Ceci est une opinion du président du Parti pour la Renaissance nationale (PAREN), Abdoul Karim Sango, ex-ministre burkinabè en charge de la Culture, sur le retour de Blaise Compaoré au Burkina Faso.
« Comment une réunion d’anciens Chefs d’Etats et de l’actuel sur la situation nationale devient un point de division des Burkinabè ?
A priori une belle initiative.
Sauf que la démarche qui a conduit à cette initiative semble n’avoir pas été murement réfléchie. L’initiative portait en elle-même les germes de sa propre délégitimation et était manifestement confligène.
Peut-être que l’auteur de l’initiative, le président Damiba était animé de bonnes intentions. Je n’ai aucune raison objective d’en douter, ne le connaissant pas à titre personnel. Sauf que le chemin de l’enfer est parsemé de bonnes intentions. D’où l’attitude hostile d’une frange importante des Burkinabè, y compris moi.
Deux des hautes personnalités invitées à cette réunion sont sous le coup de procédures judiciaires. Yacouba Isaac Zida, en principe poursuivi dans le cadre des assassinats perpétrés lors des événements des 30 et 31 octobre 2014 qui ont conduit à l’insurrection populaire. Il a été bien conseillé de décliner poliment l’offre d’invitation qui lui a été faite. Il y a le cas plus grave du Président Blaise Compaoré, condamné par contumace à un emprisonnement à vie dans le cadre du jugement du dossier Thomas Sankara et ses camarades assassinés les 15 octobre 1987.
Comment le président du Faso, celui-là même dont le serment l’oblige à garantir la justice à tous les habitants du Burkina Faso peut-il commettre une telle forfaiture en invitant Blaise Compaoré à participer à une réunion de Haut niveau ? Le Président Damiba a commis un parjure. Pire, sans le vouloir, il affaiblit considérablement l’indépendance de la justice chèrement acquise par notre peuple. Nous avons souffert une très longue période d’impunité. Heureusement dans sa déclaration qui a suivi la réunion à trois, il dit clairement que son initiative ne vise pas à assurer une culture de l’impunité.
Si votre conscience n’est pas souillée par les germes de la corruption, de l’orgueil mortifère, et du mépris pour l’Etat de droit, vous êtes obligés de vous indigner vis-à-vis des derniers évènements relatifs à la présence du Président Compaoré à Ouagadougou. Il faut en tirer les véritables leçons pour l’avenir. Exprimer son indignation ne signifie pas être contre Blaise Compaoré.
En revanche, à titre personnel, je suis favorable à une réflexion fondée sur le droit qui permet de préserver la dignité du Président Compaoré, pour ce qu’il a été un ancien Chef d’Etat dont l’action à la tête du Burkina a permis une relative stabilité et la paix sur une relative longue période. Et c’est cela une perception largement partagée par des Burkinabè qui n’ont pas toujours la possibilité de s’exprimer. Même condamné, la dignité doit être toujours préservée pour tous.
J’ai été très peiné de le voir trainé dans un tel état, alors que tous les préalables n’avaient pas encore été résolus pour faciliter son retour sur sa terre natale. Qu’est ce qui a justifié une telle précipitation ? L’homme, dit-on en Afrique, n’est pas dix. Eduqué dans l’humanisme africain, je suis sensible à pardonner, même à mon pire ennemi. Dans le cadre de l’Etat moderne, il existe des mécanismes qui fixent les conditions du pardon effectif et durable. Le forum de la réconciliation nationale avec toutes les forces vives de la nation qui était inscrit dans le mandat du Président Roch (Kaboré) me semble le lieu approprié pour discuter de tout cela. Et je note que le Président Damiba a repris le même projet. Toutefois, ce type de pardon, on ne l’obtient pas sous forme de triomphalisme ou d’héroïsme. Ce serait assassiner deux fois les personnes tuées.
Ne nous méprenons pas, une société qui ruse avec la justice n’a pas d’avenir ! »
Abdoul Karim SANGO
Juriste, homme politique