«Face à ce cas de force majeure et par devoir citoyen, j’ai décidé de répondre favorablement à l’appel de mes concitoyens me demandant d’être candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020. Je suis donc candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020». Ces mots qui ont asséné un coup de massue au processus démocratique en Côte d’Ivoire sont de Alassane Ouattara. C’était à la fin de son adresse à la nation, ce 6 août, veille de la date marquant le 60è anniversaire d’indépendance de la Côte d’Ivoire. La période est la mieux indiquée pour porter le masque, Covid-19 oblige. Mais le chef de l’Etat ivoirien vient de tomber le sien qui cachait mal les intentions visibles et les manœuvres grossières dignes des époques surannées où les présidents répondaient toujours, dans une magnanimité solennelle et bien contextualisée, «oui» à leurs partisans qui sollicitent d’eux un nouveau mandat présidentiel.
En Guinée comme en Côte d’Ivoire, le scénario est identique, mené de main de maître par d’anciens et vieux opposants qui feignent d’oublier qu’ils sont arrivés au pouvoir par le jeu charmant de l’alternance politique. Mais aujourd’hui, jetant aux oubliettes leur combat et la lutte de démocrates sincères contre les longs règnes qui les mettaient d’office en quarantaine du pouvoir, ils s’érigent en souverains dans des Etats de droit où la Loi fondamentale recommande et impose pourtant, une limitation, à deux, du mandat présidentiel. D’espoirs de tout un peuple, voire de tout le continent noir, où les coups d’Etat ou putschs militaires et autres pronunciamentos, étaient la mode consacrée de prise de pouvoir, ces figures emblématiques de l’opposition sont en train de devenir de véritables prédateurs de la démocratie.
Ô rage! Ô désespoir! (…) Trouverait-on, meilleure image que ce monologue de Don Diègue dans Le Cid de Corneille, pour exprimer la déception que provoque ces deux aspirants au 3è mandat, qui, du reste, a rarement porté chance à ceux qui osent y aller? Qui s’y frotte s’y pique, dit l’adage, mais la leçon n’a jamais servi aux dirigeants africains que lorsqu’ils sont chassés due leur palais, comme de vulgaires voleurs d’une maison, malgré tous les acquis qui ont été leurs lorsqu’ils étaient aux affaires. Certes, Alassane Ouattara, était sur le point de partir après deux quinquennats qui lui ont permis de redonner des couleurs à une Côte d’Ivoire sortie de la si destructrice et meurtrière crise post-électorale de 2010-2011, précédée de la non moins ravageuse guerre civile de 2002-2007. Il l’avait même annoncé officiellement, le 5 mars dernier, suscitant fierté et admiration auprès des Ivoiriens, bien entendu, le vrai peuple et pas les zélateurs et courtisans. Même à l’international, la décision avait été saluée à sa juste valeur. Dans cette dynamique, le chef de l’Etat ivoirien avait même désigné son dauphin, et candidat du RHDP, en la personne de l’ancien Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly.
Mais le destin en a décidé autrement, arrachant à l’affection de Alassane Ouattara, ce «fils» en qui il avait placé tout son espoir. Et vinrent les moments difficiles de trouver à AGC, un remplaçant comme candidat du RHDP, à une présidentielle prévue pour le 31 octobre 2020, qui arrive donc à grand pas. L’oiseau rare devenant impossible à trouver, cadres, députés et militants de base du RHDP décident de ramener dans les starting-blocks, Alassane Ouattara. Comme il fallait s’y attendre, l’homme, après réflexion a répondu «oui», sacrifiant sur l’autel des intérêts personnels et partisans, le fragile processus démocratique en cours en Côte d’Ivoire. C »est fait! Il ne reste plus qu’à assister à la liesse populaire savamment organisée par le pouvoir, et les messages des dirigeants africains qui ne manqueront pas d’apporter toute leur compassion à Alassane Ouattara pour ce «sacrifie suprême» pour son pays! Fort heureusement, le ridicule ne tue pas en Afrique.
Alassane Ouattara, 78 ans, a juste devancé son aîné guinéen, Alpha Condé, 82 ans, qui vient de s’offrir lui aussi un temps de réflexion, après les appels de ses militants à solliciter un 3è mandat présidentiel. Faut-il en rire ou en pleurer? Qu’en diront les ardents défenseurs de la démocratie, notamment la France et les Etats-Unis, les gendarmes du monde? Les intérêts économiques vont-ils prendre le dessus sur la beauté de la démocratie et ouvrir ainsi le boulevard à tous les autres candidats au 3è mandat, et plus si affinités? L’Afrique, c’est certain, retournera à sa vieille tradition de présidence à vie, et cela lui fera peut-être plus de bien que cette camisole de force dans laquelle elle étouffe. L’autre, Jacques Chirac, pour ne pas le nommer, l’avait prophétisé: «L’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie».
Par Wakat Séra