par souveraineté la responsabilité de poser des actes en toute liberté et d’en assumer les conséquences. C’est ça la souveraineté et là, il faut que l’Afrique soit souveraine. Maintenant, souveraineté ne veut pas dire indépendante. Plusieurs souverainetés peuvent cohabiter, entretenir des relations entre elles tout en conservant chacune sa souveraineté. Actuellement, malgré tout ce qu’on dit, la caractérisation du seuil de pauvreté n’est pas accédée de manière unanime en Afrique puisque le seuil de pauvreté est fixé par rapport au dollar. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que tout individu disposant d’un revenu annuel de moins de 370 dollars par exemple, est considéré comme pauvre. Ces dollars représentent quoi ? C’est pour qui ? Ça déjà c’est un exemple d’absence de souveraineté qui n’a rien à voir avec l’indépendance. Moi je pense qu’il faut distinguer les deux. Nous avons plus besoin de souveraineté que d’indépendance. Aujourd’hui personne n’est indépendant.
Parlant de souveraineté, il y a des panafricanistes qui militent pour le retrait des pays africains du Franc CFA. Quelle est votre position par rapport à ce sujet ?
Pour moi il ne s’agit pas de sortir du FCFA ou de ne pas en sortir. Il s’agit pour les pays africains qui ont en commun cette monnaie de se l’approprier quel que soit le nom qu’on va lui donner. Mais que nous soyons souverains pour notre monnaie aussi et que cette monnaie ne trouve pas son fondement dans l’Euro ou dans la République française. C’est ça ! Moi je serai encore plus d’avis qu’il y ait une monnaie africaine. Maintenant qu’on l’appelle F CFA ou autre ça, ce n’est pas un problème. Mais ce qui est important, il faut que ça soit une monnaie qui se suffise à elle-même et qui n’a pas besoin d’être bénie par l’Euro ou la France. C’est ça le problème de fond. Mais là, si on veut être souverain, il faut aller jusqu’au bout, parce qu’actuellement l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), la CEDEAO ( la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) fonctionnent sur financement français, européen. Il ne faut pas prendre le FCFA comme ça en l’air et laisser par exemple la CEDEAO ou l’UEMOA comme ça, tout en sachant qu’une grande partie du budget de la CEDEAO est supporté par la France par exemple ou l’Union européenne.
L’Afrique pour se développer peut-elle se passer de l’Occident ?
Oui ! Moi je pense qu’on peut se développer sans l’Occident. De toute façon on ne pourra pas se développer tant qu’on ne se passera pas des Occidentaux. C’est clair. Pour moi l’Afrique doit même se développer en dehors, c’est-à-dire ne même pas accepter d’être définie par rapport aux pays européens. Pourquoi c’est eux qui vont venir dire que nous sommes développés ou que nous sommes sous-développés ? Par rapport à qui ? Par rapport à quoi ? Sur quelle base ? Parce qu’on n’a pas de voiture ? On n’a pas besoin de voiture pour être riche. C’est ça aussi le problème de la souveraineté, il faut aller jusqu’à la définition même des concepts fondamentaux. Moi je ne supporte pas que nous laissions aux pays européens ou aux puissances anciennement coloniales de nous dire ce que c’est que le développement et de nous imposer les indicateurs de développement, comme si nous étions incapables donc de réfléchir et de conceptualiser.
Comment vous concevez la démocratie en Afrique ?
Pas plus qu’ailleurs. La démocratie c’est qu’effectivement on ait des gouvernements, des régimes, ou des formes d’Etat qui soient l’émanation de la volonté générale et que cette volonté générale soit respectée en amont et en aval du processus politique. Mais pour ça il y a un prix à payer, si nous voulons rester avec cette définition de la démocratie à l’occidental. Pour moi la démocratie à l’occidental n’est pas le meilleur régime possible.
vidéo de l’intégralité de l’entretien avec le professeur de philosophie Amadé Badini
Par Daouda ZONGO