Le 13 décembre 1998, les populations font une macabre découverte sur la route nationale numéro 6 (RN6), près de Sapouy, un véhicule enflammé et des corps calcinés. Parmi les morts, le célèbre journaliste d’investigation burkinabè, Norbert Zongo. Plusieurs personnes, dont François Compaoré, petit frère de l’ex-président Blaise Compaoré, sont pointées du doigt comme étant commanditaires ou auteurs de cet assassinat. La France avait accédé à la demande d’extradition de ce dernier, qui y vit actuellement, vers le Burkina Faso. Mais il a contre attaqué la décision devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui a jugé qu’il ne peut pas être extradé.
L’assassinat de Norbert Zongo, le 13 décembre 1998 a provoqué une vague de manifestations au pays des Hommes intègres. Des défenseurs des droits humains, des associations professionnelles de médias ainsi que d’autres organisations de la société civile, ont, d’une seule voix, exigé la justice pour Norbert Zongo.
Depuis lors, des enquêtes ont été menées et toutes conduisent «à une piste»: François Compaoré, frère cadet de l’ancien président Blaise Compaoré. Il est donc poursuivi pour des faits «d’incitation à assassinats», dans le dossier du journaliste d’investigation et de ses trois compagnons. Et un mandat d’arrêt a été lancé contre lui.
Le présumé commanditaire en fuite
François Compaoré sera interpellé le 29 octobre 2017 à l’aéroport français de Roissy, en exécution de ce mandat d’arrêt international. Demandant son extradition, le Burkina Faso qui avait aboli la peine de mort, avait fourni à la France des garanties du respect de ses droits.
Le 21 février 2023, le gouvernement français, avec Edouard Philippe comme Premier ministre à l’époque, après avoir relevé l’absence de motivation politique de la demande d’extradition, autorisa l’opération consistant à renvoyer l’accusé vers le Burkina Faso, tout en indiquant des conditions. Parmi celles-ci, «l’accès à un service médical adapté tout au long de sa détention», l’exercice libre et «sans restriction de son culte», si M. Compaoré est condamné à vie, un jugement public et «contradictoirement», et dans «un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial».
Ce décret du gouvernement français a été attaqué par François Compaoré devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Le 7 septembre 2023, cette Cour en examinant le dossier a estimé que les changements politiques intervenus au Burkina Faso, ne garantissent pas un respect des droits de l’accusé.
«Après s’être penchée sur les assurances diplomatiques fournies par l’État du Burkina Faso qui a demandé l’extradition, et avoir examiné les critères de fiabilité de ces assurances à la lumière d’un contexte politique radicalement renouvelé à la suite de deux coups d’Etat militaires, la Cour constate que ces assurances n’ont pas été réitérées par le second gouvernement de transition mis en place par le nouveau chef d’État burkinabè ayant accédé au pouvoir le 30 septembre 2022, et que le Gouvernement, qui a eu communication des dernières observations du requérant sur ce point, en date du 19 octobre 2022, n’a fait aucun commentaire», a fait savoir la CEDH.
Juste après l’annonce de la décision de la CEDH, l’Etat burkinabè avait assuré que cela «ne fait aucunement obstacle à ce que le juge saisi puisse conduire à terme son instruction».
Selon les avocats de la famille Zongo, l’autre option c’est de juger François Compaoré par contumace.
Des enquêtes sur sa mort
Les circonstances de la mort de Norbert Zongo suscitent bien des interrogations. Que s’est-il réellement passé à Sapouy le 13 décembre 2023?
Reporters sans frontière (RSF) et la «Commission d’enquête indépendante», créée au lendemain de la mort du fondateur et directeur de publication du journal L’Indépendant, ont mené des investigations sur ce quadruple meurtre.
Selon les éléments fournis par RSF, et d’autres sources de l’enquête, le journaliste Norbert Zongo et ses compagnons «n’ont pas été victimes d’un accident. De l’avis de la quasi-totalité des personnes rencontrées par la délégation de RSF, y compris dans les milieux proches de l’enquête, la thèse de l’accident ne tient pas. L’hypothèse, un temps avancé par certains, d’un incendie dû à un court-circuit électrique, est réfutée par les différentes personnes qui ont pu examiner le véhicule. Il leur paraît impossible qu’un véhicule de type diesel, comme le 4×4 de Norbert Zongo, puisse prendre feu aussi violemment et soudainement. En effet, seul le chauffeur a réussi à se dégager», a noté l’organisation en écartant, ainsi, l’hypothèse d’un accident.
«Des paysans» qui ont dit avoir «été témoins» du drame ont indiqué que «deux hommes sont arrivés près du véhicule, ils ont tiré puis ont mis le feu. Ils étaient en civil et avaient des fusils. Le chauffeur a crié», a révélé une source à RSF.
Toutes les thèses émises ont été remises en cause par les enquêtes. «Reste alors la thèse du meurtre lié au journalisme d’investigation pratiqué par Norbert Zongo, et plus particulièrement à ses enquêtes sur la mort du chauffeur de François Compaoré, (David Ouédraogo), et les passe-droits dont bénéficiait le frère du chef de l’Etat dans cette affaire», a conclu RSF dans son rapport final publié le 31 décembre 1998, et actualisé le 20 janvier 2016.
Qui était Norbert Zongo?
Né en 1949 dans la cité du Cavalier rouge, Koudougou (Centre-Ouest du Burkina Faso), Norbert Zongo avait commencé une carrière d’enseignant dans des écoles publiques du Burkina Faso dans les années 1970. En 1983, avec l’avènement de la révolution, il se fait former dans le domaine du journalisme au Cameroun et au Togo.
Il travaille en tant que journaliste dans la presse d’Etat, avant de démissionner lorsque l’Agence d’information du Burkina (AIB), voulait l’affecter à Banfora, dans la région des Cascades.
En 1993, il lance son propre journal «L’Indépendant», et se donne comme nom de plume Henri Sebgo.
Il traite des sujets dits «d’affaires noires», touchant aux intérêts du régime et des proches du président Compaoré.
Norbert Zongo s’est aussi intéressé à l’écriture romanesque et a publié deux oeuvres, notamment, «Le Parachutage» et «Rougbeinga».
Par Issa Sidwayan TIENDREBEOGO (Stagiaire)