Ceci est une contribution de Moritié Camara Professeur d’Histoire des Relations Internationales, sur le sommet de Montpellier tenu du 5 au 9 octobre 2021.
Ce sommet rentrera dans l’Histoire pour être évoqué non seulement comme la matérialisation canonique du fait que les Etats n’ont pas d’amis ni d’ennemis permanents, mais des intérêts à faire prévaloir, et aussi comme l’arrêté de mise à la retraite d’une classe de dirigeants politiques africains qui depuis l’indépendance a fait de la fonction de Représentant de Commerce de la France, une fonction cumulative et revendiquée de leurs responsabilités à la tête de leurs Etats. Les historiens évoqueront également sans nul doute, le fait que la forme du sommet a été plus bavarde que son contenu et témoignant ainsi de la prise de conscience par la France qu’il est plus que temps de changer quelque chose afin que tout contenu comme avant.
En effet, comme aux lendemains de la seconde guerre mondiale où la France fut contrainte de se faire à l’évidence que la colonisation, telle qu’elle la concevait et la menait depuis le 19ème siècle, ne pouvait que compromettre de manière décisive ses intérêts vitaux en Afrique. Elle s’est rendue compte avec la montée de ce que le Président Macron nomme « le sentiment anti-français » chez une très grande majorité de jeunes sur le continent, qui explique en partie les évolutions dans certaines contrées du pré-carré français comme en Centrafrique et au Mali et qui porte la promesse d’une seconde vague de « décolonisation » plus brutale et violente comme ce fut le cas avec les Etats-Unis en Iran en 1979, qu’il est temps d’opérer des changements dans son approche et ses relations avec l’Afrique.
La France a donc décidé de sacrifier pour la sauvegarde de ses intérêts toute une génération de politiciens à bout de parcours et souvent de souffle mais qui refusent ou trainent les pieds pour s’éclipser au profit de la nouvelle génération, de détourner l’attention sur les vrais sujets et de faire son propre casting pour recruter ses nouveaux relais sur le continent. C’est en notre sens les trois messages subliminaux de ce sommet.
1-Rupture d’alliance et procès par contumace d’une génération de dirigeants en voie d’extinction.
Le sommet tenu à Montpelier de 2021 ne réunissait pas comme pour les 27 précédents, le Chef de l’Etat français et ses homologues africains, mais le Président français et des jeunes africains qui n’ont aucune fonction étatique dans leur pays. Cependant le protocole à garder la numérotation statutaire de ces rencontres aux sommets entre la France et l’Afrique qui a inspiré les autres puissances qui ont également leurs sommets, avec l’Afrique prise comme une seule entité.
En diplomatie cela signifie que ce sommet se situe au niveau politique que les précédents sommets dont il n’est que la continuité institutionnelle. Alors même que l’intitulé porte la mention de « nouveau ». Il aurait été simple de le nommer « Premier Sommet extraordinaire Jeunesse Africaine-France ». Ce détail qui n’a pas échappé à la diplomatie française à son importance et vaut se pesant d’or.
Ces jeunes sont désormais les interlocuteurs de la France au même titre que leurs dirigeants l’étaient lorsqu’ils siégeaient dans les précédents sommets. Ces jeunes peuvent se prévaloir de cela et du fait qu’ils sont rentrés dans l’Histoire par la grande porte quel que soit le regard que les uns et les autres jettent sur leur participation à cette assise.
Ce sommet est également historique en ce sens qu’il constitue une sorte de lettre d’intention de divorce clairement adressé aux intéressés qui ont forcément compris le message sans même accuser réception.
La France ne voit plus dans les dirigeants actuels des garants solides pour préserver ses intérêts sur le long terme en Afrique et sa lassitude à l’endroit de certains est même de plus en plus perceptible depuis un moment à travers les réévaluations de certains programmes d’aides et d’appuis financiers en destination de leur pays. C’est ainsi que suite à des coopérations avec les ONG et des organisations de la société civile en lieu et place des gouvernements, elle compte mettre en place avec le groupe des jeunes invités à Montpelier un fonds pour officiellement faire la promotion de la démocratie qui sera directement géré par ces derniers.
