L’amnistie des dirigeants africains s’impose presque comme une règle sur le continent. Tous les abus sont vites étouffés sous le couvert de la volonté de cohésion sociale. Dans son article publié en collaboration avec Libre Afrique, Mauriac Ahouangansi, doctorant-chercheur béninois s’insurge contre cette capacité de pardon artificiel face à toutes les exactions, même les plus graves, des présidents africains durant leur période d’exercice. Certes l’amnistie a l’intérêt de favoriser l’alternance au pouvoir en évitant que les présidents s’accrochent pour fuir la justice mais quel entrave à l’Etat de droit ! Quel nid d’insécurité ! Quelle entrave à la cohésion sociale ! Quel coup de poignard à la démocratie !
Evincé du pouvoir pour des soupçons de corruption, Jacob Zuma va comparaître pour répondre des accusations portées à son encontre. Cette situation qui rappelle que nul ne devrait être au-dessus de la loi, n’est pas sans contraster avec celle des récents départs négociés et suivis d’amnisties pour bon nombre de chefs d’Etats en Afrique. Cela au motif de préserver la paix. Ces situations d’impunité qui sont des amnisties informelles de fait, car non votées par le Parlement, ont permis de désamorcer certaines situations inextricables, mais sont-elles pour autant recommandables? Non et ce pour plusieurs raisons!
Fragilisation de l’état de droit
La première raison, relative l’état de droit, est récurrente dans les grandes rencontres et les classements où l’Afrique n’est pas logée à bonne enseigne. Sur l’indice de l’Etat de droit 2017/2018 du World Justice Project (WJP) qui prend en compte 21 pays africains, le mieux classé des pays africains, à savoir le Ghana, est classé à la 43ème place sur 113 pays. N’améliorant pas cette situation, les amnisties accordées aux chefs d’Etats, mis en cause pour différents délits, les placent au-dessus de la loi quand bien même ces derniers sont impliqués dans des crimes dont les victimes attendent ardemment la justice. Yayah Jammeh a contribué à la dégradation de la santé d’environs 9000 gambiens séropositifs dont il a arrêté le traitement, prétendant les guérir du SIDA par une potion aux recettes inconnues. Mais il ne répondra peut-être jamais de ce crime depuis son exil doré à Malabo. D’autres comme Blaise Compaoré, Omar El-Béchir, François Bozizé sont paisibles et voyagent tranquillement en dépit des mandats d’arrêt en cours contre eux. Ces amnisties informelles consacrent donc l’idée selon laquelle il existe une justice à double vitesse, remettant en cause le principe d’égalité devant la loi. Une première qui va jusqu’au bout pour les personnes de faible influence et une autre clémente pour les personnes haut placées.
Par ailleurs, la dépendance de la justice vis-à-vis de l’exécutif s’en trouve accentuée car elle est d’office empêchée de fonctionner de façon optimale. Or, une fois la discrimination installée dans le traitement des dossiers, la crédibilité du pouvoir judiciaire est entamée et le jeu démocratique biaisé. Cela s’observe en Côte d’Ivoire où les ex-rebelles ayant aidé à la chute de l’ancien régime ont été incorporés dans l’armée régulière et où certains crient à la justice des vainqueurs. Le non-aboutissement du procès sur l’assassinat de Thomas Sankara ravive également de façon cyclique des vagues de manifestations et de violences au Burkina. Or, les défaillances ou l’absence de l’état de droit sont parfois les motifs d’ingérence de « la communauté internationale » se soldant souvent par des situations plus conflictuelles comme en République Démocratique du Congo.
L’institutionnalisation d’une tradition anti-démocratique
Comme une jurisprudence, la recherche de l’amnistie pousse certains chefs d’Etats à créer ou maintenir des situations chaotiques dans leurs pays afin de forcer la négociation et les propositions d’immunité. Cela empêche l’alternance et le bon fonctionnement du processus démocratique. Le cas de Joseph Kabila en RDC illustre bien ce paradigme. Les amnisties passées en inspirent donc de nouvelles. Il y a même un élan à l’institutionnalisation de cette pratique. Cela a d’ailleurs été consacré par le vote d’une immunité pour les chefs d’Etats et leurs gouvernements en exercice, lors du 23e sommet de l’Union africaine à Malabo en juin 2014 pour la création de la Cour Africaine de Justice et des Droits de l’Homme (CADH). Il n’est donc pas rare de voir des chefs d’Etats encourager, voire protéger leurs pairs au mépris de la loi. En 2015, l’Afrique-du-Sud n’avait pas accédé à la demande de la Cour Pénale Internationale pour l’arrestation d’Omar El-Béchir qui était sur son territoire et sous le coup d’un mandat d’arrêt.
Menace sur la cohésion sociale
Le sentiment d’injustice face aux exactions de dictateurs est un redoutable carburant nourrissant les ressentiments et les tentations de vengeances. Ainsi, l’amnistie informelle peut être un facteur de déstabilisation sociale. Dans le cas de l’amnistie d’un chef d’Etat présumé complice de crimes ou délits même dans ses fonctions, ceci est susceptible de créer des tensions sociales dans bien des cas. Surtout dans les pays où la question identitaire est encore très présente. Cela renforce l’idée d’une suprématie ethnique source de guerres civiles voire de génocides. C’est d’ailleurs valable aussi pour les groupes armés qui parfois portent ce chef d’Etat au pouvoir et dont l’incorporation dans l’armée ou dans des fonctions officielles n’est pas toujours synonyme de retour à la paix. La Côte d’Ivoire est encore aujourd’hui en situation d’instabilité sécuritaire due aux fréquentes mutineries enregistrées.
Une amnistie à encadrer
Parfois l’amnistie reste la solution ultime pour éviter des bains de sang comme en Gambie en 2017, où des manœuvres militaires avaient débuté pour faire partir le Président perdant aux élections. Mais si l’amnistie n’est pas décrétée par les institutions, ou n’est pas une émanation populaire, elle n’est pas synonyme de pardon et d’apaisement. En ce sens, il serait salutaire de mettre en place un dispositif institutionnels exceptionnel, qui laisserait la possibilité à la nation de pardonner ou de poursuivre, tout en délimitant le champ d’application avec des garde-fous afin d’éviter des abus. Faute de quoi, ce genre d’amnistie informelle sera malsain car, d’une part, il ouvrira la porte aux marchandages politiciens les plus vils, et d’autre part, pourra déclencher des réactions vindicatives. Une commission de médiation et de réconciliation au besoin, une validation par le Parlement et la Cour constitutionnelle, devrait pouvoir permettre aux protagonistes et aux populations de limiter le recours à de telles mesures exceptionnelles au cas de force majeur. Cette amnistie doit donc être une loi assortie d’une implication active du bénéficiaire dans la réparation de son tort et ne doit surtout pas être dorée comme c’est le cas de Mugabe au Zimbabwe.
La question d’amnistie reste très délicate, tant la diversité des situations peut imposer des solutions tout aussi diverses pour la sortie de crise. Mais une chose est sûre, les amnisties informelles et personnelles accordées aux chefs d’Etats ne sont pas de nature à encourager leurs pairs à la bonne gouvernance, car leur accordant la certitude de l’impunité.