L’histoire africaine – à contresens -, ayant trait au « troisième mandat » présidentiel, a des adeptes. Parmi lesquels le président guinéen Alpha Condé. En fin de son deuxième mandat, en octobre prochain, selon les termes de la Constitution, il semble vouloir jouer les prolongations. En dépit des protestations du peuple contre lesquelles il oppose une répression sanglante. Avec déjà plus d’une dizaine de morts au compteur.
A y voir les choses avec un œil comique, on a l’impression d’assister aux vicissitudes envoûtantes de la mode vestimentaire : il suffit qu’un rien de nouveau se pratique quelque part, pour que des pans entiers de la société, un peu partout, saisissent le mouvement au vol. Et, qu’aussitôt la chose devienne tendance. Il en fut ainsi des coups d’Etat et tout ce qui s’en était suivi, jusqu’aux réalités aujourd’hui de « troisième mandat ».
A propos des coups d’Etat, selon deux politologues américains, Jonathan Powell et Clayton Tyne de l’université Kentucky (Etats-Unis), il y en a eu à ce jour 204 en Afrique – réussis ou non -, depuis 1960. Trois « fils à papa » ont été hissés à la magistrature suprême : en RD Congo (Kabila fils), au Togo (Eyadema fils) et au Gabon (Bongo fils). Un quatrième dauphin, Gamal (héritier très contesté du président Moubarak), échouait au seuil des lambris du palais égyptien, quand advinrent les Printemps arabes, en 2010. Pour aviver la tradition, le président ougandais Museveni prépare son fils Muhoozi pour lui succéder. Si cela n’est pas officiel, c’est du moins dans tous les esprits.
En Afrique, tout serait-il donc mauvaise imitation, au niveau de la gouvernance ? La rage avec laquelle agit le président guinéen pour fouler aux pieds la Constitution, qui ne lui accorde que l’exercice de deux mandats, ne fait pas dans la nuance. Elle montre que Alpha Condé, comme s’il s’agissait d’un effet de mode, est irrésistiblement attiré par l’exemple de ses paires qui ont tenté et réussi le coup : modifier la Constitution. Citons, dans ce palmarès, le Burundais Nkurunziza, l’Ougandais Museveni, le Rwandais Kagamé et l’Egyptien Fattah al-Sissi.
« Esprit de chefferie »
Qu’un Alpha Condé, cet opposant insubmersible contre les régimes rétrogrades de son pays, puisse en venir à se rabaisser à ce point à la fin de sa carrière, à 81 ans d’âge, est déconcertant pour la jeunesse africaine. Peut-on imaginer cette figure de la lutte pour la démocratie faire emprisonner et, pire, faire tuer ceux qui manifestent pour le respect des règles démocratiques ? Comment le lustre du pouvoir a-t-il pu diluer la sagesse autant que l’intelligence de ce professeur d’université, blanchi sous le harnais de l’opposition, s’étonne-t-on ?
L’étonnement s’arrête, net, quand on se souvient que des velléités allant dans le même sens ont affleuré, un moment, la pensée du président malien, Ibrahim Boubakar Keita. Et, surtout, lorsque on se rend compte que le président Sénégalais, Macky Sall, ne s’en cache même pas. Pour preuve, il vient de limoger un haut fonctionnaire, Sory Kaba, qui a eu l’outrecuidance de déclarer à haute voix que « la Constitution du Sénégal interdit un troisième mandat ». Qu’en dire de la Côte d’Ivoire où le président Ouattara évite avec tact ce sujet ?
Comme quoi l’Afrique « soumise à l’esprit de chefferie », selon l’expression du penseur camerounais Achille Mbembe, est encore loin de la démocratie classique.
Par Jean-Jules Lema Landu, journaliste congolais, réfugié en France