Les Burkinabè les empruntent à chaque fois alors qu’elles font de milliers de victimes par an. A pieds, à vélo, à moto ou en voiture, on est un potentiel accidenté lorsqu’on est sur les artères de la ville de Ouagadougou ou toute autre localité du Burkina Faso. Que l’on soit un habitué ou non de la circulation, il n’y a pas de cadeau lorsqu’on est impliqué dans un accident de la route. Madina Belemviré, journaliste et Aminata Paré (nom d’emprunt, NDLR), chacune d’elle est, de nos jours, durement marquée par un accident de la circulation routière. Les souvenirs restent toujours vifs.
12 juin 2023 ! Un jour ordinaire comme tout autre. Sortant de chez elle avec une amie embarquée sur sa moto, Madina Belemviré comptait passer une très bonne journée. Elle ne s’imaginait pas que cette virée entre filles, « tournerait au vinaigre ». Une randonnée et un jour qui restent à jamais gravés dans sa mémoire lorsque nous lui avons tendu le micro le 17 novembre 2023.
« On partait à la Zone 1. Arrivé vers le barrage de Somgandé (barrage N°3 de Ouagadougou, NDLR), on a été percuté par un motocycliste qui a évité un autre motocycliste ayant freiné brusquement au milieu de la voie », se souvient Mme Belemviré, comme si cela venait juste de se produire. Propulsées par le choc, elles ont été projetées sur le terre-plein, la moto pesante sur elles. Le casque que la conductrice Mme Belemviré portait s’est retrouvé à quelques mètres loin d’elle. Même si elle n’avait pas « bien attaché » son casque, sa présence s’est révélée salvatrice par la suite.
« Je saignais de la tête et du pied », nous dit-elle. Elle a failli perdre un œil dans cet accident. « Imaginez si je n’avais même pas mon casque, ce qui aurait pu arriver à ma tête », lâche-t-elle, toute pensive. Son amie quant à elle s’en sort avec « juste quelques égratignures ».
Après les soins qui lui sont administrés à l’hôpital Schiphra à Ouagadougou, elle regagna le même jour son domicile non sans séquelles. « Quelques jours plus tard, j’avais des difficultés à marcher. Mon pied était enflé et mon œil me faisait très mal. Je suis retournée à l’hôpital voir un ophtalmologue qui m’a fait passer des examens, mais Dieu merci, l’œil n’a pas été touché », raconte-elle. Une chance pour elle. A la suite de l’accident, Madina Belemviré a passé un mois à la maison. Un long mois avec une mobilité réduite et une incapacité de remplir ses obligations dans le média dans lequel elle officie.
Le vécu de Madina Belemviré n’est pas aussi différent de celui de beaucoup de personnes ayant subi des blessures après des accidents. C’est le cas aussi d’Aminata Paré (Nom d’emprunt, NDLR). Tout comme Mme Belemviré, Mme Paré n’oubliera jamais le jour tragique du 10 octobre 2021, où elle a été renversée par un véhicule, l’os du dos déformé, avec des fractures à la hanche et au genou.
Cela fait plusieurs semaines que nous négocions le témoignage de Mme Paré. Notre premier contact a eu lieu le 15 octobre 2023. Après des refus et des hésitations, elle se lâche et se confie à l’équipe de Wakat Séra sous un arbre non loin de son habitation à la cité Azimo, le 20 novembre 2023. « C’est des souvenirs. Ce n’est pas simple pour moi de revivre ça », marmonne-t-elle face à notre micro et smartphone activé en mode caméra.
« Une année six mois ! C’était l’enfer », dit-elle en fondant en larme. Un souvenir douloureux qui hante toujours notre interlocutrice. A peine Aminata Paré avance dans son témoignage, une voix tremblotante accompagne son visage de plus en plus triste. Mme Paré nous fait savoir qu’elle souhaite interrompre l’interview. Nous lui accordons un peu d’air, le temps de recouvrer ses esprits. Nous qui avons commencé l’entretien en filmant, sommes obligés d’éteindre notre camera. Pour encore mettre notre interlocutrice en confiance, nous lui proposons de garder secrète son identité. Après un temps de silence, cet accord est retenu.
Son accident est survenu dans le mois d’octobre 2021 vers le quartier Paglayriri, non loin du rond-point du quartier Patte d’Oie à Ouagadougou. « Le sang taché sur le bitume ce jour, témoigne de la violence de l’impact de l’accident », relate Mme Paré. Les frayeurs restent encore vivaces. Les mains tremblantes, elle nous montre les quelques rares photos de l’incident, sur son ordinateur, qui ont échappé à la suppression.
