Les élections générales organisées, en RD Congo, se sont clôturées, dimanche 31 décembre. Le candidat président sortant l’a emporté avec 73,34 % des suffrages exprimés, selon la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Résultats immédiatement retoqués par la majorité de l’opposition, qui rejette la voie de recours constitutionnel et en appelle au soulèvement populaire.
Que Félix Tshisekedi ait eu raison ailleurs sur ses adversaires, à cette échelle – encore que cela soit impossible, par hypothèse -, il n’est pas imaginable qu’il ait eu des ressorts nécessaires pour battre le Dr Mukwege dans la ville de Bukavu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu. Son fief, où il est connu de tous comme un homme du bien. Un médecin-gynécologue qui sauve des dizaines de milliers de femmes violées. Par-dessus tout, auréolé du prestigieux prix Nobel et autres distinctions sociales de premier ordre.
Le nom de «Mukwege», dans la ville de Bukavu, n’est pas connu avec l’ascension sociale du médecin. Le prestige de ce nom vient de son père, un des grands pasteurs protestants de la région. Ce n’est pas tout. Dans le «Bushi», région située au nord-est de cette province, y vivent principalement les tribus «Bashi», «Bahavu» et «Bazi-ziba». Celles-ci ont un attachement indéfectible au «mwami», roi. Et, par extrapolation, à tout leader politique. Le Nobel est un Muziba-ziba.
Cette tradition n’a pas subi une seule ride, depuis 1960, date de l’indépendance du pays. On connait des grands noms comme ceux de Kashamura et Weregemere, disciples de Lumumba, ou, récemment celui de Birwinda, cofondateur de l’UDPS avec Etienne Tshisekedi, père du président qui vient d’être réélu, Félix. Ces noms sont inoxydables, à Bukavu.
Les leaders politiques, au Bushi en général, et dans la ville de Bukavu en particulier, ont toujours été considérés, un peu comme d’alter ego des «Bami». Ils ont toujours bénéficié d’un statut social exceptionnel: regardés avec beaucoup de considération par les populations.
Aujourd’hui, le Dr Mukwege fait valablement partie du cénacle. On objectera, certes, en mettant en balance le nom de Vital Kamerhe ou celui de Modeste Bhatti Lukwebo, président du Sénat. Il faut avouer que ces derniers y ont totalement perdu la face, le premier dans «l’Affaire des Cents Jours», dans un détournement de plusieurs dizaines de millions en dollars, et le second dans les affaires de même nature; Lukwebo est un as dans les affaires louches, au point de mériter le surnom de «Maradona», le dribleur, que lui ont collé les Congolais. Dans le sens péjoratif. Bien sûr.
Impossibilité mathématique
Cela étant, seul le Dr Mukwege, dans l’esprit des «Bukaviens», et au-delà dans cette région, revêt de façon incontestable la qualité de leader. On le sait, il n’a jamais cherché à l’être, autrement que par le travail dans son hôpital réputé de Panzi, à Bukavu, et dans la pastorale, en tant que pasteur. Sa présence dans cet épisode politique de mauvais goût, résulte de la volonté des femmes de toute la République, lesquelles lui ont pratiquement tordu le bras. Il s’y est donc laissé entraîner par amour pour le peuple congolais meurtri.
C’est vrai que la campagne du médecin n’a pas décollé, comme on le souhaitait, mais imaginer de là un seul instant qu’il a été battu dans son fief par le candidat président sortant Tshisekedi est une impossibilité mathématique. Une utopie. On ne peut battre dans la ville de Bukavu un «mwami», intronisé comme tel dans l’imaginaire collectif. Et par quel score? De l’ordre de 0,1 point pour Mukwege à 8 points sur dix pour Tshisekedi.
Or, la ville de Bukavu est une espèce de «cité inexpugnable». Le régime de Mobutu n’y mit les pieds que très prudemment. A preuve, quiconque fut envoyé au Sud-Kivu, en qualité de gouverneur et parvint à convaincre sans heurts les «Bukaviens» des options antidémocratiques de Kinshasa, fut immédiatement promu ministre.
Que Tshisekedi, d’un revers de la main…magique s’il en est, puisse avoir été en mesure d’effacer une telle réalité historique, ne peut être accepté que par des partisans aveuglés par une «démence électorale».
Ce résultat pour le moins imaginaire, pour Bukavu, explique sans doute la position de l’opposition qui, en ce qui concerne le résultat global en faveur du président réélu, crie «au tricheur». Tout en exigeant l’annulation de cette consultation électorale dans son ensemble.
Affaire à suivre.
Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France