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Interdiction du meeting de Pascal Zaïda: «Ainsi naissent les martyrs, les leaders et les héros»

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photo d'archives

Les péripéties du meeting avorté du Mouvement Populaire des Jeunes (MPJ), membre du CED de Pascal Zaïda et les développements qui ont suivi ont amené le juriste Amadou Traoré, à donner mon point de vue sur l’environnement de la manifestation sur la voie publique en relation avec les textes qui régissent la liberté d’association, la liberté de réunion et de manifestation sur la voie publique et la répression des actes de vandalisme commis lors des manifestations sur la voie publique.

«Le présent point de vue ne tient pas compte de la réunion privée qui est celle qui se tient dans un endroit privé et qui est strictement réservée à des personnes invitées ou conviées. La tenue de la réunion privée est entièrement libre. Mon écrit concerne la tenue de la réunion publique. L’article 3 de la loi n°22/97/II/AN du 21 octobre 1997 portant liberté de réunion et de manifestation sur la voie publique dispose en ses alinéas 2 et 3 que:

« – Est considérée comme réunion publique, celle à laquelle tout citoyen a librement accès, que cette réunion ait lieu dans un endroit privé clos ou non, ou dans un lieu public, même si elle ne concerne qu’une catégorie de citoyens ;

– Est considéré comme lieu public tout endroit ouvert habituellement et notoirement à l’usage de l’ensemble des citoyens, conformément aux usages locaux, que cet endroit soit clos ou non. »

Le meeting que le MPJ prévoyait de tenir le 7 octobre 2017 à la Place de la Nation était une réunion publique. Suivant lettre en date du 3 octobre 2017, le Secrétaire général de la Commune de Ouagadougou a, par délégation, mis fin au processus d’organisation dudit meeting. Cette lettre comporte plusieurs ordres d’insuffisances et aurait pu comporter des développements en défaveur de l’administration communale si les organisateurs avaient opté d’en donner une suite contentieuse.

Les insuffisances techniques de la lettre de la Commune

L’objet de la lettre porte sur l’annulation de la manifestation, ce qui n’est pas exact. En effet, l’annulation suppose qu’une autorisation devrait être préalablement accordée aux organisateurs pour tenir la manifestation, ce qui n’est pas le cas. La Constitution du 11 Juin 1991 dispose en son article 7 que: «La liberté de croyance, de non-croyance, de conscience, d’opinion religieuse, philosophique, d’exercice de culte, la liberté de réunion, la pratique libre de la coutume ainsi que la liberté de cortège et de manifestation sont garanties par la présente Constitution, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public, des bonnes mœurs et de la personne humaine.»

L’article 8 ajoute que: «Les libertés d’opinion, de presse et le droit à l’information sont garantis. Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements en vigueur.»

L’exercice de ces libertés, déjà garanti par la Constitution, ne fait plus l’objet d’une demande d’exercer lorsque le citoyen veut mener une activité non interdite par la loi. Il doit seulement en faire une déclaration préalable auprès de l’autorité administrative compétente.

C’est ce que dit l’article 7 de la loi n°22/97/II/AN du 21 octobre 1997 portant liberté de réunion et de manifestation sur la voie publique en ces termes: «Les réunions publiques sont soumises à déclaration préalable, lorsque ces réunions ont pour objet une conférence ou un exposé, sur quelque sujet que ce soit, suivis ou non d’un débat; elles sont soumises aux conditions prévues aux articles 8 et 9 ci-dessous La déclaration préalable doit être écrite et adressée à l’autorité administrative compétente. Celle-ci peut, pour des raisons d’ordre public, interdire la réunion.

La déclaration doit être faite au moins soixante-douze (72) heures ouvrables avant la date prévue par les organisateurs de la réunion….»

La loi n°22/97/II/AN du 21 octobre 1997 portant liberté de réunion et de manifestation sur la voie publique est une loi centrale, parce qu’elle régit l’exercice de la liberté d’association et de la liberté de réunion et de manifestation sur la voie publique. Elle fonde également la répression des actes de vandalisme commis lors des manifestations sur la voie publique, objet de la loi n°026-2008/AN du 08 mai 2008.