« L’os du dos déformé, fracture à la hanche et au genou, j’ai vécu l’enfer », nous fait-elle savoir, la voix teintée d’amertume exprimant la souffrance endurée. Elle affirme avoir suivi des traitements à l’hôpital Saint Camille, puis à l’hôpital Tengandogo (ex Blaise Compaoré, NDLR), et des séances de kinésithérapie. Mme Paré a été également à Zitenga dans la région du Plateau-Central, après avoir fait le tour de ces deux hôpitaux, pour y poursuivre traditionnellement les soins.
« Une année six mois. Je ne pouvais pas marcher. J’avais deux béquilles, une ceinture lombaire et une genouillère. La nuit, je ne pouvais pas dormir à cause des douleurs, malgré les calmants. Je pleurais comme un enfant », confie-t-elle, la voix nouée, les mains moites jointes l’une à l’autre. « Pour éviter les douleurs atroces que je ressentais quand je me déplace, je buvais rarement pour ne pas avoir à aller dans les toilettes qui est à moins de deux mètres du lit pour pisser. Pour me laver, ça faisait pitié. Je me couchais et on mettait l’eau sur moi… », poursuit-elle en écrasant du coin de ses yeux, des larmes qu’elle n’a pas pu contenir. « Jusqu’à présent, je ressens souvent des douleurs surtout en période de fraicheur », souligne-t-elle.
La tête de Aminata Paré a été épargnée dans cet accident, tout comme celle de Madina Belemviré, à cause de la protection du casque qu’elle portait. Contrairement à Mme Belemviré, Mme Paré avait bien attaché le sein.
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Au service orthopédie-traumatologie du Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo, plusieurs cas d’accidentés y sont admis chaque année. Nous avons rencontré son premier responsable, le Pr Mamoudou Sawadogo en présence de son équipe, le vendredi 8 décembre 2023. Selon le Pr Sawadogo, ce sont « à peu près entre 12 000 et 15 000 patients » que son service reçoit chaque année. Et parmi ces accidentés, « 99% sont issus des accidents de la circulation routière dans la ville de Ouagadougou plus quelques évacuations venant de l’extérieur », nous dit-il. « En 2023, de janvier à fin octobre, on a reçu 4 124 patients de traumatologie pure, comme les cas de fractures et 7 630 patients de neurochirurgie (traumatismes crâniens) », déclare le Pr Mamoudou Sawadogo.
Il appelle donc les usagers de la route à la « prudence, au respect du code de la route, à ne pas conduire sous l’emprise de l’alcool et des produits stupéfiants et surtout de porter le casque quand on est en moto ».
« La mortalité que nous enregistrons n’est pas négligeable. Tous les jours, on voit des familles en pleure devant les portes des urgences. L’année dernière, les décès en traumatologie pure étaient au nombre de 68 et 172 pour la neurochirurgie. Donc, un total de 240 décès en 2022. La forte mortalité aux urgences est liée au traumatisme crânien », insiste le Pr Mamoudou Sawadogo.
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Vu les conséquences graves constatées lors des milliers d’accidents de la circulation routière impliquant des véhicules motorisés à deux roues et des tricycles, le ministère des Transports, de la mobilité urbaine et de la sécurité routière œuvre dans la sensibilisation sur le port du casque. Le ministère « entend poursuivre la sensibilisation jusqu’en 2024 avant de passer à la répression continue. Une évaluation sera faite avant de passer à cette étape », selon le ministre en charge de la Sécurité routière Roland Somda qui était devant les députés le 5 décembre 2023.
M. Somda est revenu aussi sur l’intégration de l’enseignement du code de la route au sein des écoles et envisage l’insertion du port obligatoire du casque dans le règlement intérieur des écoles, les années à venir.
La loi sur le port obligatoire du casque a été adoptée en 1978 et concernait les cylindrés de plus de 125 cm3. En avril 2005, un décret a été pris pour l’élargir à tous les engins à deux roues. Et il est fait obligation d’intégrer le casque aux équipements d’accompagnement des véhicules motorisés à deux roues lors de la vente. Mais en septembre 2006, le maire de Ouagadougou de l’époque, Simon Compaoré, qui a voulu faire appliquer la loi sur le port du casque a rencontré une résistance farouche des usagers des engins à deux roues.
