Il y a, bientôt, 34 ans, Thomas Sankara mourrait, criblé de balles. C’était le jeudi 15 octobre 1987. Le père de la révolution burkinabè d’août 1983 est resté sur le carreau, avec 12 de ses compagnons, canardés sur le perron d’un des bâtiments des locaux du Conseil de l’Entente. L’onde de choc provoqué par ce drame, de Ouagadougou, a traversé le pays entier qui, de Haute-Volta, avait été baptisé, par le «Che Guevara africain», Burkina Faso, et atteignit les plus lointains confins du continent noir. L’espoir de tout un peuple, notamment d’une jeunesse africaine qui avait trouvé son héros, s’était écroulé comme un château de cartes. Le fringant capitaine qui faisait trembler les «corrompus et les corrupteurs», et pas que, parce qu’il mettait à rude épreuve, la conscience de nombre de dirigeants, et entendait détruire du quotidien des Africains, tous les mots finissant en «isme», comme le colonialisme, le néo-colonialisme, l’impérialisme et le népotisme, pour ne citer que ces vocables, venait donc de passer de vie à trépas.
Le dossier de ce «jeudi sanglant», jusque-là, fermé, tout comme la parenthèse de la révolution, sera pourtant remis au goût du jour, par une autre révolution, celle d’octobre 2014 qui fera démissionner du pouvoir, celui qui est considéré comme étant impliqué dans l’assassinat de son frère d’armes. Blaise Compaoré, puisque c’est de lui qu’il s’agit, vient d’être mise en accusation, ce 13 avril, pour attentat à la sûreté de l’Etat, complicité d’assassinat et recel de cadavres, dans l’affaire dite Thomas Sankara. L’affaire connaît, ainsi, son rebondissement non pas le plus spectaculaire, mais peut-être celui qui pourrait conduire enfin à la vérité sur ce dossier dont les ramifications passent, selon, des archives, des témoins et la presse, par plusieurs pays, notamment la France et la Côte d’Ivoire. Certes, le tribunal militaire de Ouagadougou poursuit également le général Gilbert Diendéré, l’ombre protectrice armée de Blaise Compaoré, et un autre de ses hommes, très craint à l’époque, Hyacinthe Kafando, en cavale, qui serait le présumé chef du commando qui aurait occis «Thom Sank».
Si une vingtaine de personnes devront comparaître devant le tribunal militaire de Ouagadougou, il faut reconnaître que le personnage le plus emblématique du dossier est Blaise Compaoré, l’autre fils chouchouté, en son temps, par Sambo Joseph Sankara, feu le père de Thomas. Ce jugement dont la date n’est pas encore connue, et qui, jusqu’à l’insurrection populaire qui a renversé l’ancien président Blaise Compaoré, paraissait comme un serpent de mer sera donc désormais possible. Mais l’engrenage n’a certainement pas fini d’être défait, car, malgré le déclassement de certains documents, promesse réalisée par Emmanuel Macron, bien des pans entiers de ce dossier pourraient demeurer mystère, pour raison d’Etat. Autre détail, et pas des moindres, qui s’invite dans le débat d’avant-procès, c’est bien la question sur la présence de Blaise Compaoré, devenu, entre temps, citoyen ivoirien par les liens de mariage avec Chantal Terrasson de Fougères, son épouse franco-ivoirienne. La Côte d’Ivoire lâchera-t-elle un de ses ressortissants, qui constitue, par ailleurs, une référence importante de l’histoire politique au pays de l’éléphant? La présence de l’ancien facilitateur dans la crise politique ivoirienne de 2010, à la barre du tribunal militaire de Ouagadougou, est loin d’être acquise.
L’affaire Thomas Sankara, si elle aboutit, permettra, sans doute, à la famille de l’illustre défunt et celles de ses 12 compagnons qui sont souvent oubliés dans cette aventure macabre, de connaître enfin la vérité sur les auteurs et peut-être les commanditaires de la basse besogne. Question: quel sera l’impact de ce jugement sur le processus de réconciliation, dans lequel, on le veuille ou non, ce dossier tient une place importante? En tout cas, si le capitaine commando parachutiste est bien mort le 15 octobre 1987, Thomas Sankara, lui refuse de mourir dans les esprits des révolutionnaires, où, celui qui, n’est pas, certes un saint, demeure un immortel.
Par Wakat Séra