L’article 10 dernier paragraphe de la loi n°22/97/II/AN du 21 octobre 1997 dispose que «l’autorité qui reçoit la déclaration peut faire connaître ses observations par un accusé de réception adressé aux organisateurs de la manifestation vingt-quatre (24) heures au moins avant la date prévue pour la manifestation. Elle peut si les circonstances l’exigent, déclarer la manifestation interdite. »

Dès lors que la manifestation ne fait pas l’objet d’une demande d’autorisation, l’objet de la lettre de la Commune ne pouvait pas être l’annulation, mais plutôt l’interdiction de la manifestation dans le sens de l’article 10 ci-dessus. Ce sont les organisateurs du meeting qui pouvaient annuler leur manifestation pour cause de son interdiction par l’administration ou pour toute autre raison.

C’est pour cela que du point de vue administratif, la lettre du Secrétaire général n’a pas de sens lorsqu’elle a pour objet « ANNULATION DE MANIFESTATION ». Nous sommes en matière administrative et chaque mot a son importance. L’objet de la lettre devrait être « INTERDICTION DE MANIFESTATION »

Fort heureusement pour le chef de l’administration communale, l’insuffisance est quelque peu rattrapée dans le troisième paragraphe de la lettre disposant que « Par conséquent, votre manifestation prévue aux dates et lieu ci-dessus indiqués est interdite ». Ouf !!

Il est à signaler que dans l’exercice de la liberté de réunion, les organisateurs d’une manifestation ont quand même l’obligation de faire deux demandes : l’une pour l’occupation des lieux et l’autre pour obtenir la présence des forces de l’ordre nécessaire à la sécurité de l’activité. C’est l’objet de l’article 10, paragraphe 4 de la loi n°22/97/II/AN du 21 octobre 1997 portant liberté de réunion et de manifestation sur la voie publique qui dispose que : « La déclaration ne préjuge pas des éventuelles demandes d’occuper les lieux ou de bénéficier de la protection de la manifestation par les autorités chargées de la sécurité. »

Pour l’occupation de la Place de la Nation, le Mouvement Populaire des Jeunes (MPJ) a d’abord eu l’accord de principe de l’Etat-major de l’Armée, gestionnaire des lieux. Lorsque le secrétaire exécutif du MPJ a été invité le jeudi 4 octobre à récupérer l’autorisation écrite, il n’a pas donné de suite parce qu’il avait déjà reçu la lettre d’empêchement de la Commune.

Les insuffisances de fond de la lettre de la Commune

La décision administrative est une manifestation de volonté de l’administration qui se traduit par l’édiction d’une norme destinée à modifier l’ordonnancement juridique des intéressés. Elle est également appelée acte administratif.

Dans le principe, dès lors qu’un acte administratif fait grief (modifie l’ordonnancement ou la situation juridique d’une personne sans son consentement), il est susceptible de recours en annulation ou pour excès de pouvoir devant le juge administratif. C’est pour cela que les personnes physiques et ou morales ont le droit d’être informées des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent pour décider de la suite à y donner.

La lettre de la Commune adressée au MPJ est une décision administrative. C’est même pour cela que l’article 12 de la loi n°22/97/II/AN du 21 octobre 1997 dispose in fine que la décision de l’administration de mettre fin à la manifestation est susceptible de recours devant les juridictions compétentes. L’article 12 de ladite loi dispose en effet que : « L’autorité administrative peut, à tout moment, et nonobstant l’absence d’interdiction initiale, mettre fin à toute réunion, tout cortège, défilé, rassemblement sur la voie publique et dans les lieux publics, si le maintien de l’ordre l’exige. La décision de mettre fin à la manifestation est susceptible de recours devant les juridictions compétentes. »

La lettre de la Commune pose un problème de cohérence et conséquemment, crée le doute sur la neutralité de l’administration. Et quand on parle de neutralité du service public, il s’agit bien sûr de celui des servants du service.

L’administration a invoqué comme raisons de l’interdiction de l’activité du MPJ l’insécurité et le risque d’affrontement en ces termes : « Au regard de la situation sécuritaire actuelle au niveau de notre pays d’une part, et des informations à ma possession faisant cas des risques d’affrontements et de débordements lors dudit meeting d’autre part, je suis au regret d’annuler par la présente cette autorisation. »

Des doutes subsistent sur ces motifs au regard de la suite qui a été réservée à des dossiers similaires.