Toujours dans sa volonté de donner des gages à la nouvelle génération dont elle convoite les services et l’allégeance, la France a permis, à travers ce sommet, le procès public et par contumace de ces dirigeants qui manquent pour certains de « légitimité » qu’ils compensent avec un geste de « légalité ». Le Président Macron n’a pu s’empêcher de faire remarquer en la manière que les coups d’Etat contre ces potentats ne soulevaient pas de réactions populaires hostiles. C’est ainsi que les jeunes n’ont eu aucun mal à faire porter le chapeau de tout ce qui ne va sur le continent sur le dos de ces pauvres chefs d’Etats qui n’avaient aucun avocat sur l’estrade ni dans la salle en dehors du Président Macron lui-même, qui comme un avocat commis d’office n’a pas mis beaucoup d’énergie à les défendre préférant dédouaner la France à chaque fois que sa complicité active ou passive était mise en cause pour expliquer ou justifier le comportement des prévenus. Ces derniers absents à leur procès ont ainsi été présentés indistinctement sous des tonnerres d’applaudissements comme des dictateurs tripatouilleurs de constitution pour se visser au pouvoir.
Ces derniers d’ailleurs ont des soucis à se faire. En effet, lorsque le représentant de la Guinée a demandé à la France de se mettre à l’écart afin de laisser les contestataires de l’ordre établi en Afrique régler par eux-mêmes ce qu’ils jugent nécessaires en prenant le cas du coup d’Etat survenu contre le Président Alpha Condé, comme exemple d’action, la réponse du Président Macron sur le fait que la France ne pouvait se substituer aux Africains pour régler leurs problèmes entre eux, peut résonner dans certaines officines somme un chèque à blanc. Avant d’envahir le Koweït en 1990, Saddam Hussein avait sondé l’Ambassadrice américaine à Bagdad sur un probable conflit avec ce pays. La diplomate américaine avait répondu que les Etats-Unis n’avaient pas d’opinion à formuler sur les différends entre pays arabes, toute chose qui a signifié pour Saddam Hussein comme un feu vert pour annexer le petit Etat pétrolier.
- Un séminaire de restitution de travaux destinés à détourner le débat de l’essentiel sur les rapports France-Afrique
Ce sommet Afrique–France est en réalité une assise de restitution des travaux commandés par le Président Macron à l’Historien Camerounais Achille Mbembe pour disent-ils, poser de nouvelles bases des relations entre la France et l’Afrique. Les réflexions de l’universitaire camerounais sont consignées dans un rapport de 142 pages qui renferment 13 propositions qui vont de la construction de musées pour exposer les objets culturels restitués à la prise en compte de la voix de l’Afrique sur la problématique du changement climatique en passant par l’institution d’un fonds d’innovation pour la démocratie et la construction d’une maison des mondes africains et de la diaspora. L’auteur du rapport lui-même considéré que les deux derniers points cités, sont les plus importants de ses propositions issues selon lui de discussions dans 12 pays avec plus de 3600 personnes. Les questions d’immigration et mobilité des étudiants tout comme de la dénomination des aides au développement sont aussi évoqués dans les pages du rapport. Il s’agissait plus pour les protagonistes de ce sommet de venir présenter et discuter en public des 13 propositions dudit rapport.
Selon le rapport donc, ces points sont ceux qui alimentent le sentiment « anti-français » et dont la satisfaction devrait apaiser la colère de la jeunesse africaine et marquer un nouveau départ dans la relations entre la France et le continent noir. De deux choses l’une : Soit l’universitaire a mal compris l’attente de tous les Africains et plus spécifiquement les jeunes (ce qui est difficile à croire), soit il a décidé de détourner le débat sur ce que lui et ses mandants souhaitent changer afin que tout continue comme avant. Car la commande d’un rapport a toujours une finalité qui peut être double : faire un état des lieux objectif de ce qui est où présenter sa propre vision comme celle de la majorité sur une question ou un sujet spécifique.
