Le casse-tête de l’accès à l’eau potable pour tous demeure entier au Burkina Faso. Si dans les centres urbains, plusieurs abonnés de la nationale de l’eau se plaignent de bien des désagréments, dans les zones rurales, les populations sont beaucoup moins bien loties. Même celles qui ont la chance d’être servies à des bornes fontaines gérées par des exploitants privés ont parfois autant de mal que les autres servies aux pompes manuelles.
Les exploitants privés sont mandatés par l’Etat représenté par les communes, pour fournir l’eau aux populations des petites villes et gros villages généralement à travers des bornes fontaines. Ces exploitants disséminés dans plusieurs régions du Burkina, malgré leurs efforts inlassables pour apporter l’eau dans les contrées reculées et souvent délaissées, sont en butte è bien des difficultés qui, in fine, jouent sur leurs services aux usagers. Et ce sont encore les populations qui en pâtissent. «Notre plus gros souci est en rapport avec les contrats d’affermage qui nous lient aux municipalités», révèle un cadre d’une de ces entreprises qui a préféré garder l’anonymat. De go, celui-ci soutient que l’activité est certes exaltante, car permettant d’apporter de l’eau à ceux qui n’en n’ont pas, mais demeure peu rentable. A la base des déconvenues de ces exploitants figure en pole position, la méconnaissance, par les municipalités, des termes du contrat d’affermage qui lie les deux parties. «Parfois, les contrats disparaissent tout simplement, dans des pertes de documents qui découlent des changements à la tête des communes et on se retrouve donc sans aucune documentation sur l’adduction d’eau potable dans la localité», se désole un autre agent qui précise que «le problème est récurrent». En l’absence de ces contrats ou face à leur méconnaissance par les communes, c’est un dialogue de sourds qui s’instaurent entre les deux co-contractants, ce qui rend difficile, le fonctionnement du service. Cela crée même une succession d’incompréhensions dont les conséquences rejaillissent inévitablement sur la qualité du service offert aux populations qui, pourtant, paient pour avoir de l’eau potable.
Modifications des contrats, absence de données techniques sur les équipements…
Egrener tous les soucis des exploitants étant plus que fastidieux, l’on ne peut retenir que les principales difficultés qui plombent leur fonctionnement sur le terrain: des modifications sans explication du contenu des contrats par le ministère en charge de l’eau et de l’assainissement: l’absence de promotion sur les branchements pourtant très coûteux, donc insupportables, pour les particuliers, en passant par la vétusté des équipements, qui, en principe devaient être en bon état de marche lors du démarrage du contrat d’exploitation, sans oublier les localités défavorisées ne disposant d’aucune installation de fourniture d’eau par défaut d’investissement de l’Etat. Les exploitants se plaignent aussi de ne pas avoir l’occasion de présenter leurs rapports techniques et financiers semestriels d’exploitation aux conseils municipaux, ce qui aurait permis d’engager des discussions constructives pour résoudre les problèmes constatés sur le terrain. Autant d’obstacles qui jalonnent le quotidien des exploitants et les empêchent de fournir convenablement l’eau potable à leurs clients des zones rurales. Les exploitants constatent aussi l’absence de sensibilisation des populations par l’Etat, à la consommation de l’eau du robinet qu’ils distribuent. Ainsi, un bon nombre continue-t’il de consommer de l’eau de sources non potable malgré les investissements consentis par l’Etat pour leur assurer la disponibilité de l’eau potable. Certains exploitants notent aussi l’absence de la documentation technique sur les installations (réseaux de canalisation, de forages, de châteaux d’eau, de pompes, d’installations électriques, etc.) qui leur sont confiées pour gestion. «Je m’en voudrais d’oublier que nous ne sommes jamais invités aux rencontres sur la mise en œuvre du Programme National/ Approvisionnement Eau Potable, alors que sur le terrain, c’est sur nous que repose la distribution de l’eau», affirme, désarmé, un exploitant.
