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Afrique: les Tchadiens contre la dynastie

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Le président du Conseil militaire de la transition (CMT) du Tchad, Mahamat Idriss Déby Itno

La répression sanglante des manifestants au Tchad, ce jeudi 20, n’est pas un fait isolé. Elle a fait au moins 50 morts et plusieurs centaines de blessés. Il y a comme une «tectonique des plaques politiques» dans la région du Sahel. Les magmas en surchauffe agissent déjà sous le Mali, la Guinée et le Burkina Faso. Ce qui se passe aujourd’hui au Tchad rentre dans ce cadre.

Trois dimensions différentes expliquent ce fait: – cinq coups d’Etat militaires successifs, en un laps de temps record, dans trois pays sahéliens aux frontières communes (appelées généralement «Trois Frontières»); – promiscuité géographique, le Tchad étant à cheval entre le Sahel et l’Afrique centrale; – similitude, par rapport aux velléités du fils d’Idris Deby, qui cherche à s’emparer du pouvoir, en référence aux cas du Togo et du Gabon,  respectivement à la mort d’Eyadema, en 2005, et d’Omar Bongo en 2009.

Mis bout à bout, ces éléments disparates deviennent homogènes, dans la mesure où ils aboutissent à un constat global d’échec: le continent ne progresse pas, il marque plutôt les pas, pire, il régresse avec aplomb. «L’Afrique noire est mal partie», prévint l’ingénieur agronome René Dumont, dès 1962. Sa prédiction reste d’actualité, et d’aucuns n’hésitent à qualifier cet agronome français de «prophète et visionnaire».

Pourtant, il y en a qui pensent que l’Afrique ne va pas mal. A l’instar de Jean-Michel Severino et Jérémie Hajdenberrg, qui, dans «Entreprenante Afrique», parlent du continent en termes élogieux: «Il y a un extraordinaire dynamisme des solutions de marché par rapport à l’immobilisme des solutions publiques». D’autres s’insurgent contre les coups d’Etat militaires, au regard des principes démocratiques, qui, pour eux, ont valeur de parole d’Evangile. Et, après?

Le «dégagisme» au Burkina

C’est la question, pertinente à tout le moins, que se posent les 25-45 ans, qui composent actuellement les populations du continent, à près des 65 %. Ils pensent qu’il faut coûte que coûte renverser la table: mettre à la retraite la vieille classe politique, poussive. Et tailler la démocratie à l’aune de nouvelles réalités, après l’emprise de l’Occident, pendant des décennies, sur la conduite des affaires africaines. «Si le destin n’offre que l’unique issue de coups d’Etat pour y parvenir, il faudra passer par celle-là», ne cessent-t-ils de le répéter.

Or, au Tchad, plus que partout ailleurs en Afrique, cette conception est intériorisée avec intensité. A cause de sa position géographique par rapport au Sahel, mais aussi et surtout au regard des intentions aujourd’hui confirmées de Mahamat Idris Deby de vouloir créer un «pouvoir dynastique» comme au Togo et au Gabon. On sait les conditions dans lesquelles les fils d’Eyadema et d’Omar Bongo ont accédé au pouvoir et comment ils font tout pour le détenir à vie.

Toute l’explication de ce bras de fer sanglant au Tchad se résume à cette réalité: on y voit la volonté de créer un pouvoir dynastique, d’un côté, et la résistance du peuple, face à cette anachronie de l’histoire, de l’autre. Cependant, à écouter le cri de colère lancé par les partis d’opposition et la société civile, la lutte ne fait que commencer. Mahamat Deby lâchera-t-il du lest? La suite paraît incertaine.

D’autre part, les magmas en surchauffe à l’ouest risquent-ils de faire partiellement tache d’huile, comme ce fut le cas du Printemps arabe, en 2010? Rien n’est moins sûr. Mais, si cela se produisait, ce serait alors une curieuse ironie de l’histoire, puisque c’est au Burkina, terres de l’ouest, que les convulsions venues de Tunisie ont produit les effets sensibles du «dégagisme»: Blaise Compaoré en a fait les frais, en 2014, emporté par la révolte des jeunes.

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France