Alors même que tous les résultats du second tour de la présidentielle libérienne n’étaient pas proclamés, George Weah, le président sortant, en gentleman de grande classe, reconnaissait sa défaite et félicitait son adversaire, Joseph Boakai qui était crédité de 50,64% des suffrages. Celui qui porte le surnom affectueux de «Joe le dormeur», à cause de ses yeux souvent mi-clos sous le bord de son chapeau, porte également bien ses 78 ans.
Ce geste de fair-play digne du seul Africain Ballon d’Or du football européen, n’honore pas que le bientôt désormais ex président du Liberia. Il a, en tout cas pour l’instant, désamorcé cette bombe, appelée violence post-électorale, qui pendait comme une épée de Damoclès sur un pays coutumier des guerres civiles. La menace était latente et se précisait, avec les annonces prématurées qui inondaient les réseaux sociaux du fait de cadres du Parti de l’Unité, qui avaient ainsi provoqué des rassemblements de leurs militants pour fêter une victoire encore non réelle de leur champion Joseph Boakai.
Autant il faut saluer la tenue de ces élections serrées dès le premier tour et dont les enjeux couvaient le grand danger de mettre le feu au climat social délétère, autant il faut féliciter le président candidat à sa propre succession qui a été le premier à admettre que la suite du comptage des voix ne pouvait pas le donner gagnant. Tout est bien qui finit bien, peut-on dire, en espérant que la suite des événements connaisse le calme actuel.
George Weah devient ainsi le spécialiste des premières, mais aussi des victoires uniques. En effet, de premier et seul Africain Ballon d’Or européen, il est devenu le premier et seul ancien footballeur professionnel à conquérir le fauteuil présidentiel. Et s’il n’a pas pu renouveler son énorme performance de footballeur, il n’a pas pu, non plus, enfiler un autre mandat présidentiel à la suite du premier. Sauf qu’il pourra toujours s’aligner pour une nouvelle reconquête de son sceptre présidentiel perdu, ce qui n’est plus possible pour le graal sportif pour lequel le vieux retraité footballeur qu’il est depuis lors, n’est plus en mesure de compétir.
Dans l’attente d’une potentielle nouvelle course à la présidentielle, «Mister George» pourra toujours ruminer cette défaite qu’il ne doit qu’à lui-même. La lutte contre la corruption qu’il avait promis porter à bout de bras, tout comme le combat contre la pauvreté et pour de meilleures conditions de vie de ses concitoyens, sont demeurés de simples promesses de campagne au point de devenir des flèches décochées sans ménagement contre lui, par Joseph Boakai.
Mais les attentes des Libériens restant les mêmes et les défis, que n’a pu relever son prédécesseur, entiers, quelle est la véritable marge de manœuvre de Joseph Boakai, l’ancien vice-président de l’ère Ellen Jonhson Sirleaf? La première arme de Joseph Boakai est, sans doute, sa solide casquette d’homme d’Etat, avec son expérience acquise aux différents postes, dont celui de vice-président, qu’il a occupés dans une autre vie. Il n’a pas sauté d’étape, comme celui dont il vient de ravir la place. De plus, le fils de paysans sait parler à ses compatriotes le langage qu’ils connaissent. Certes, pour cette élection, il était dans le beau rôle, n’ayant pas eu de bilan à défendre, mais il hérite, en même temps, de tous les manquements, erreurs et incompétences du régime Weah. Mais le plus urgent pour le président Joseph Boakai sera de recoller les morceaux d’une société libérienne presqu’en lambeaux du fait de l’incurie des politiciens.
Quid de cet éternel faiseur de roi nommé Prince Johnson? Il est indéniable que le soutien de l’ancien seigneur de guerre a été capital dans la victoire de Joseph Boakai, comme ce fut le cas pour celle de George Weah pour l’élection présidentielle de 2017. De quel poids pèsera-t-il sur le pouvoir du nouveau président, vu que visiblement lui-même, n’arrivant pas à se débarrasser de son manteau de chef de guerre, ne peut prétendre à la gestion du pays? Après sa rupture avec George Weah, Prince Johnson vient de prendre une belle revanche et cherchera sans doute à profiter davantage de sa popularité acquise de son appartenance au comté de Nimba, l’un des plus peuplés du Liberia.
Ce qui est sûr, le Liberia vient de faire mentir la règle non écrite selon laquelle «en Afrique, on n’organise pas les élections pour les perdre». George Weah a perdu et l’opposant Joseph Boakai a triomphé! Et le Liberia ouvre ainsi une nouvelle page d’espoir, avec le «sauveur», qui ne bénéficiera probablement pas d’état de grâce. Au Liberia tout est urgent et prioritaire!
Par Wakat Séra