Sur le premier motif d’empêchement lié à la situation sécuritaire de notre pays

Quelques jours plus tôt, une manifestation similaire, organisée par des organisations de la société civile, a eu lieu à la maison du peuple de Ouagadougou sans aucune observation particulière de la Commune à leur endroit. En outre, plusieurs manifestations d’un parti politique ont été autorisées et se sont tenues durant cette période, dont l’une au Palais des Sports. Enfin, durant la période d’interdiction du meeting du MPJ, la Place de la Nation a accueilli des manifestations publiques.

Concernant le lieu de tenue du meeting, l’Etat-major qui gère la Place de la Nation n’avait connaissance d’aucun risque sécuritaire, puisqu’il a invité le MPJ à récupérer son autorisation d’occupation de de ladite place le 4 octobre. Faut-il en déduire que la Commune et l’Etat-major ne disposaient pas des mêmes informations ? En tout état de cause, le motif d’empêchement du meeting du MPJ lié à la situation sécuritaire n’est pas convaincant et ne tient pas.

On a même vu le Ministre de la Sécurité menacer Pascal ZAIDA au cours de la rentrée politique de son parti, oubliant certainement que si le motif sécuritaire était réel, il n’aurait pas pu tenir son activité politique. A moins que s’il s’était adjugé une sécurité particulière pour cela.

Sur le second motif d’empêchement relatif à des informations faisant cas de risques d’affrontements et de débordements

La liberté de réunion est un droit garanti par la Constitution et dont l’administration doit assurer la jouissance par tous les moyens légaux. Il revenait à la Commune, dès lors qu’elle a eu connaissance des velléités d’entraves à la tenue du meeting, de faire prendre les dispositions afin d’en empêcher les auteurs.

A ce propos, l’article 17 de la loi n°22/97/II/AN du 21 octobre 1997 dispose que : « Toute personne qui s’introduit dans une réunion ou une manifestation avec le dessein dry commettre ou de faire commettre par les autres participants des violences, voies de fait, destructions ou dégradations, est passible d’un emprisonnement d’un (1) an à trois (3) ans et d’une amende de cent mille (100.000) à un million (1.000.000) de francs CFA. »

En outre, la loi n°026-2008/AN du 08 mai 2008 portant répression des actes de vandalisme commis lors des manifestations sur la voie publique va dans le même sens.

Le point 4 de l’article 2 de ladite loi précise qu’elle s’applique « 4) aux personnes qui s’introduisent dans une manifestation même licite, avec le dessein dry commettre ou de faire commettre par les autres participants des actes de vandalisme. »

L’administration avait donc largement les moyens d’empêcher tout fauteur de trouble de perturber la manifestation du MPJ. Au lieu d’appliquer la loi à l’encontre des éventuels contrevenants, la Commune a plutôt empêché l’exercice d’un droit constitutionnel. Le motif lié au risque d’affrontement ne tient pas non plus.

Dans un Etat de droit, le principe est l’égalité des citoyens devant la loi. Mais au regard des faits, la cohérence de la décision administrative se pose et l’égalité semble foulée du pied. On peut dire sans se tromper que le dossier du MPJ n’a pas bénéficié du même traitement que ceux d’autres organisations qui ont pu tenir leurs manifestations durant la même période.

Sil s’est agi d’interdire la manifestation du MPJ pour permettre à des organisations adulées par le pouvoir de tenir les leurs sur le même site, il y a non seulement un problème d’atteinte à l’exercice de droits et libertés constitutionnels, mais également un problème de rupture d’égalité devant le service public et de rupture de neutralité des servants de l’administration. De quoi saisir le juge administratif valablement avec résultat positif  assuré.

Conclusion

Mon écrit étale certes les insuffisances de l’administration communale et peut paraitre acerbe aux yeux de certains. Mais il est surtout une invite à l’excellence des décisionnaires, s’il est vrai qu’ils se prévalent de l’État de droit. Lorsqu’on utilise l’appareil administratif et la puissance publique pour entraver l’administré de jouir de ses droits constitutionnels, il peut être tenté d’obtenir satisfaction en violation de la loi. En d’autres termes, si le citoyen ne peut pas manifester dans le respect de la loi, il le fera quand même, au besoin en violation de la loi. La conséquence est une autre histoire.

L’interdiction injustifiée du meeting du MPJ a eu pour effet d’élever la côte de Monsieur Pascal ZAÏDA. Ainsi naissent les martyrs, les leaders et les héros.»

Amadou TRAORE-Juriste