Les révolutions algériennes et soudanaises après les moments d’euphorie sont-elles encore sur la bonne voie, celle voulue par les insurgés qui restent décidés à faire table rase du passé politique dans leurs pays respectifs? En tout cas, le grand balaye qui devait aboutir au changement souhaité par les contestataires est loin de prendre forme. Pire, le désamour entre les populations civiles et les militaires devient tangible et le schisme pourrait bien conduire les deux entités à conduire ces insurrections dans l’impasse, malgré les annonces selon lesquelles des accords sont trouvés pour conduire la transition politique. Si en Algérie, l’élection présidentielle prévue pour le 4 juillet cristallise désormais tous les regards, ce n’est point parce qu’elle est attendue avec impatience mais plutôt parce qu’elle est rejetée par la majorité du peuple. C’est ainsi que les manifestants, au cours de leurs manifestations ont désormais pour slogan prioritaire: «Non aux élections». Pour eux, la purge qui a suivi le départ forcé de Abdelaziz Bouteflika doit se poursuivre. Et avant tout vote, ils veulent les têtes des principaux apparatchiks du régime Bouteflika, notamment, le président par intérim selon la constitution, Abdelkader Bensalah, le Premier ministre, Noureddine Bedoui et même le chef d’Etat-major, Ahmed Gaïd Salah. Pourtant, le général Salah, depuis que Bouteflika a été poussé hors de la scène, est, de facto, le nouvel homme fort du pays. Qui plus est, l’armée est revenue dans le jeu et n’entend pas lâcher prise, se contentant de mettre aux arrêts ou d’inquiéter certains anciens intouchables.
Au Soudan, on n’est pas non plus loin du divorce entre les insurgés et l’armée qui, malgré son appui aux civils pour faire partir Omar el-Béchir en son temps, a sifflé la fin de la récréation. Si un accord aurait été trouvé pour une transition de trois ans dirigée par un organe mixte militaro-civil, les troupes du général Abdel Fattah Abdelrahman Buhran, ne transigent pas sur la question, c’est l’actuel homme fort de Khartoum qui sera aux commandes de ce comité. Mais, comme en Algérie où ils restent campés sur leur position et maintiennent intacte la flamme de la mobilisation, les insurgés soudanais continuent d’exiger un retour du pouvoir aux civils. Et malgré la fatigue de ce mois de ramadan très chaud, les contestataires portent toujours la campagne de salubrité politique, qui devrait, dans leur entendement, aboutir in fine, à la mise à la touche de tout l’ancien système. Questions: dans le cas algérien comme celui soudanais, est-ce réaliste d’insister sur un nettoyage hic et nunc de systèmes vieux de plusieurs décennies et dont les racines sont si profondément et solidement enfoncées? Et même si les systèmes sont, miraculeusement dynamités, d’où viendront les hommes neufs pour prendre la relève? Sans nous ériger en défenseur des militaires, il faut reconnaître que l’armée qui est le système le mieux organisé selon ces règles de discipline et de rigueur légendaire, peut bien constituer une barrière contre chaos et l’anarchie, si ses actions sont bien balisées. Et dans cette optique, il n’y a pas meilleurs contrepoids que la société civile et la presse, libérées de leur silence après les années de plomb, des régimes Bouteflika et Béchir.
En tout cas, la problématique de la gestion des pays après la chute précipitée de régimes autoritaires reste entière. Et en Algérie comme au Soudan, il urge d’éviter une crise sociopolitique, qui ne pourra que conduire les pays dans un cul de sac. Il est temps de digérer les moments euphoriques de la «chasse aux dictateurs» pour penser à reconstruire le pays sur des bases démocratiques. Ce qui ne peut se faire en un coup de baguette magique.
Par Wakat Séra