Insécurité et intérêts politiques
Dans certaines localités qui se retrouvent dans le viseur des terroristes, les attaques armées contraignent les exploitants à faire souvent preuve de prudence, instinct de survie oblige. Et ce n’est pas rare que des individus armés, bloquent ou dépouillent des équipes des sociétés d’exploitation en partance sur des sites. Ces zones deviennent, de fait, difficiles d’accès pour les exploitants qui sont impuissants face à ce fléau qu’ils sont dans l’impossibilité de surmonter. Les attaques armées ayant provoqué un exil massif de populations qui ont fui maisons d’habitation et champs pour migrer vers des contrées plus ou moins sécurisées, l’approvisionnement en eau potable de ces réfugiés dans leur propre pays, n’est pas tâche aisée. Des zones se retrouvent ainsi brutalement dépeuplées, provoquant de grandes pertes de revenu pour les exploitants, tandis que d’autres localités se retrouvent, soudainement, surpeuplées, avec des systèmes d’approvisionnement en eau largement insuffisants. Dans un tout autre registre, il faut reconnaître que les intérêts des politiques des maires et ceux contractuels des exploitants, ne sont pas toujours convergents. Les maires, pour ne pas se mettre à dos leur électorat, évitent toute mesure impopulaire. Pire, ils se permettent même d’autoriser, dans le périmètre d’affermage, des particuliers à construire des forages et à vendre l’eau, ce qui est contraire aux normes contractuelles, car créant ainsi de la concurrence déloyale au détriment des exploitants agréés par l’Etat.
Et vint le Covid-19
Comme si toutes les difficultés que subissent les entreprises privées d’exploitation de l’eau potable ne suffisaient pas, la maladie à coronavirus qui a mis le monde entier à genou, est venue en rajouter. A l’instar de la ville où le mal sévit, les communes rurales sont également sous la menace constante du Covid-19. Pourtant, les campagnes de sensibilisation menées tambour battant dans les zones urbaines ne sont pas dupliquées dans le milieu rural. Si, en certains endroits, notamment devant les mairies, des dispositifs de lave-mains sont mis en place, le constat est amer que les populations ne les utilisent pas. Avec le lavage des mains auquel est réservé un sort peu envieux, le port des masques est visiblement ignoré, tout comme la distanciation physique, notamment aux bornes fontaines où il faut se battre pour avoir la chance d’être parmi les premiers à être servi. Du reste, demander à la gérante d’une borne fontaine de mettre en place un dispositif de lave-main alors que l’eau se vend au mètre cube (m3), serait contribuer à faire péricliter son business. Il urge donc que l’Etat et ses partenaires techniques et financiers se penchent sur cette difficulté majeure, en dotant, par exemple, les bornes fontaines en dispositifs de lave-mains, et en multipliant les sources d’eau pour éviter les attroupements préjudiciables au respect de la distanciation physique. Cette charge ne saurait incomber aux exploitants qui peinent déjà à rester financièrement viables.
L’Etat doit aller au secours des exploitants ruraux d’eau potable
Il importe également de sensibiliser les populations dans les zones rurales, les autorités municipales en premier lieu, qui tendent à penser que la maladie n’existe pas où qu’elle est derrière nous, à ne pas banaliser le Covid-19 dont les ravages sont sans commune mesure, surtout en cas d’épidémie. Les experts et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) sont clairs sur la question: il va falloir apprendre à vivre pour toujours avec le virus à couronne. L’inquiétude est d’autant plus grande qu’avec la réouverture des frontières, aériennes prévue pour ce 1er août, et celle envisagée des frontières terrestres, l’accompagnement des populations pour le respect des gestes barrière sonne comme une urgence sanitaire à résoudre, vu que les populations rurales seront davantage exposées que les populations urbaines. Il est donc urgent pour l’Etat d’aller au secours des exploitants ruraux d’eau potable.
Par Wakat Séra