Selon le directeur général de l’Office National de Sécurité Routière (ONASER), Ganè Kpière Evariste Méda, les causes de ces accidents sont multiples, mais il y a principalement «l’excès de vitesse, l’imprudence des usagers, l’inobservation des règlements, l’usage du téléphone en circulation, le non-respect des feux tricolores, l’emprunt des sens interdits, les installations anarchiques aux bords des voies, la divagation des animaux, l’abus de l’alcool, l’état des voiries, la construction des ralentisseurs anarchiques », entre autres.
Graphique sur les statistiques des accidents de la circulation dans la ville de Ouagadougou par type d’engin de 2018 à 2022
Plusieurs accidents sont enregistrés sur les routes à Ouagadougou, encore appelé la capitale des engins à deux roues. Même s’il n’y a pas d’études assez spécifique qui soit arrivées à identifier les axes accidentogènes, il ressort d’une étude récente de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), réalisée dans la capitale burkinabè, sur les traumatismes et les accidents de la circulation routière, que la grande majorité des accidents se passe au niveau des intersections, là où il y a des feux tricolores.
« Ça a été démontré que ces accidents sont pour la plupart des accidents graves ou mortels. Il a été aussi démontré que ces mêmes accidents qui se produisent au niveau des feux tricolores et des accidents graves ou mortels se passent généralement tard dans la nuit ou au petit matin », nous dit le directeur du système d’information de l’ONASER, Boubacar Fofana. «On comprend assez rapidement que lorsqu’on arrive au feu, après minuit, on se dit qu’il n’y a personne. Donc le temps qu’on se rende compte, généralement en cas de collision, ce sont des accidents mortels », poursuit-il.
L’ONASER qui a pour mission, entre autres, de collecter les données des accidents et de les traiter pour voir leur impact sur la circulation et sur les usagers, indique, selon son directeur du système d’information, qu’au cours du 1er semestre de 2023, il y a eu 11 717 accidents de la circulation routière sur les artères au Burkina. Ceux-ci ont fait 471 morts et 7 335 blessés. A Ouagadougou au cours de cette période, il a été enregistré 7 035 accidents qui ont fait 2 810 blessés et 89 morts.
La tranche d’âge la plus concernée par les accidents de la circulation
Selon le dernier point fait au niveau de l’Organisation mondiale de la santé, la tranche d’âge la plus touchée par les accidents de la circulation routière dans le monde est de 5 à 29 ans. « Au niveau du Burkina Faso quand vous faites une lecture croisée de l’ensemble des données collectées par la Brigade nationale des sapeurs-pompiers, vous vous retrouvez pratiquement dans la même fourchette de 5 à 29 ans », souligne M. Fofana.
La fréquence des accidents sur les voies a conduit certains usagers de la route à s’attacher les services des assureurs dans le but de se faire assister dans la prise en charge des dommages en cas d’accident. Le président de l’Association Professionnelle des Sociétés d’Assurances du Burkina (APSAB), Monhamed Compaoré que nous avons rencontré le 27 novembre 2023, nous confie qu’ils sont des milliers par an, leurs clients qui sont victimes d’accident de la circulation.
VIDEO : Le président de l’APSAB sur les services des assurances en lien avec les accidents de la circulation
Cette même récurrence des accidents de la circulation routière, a amené des bonnes volontés à se réunir au sein d’associations, à l’instar de « Zéro goutte de sang sur la route » présidée par Moumouni Koudougou, pour mener des actions de sensibilisation, de promotion de la sécurité routière, dans le but de contribuer à la réduction des accidents.
L’association « Zéro goutte de sang sur la route » a été mise en place par des membres du groupe Facebook « Circulation de Ouaga ». Cette page fait la promotion de la sécurité routière, du civisme et de la citoyenneté responsable. « Zéro goutte de sang sur la route » a été créée en 2020 et officiellement reconnue en novembre 2021.
VIDEO-Moumouni Koudougou : « Zéro goutte de sang sera possible si on écoute ce que la route dit »
« Si j’ai un conseil à donner aux gens, après l’accident que j’ai subi, c’est d’être prudent quand on est en circulation. Il faut aussi bien porter le casque, respecter le code de la route et rouler doucement », conseille également Madina Belemviré, qui « ne souhaite plus revivre ça ».
Par Daouda ZONGO