A 55 ans, William Ruto est devenu le cinquième président du Kenya (Afrique de l’est). Il a prêté serment mardi 13 dans un climat apaisé. Une exception dans un pays où les troubles sanglants post-électoraux sont de règle, en raison de la lutte au pouvoir entre deux principales ethnies, les Kikuyu d’un côté, et les Luo de l’autre. Au sommet de l’Etat depuis 59 ans. Le nouveau président, un Kalenjin, 3e groupe ethnique, vient-il se poser en «fossoyeur de dynasties»?
Ruto n’appartient pas uniquement à une ethnie moins visible, mais c’est aussi et surtout un membre de ce qu’il appelle lui-même «hustler nation» (patrie des débrouillards): des gens venus de nulle part, mais qui sont parvenus à bousculer les barrières sociales, pour se trouver une place au soleil. L’expression est plus forte que le «self made man». Si l’actuel président s’en est prévalu, au cours de sa campagne, c’était pour dire autrement qu’un nouveau Kenya démocratique devrait naître. Thème de campagne bien capté par les Kényans, dont un tiers de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté, selon la Banque Mondiale. D’où son succès face aux embûches dressées sur son chemin, notamment l’alliance de circonstance entre Uhuru Kenyatta, président sortant, de l’ethnie kikuyu, et Raila Odinga, un Luo.
Mais, à l’analyse, les choses ne sont pas aussi simples qu’on l’imagine. L’histoire politique du Kenya, depuis 1963, date de son indépendance, est dominée par la prééminence des Kikuyu. Jomo Kenyatta, le premier président, fut un Kikuyu, y compris ses trois successeurs (dont son propre fils). Si le clan des Luo, emmené par les Odinga père et fils, a occupé des postes au sommet de l’Etat – l’un fut vice-président et l’autre Premier ministre -, il convient de noter que le vrai pouvoir kényan n’avait jamais quitté les mains des Kikuyu. C’est par ailleurs dans cette logique clanique que Uhuru Kenyatta, «fils de», est parvenu à gagner la présidentielle de 2013, grâce également à son alliance avec Ruto, un Kalenjin.
Les dynasties ont la vie dure
La domination des Kikuyu n’a pas été manifeste que sur le plan politique. Elle l’est également sur le plan économique. La famille Kenyatta est une des plus riches d’Afrique, dont la fortune est évaluée à près d’un milliard de dollars. Le clan Odinga n’est pas en reste. Ses avoirs sont estimés à plus d’un demi-milliard de dollars. De fait, Kenyatta et Odinga sont les deux Kenyans les plus riches. Ainsi, à eux seuls réunis, possèdent-ils d’importantes parts de marché dans l’ensemble des activités économiques du pays, faisant d’eux de gros employeurs, et donc détenteurs également de moyens politiques de pression évidents.
Toute la problématique devant le nouveau pouvoir au Kenya repose sur ce point. Comment Ruto parviendra-t-il à contourner ce «bloc monolithique» d’intérêts économiques, pour imposer sa nouvelle conception du pouvoir? Puisque, ici, ce n’est pas la politique qui commande l’économie, mais plutôt l’inverse. Il n’empêche. Le «débrouillard en chef», ce villageois, qui s’est frayé un chemin pour empocher un master en zoologie, devenir vice-président, puis, président, est un baroudeur. Cependant, pour arriver à réaliser son rêve de «fossoyeur des dynasties» kényanes, cela prend une autre tournure. Un virage en épingle à cheveux à négocier, avec tact.
Au fait, les dynasties ont la peau dure. Comme c’est le cas de figure au Togo et au Gabon. Une autre leçon à tirer est qu’en politique, il n’y a que les intérêts qui priment. On voit, ici, comment les alliances se sont nouées et dénouées au gré de ceux-ci.
Par Jean-Jules LEMA LANDU, journalistes congolais, réfugié en France