C’est ce qui explique que beaucoup ont eu l’impression à travers ce sommet de suivre le procès de Viviane Amsalem durant lequel l’on juge de tout, sauf de la requête initiale. En effet, ce qui mobilise les jeunes africains, c’est plus leur désir d’être témoins de la fin du pacte colonial et de la prédation sur les ressources du continent ainsi que de l’émergence de véritables Etats de droit pendant de la vraie démocratie sur le continent, que la construction d’une maison des mondes africains et de la diaspora à Paris. Dès lors, ce sommet peut paraitre comme une manœuvre dilatoire qui épargnerait à la France de mener les véritables réformes nécessaires à la refondation sur des bases plus justes et équitables de ses rapports avec l’Afrique et de garder inchangées les pratiques vieilles de près de deux siècles pour sauvegarder ses intérêts au détriment de ceux des africains. Les questions qui ont été débattues sur l’estrade notamment, celles du francs CFA et du soutien ou non aux présumées dictatures et qui ont été suffisamment traitées en amont ne sont en rien des avancées notables dans la pleine expression de la souveraineté nationale et internationale des pays africains qui est nettement limitée et balisée sur les plans politique, économique et diplomatique. Il s’agit pour la France de laisser partir le peuple africain comme Pharaon a laissé partir le peuple d’Israël. Cette demande émane non seulement des Africains mais également de certaines puissances européennes avec la sortie en janvier 2019 du Vice Premier ministre italien Di Maio qui a pointé du doigt la poursuite de la colonisation française en Afrique comme sous de pauvreté et de sous-développement alimentant l’immigration illégale des jeunes africains vers l’Europe. Il avait exhorté l’Union Européenne à prendre des sanctions contre la France afin de l’obliger à décoloniser ses colonies en Afrique. Le Président Macron lors du sommet de Montpelier tout en reconnaissant la part de la France dans l’organisation de la traite négrière et la colonisation, a dénoncé ce qu’il nomme l’hypocrisie de certaines puissances qui veulent ignorer leur passé colonial et accablent la France.
De ce point de vue, ce sommet peut être mis en parallèle avec la Conférence de Brazzaville de 1944 durant laquelle la France demande l’aide des Africains pour se libérer du joug allemand, tout en ne promettant que des mesures pour améliorer leur sort quotidien et leur représentativité syndicale et politique sans plus. Le général De gaulle dans son discours a dit : « (…) La France, d’ailleurs, n’a-t-elle pas, hélas ! des soucis plus immédiats que l’avenir de ses territoires d’outre-mer ? ». L’enjeu de ce sommet est donc de permettre à la France de rester maitre de son agenda en gardant la main dans la définition des thèmes du débat sur la nature et les modalités de ses rapports avec l’Afrique pour améliorer son image auprès de la jeunesse africaine. Cela est apparu clairement à travers le contenu et la nature des sujets débattus comme la présence d’une mouche dans un verre de lait. Cette manouvre ne peut fonctionner qu’avec des personnes consensuelles.
- Un casting pour recruter ses relais au sein de la jeunesse africaine
En absence d’idéologie politique pour se déterminer et se démarquer de manière fondamentale les uns des autres, les politiciens à l’intérieur d’un pays se positionnent désormais sur des sujets qui mobilisent et divisent à l’extrême leurs opinions publiques. Si en France l’immigration et l’islam sont devenus les seuls sujets qui font et défont les majorités et les leaders, en Afrique c’est bien la question de la souveraineté et de l’indépendance qui permettent de classer les politiciens d’un côté ou d’un autre. Il y a donc ceux qui pensent que l’Afrique doit acquérir une souveraineté pleine et entière afin de gérer son propre destin sans interférence. Les activistes comme Kemi Seba qui posent sans concession les équations dans ce domaine, maintiennent une constante pression autour de ces paradigmes en les alimentant régulièrement de sujets brulants comme la question du francs CFA, de l’ingérence extérieure en termes de soutien aux dirigeants qui rusent avec la démocratie etc. De l’autre côté, se trouvent ceux qui glorifient jusqu’à la sanctification les liens historiques avec les anciennes puissances et qui se braquent à la moindre critique contre ces dernières au point d’en être les thuriféraires.
Ce qui apparait à travers le casting réalisé par la France pour le choix des jeunes invités à voyager à Montpelier et surtout à prendre la parole est qu’ils ne sont en rien représentatifs de cette diversité de postures vis-à-vis des puissances coloniales. Une simple analyse de leur profil indique que si certains sont des activistes, ils le sont uniquement contre leurs gouvernements et non pour la cause de l’Afrique. Leurs discours sur l’estrade étaient écrits d’avance et chacun des 11, savait exactement ce que l’autre allait dire à son tour de parole. Toute chose qui renforce les arguments de ceux qui dénoncent un sommet convenu ou une opération de communication de la France pour non seulement détourner le débat mais également adouber ceux qui doivent désormais porter sa voix et travailler à la préservation de ses intérêts sur le continent et dont elle compte en retour faire la carrière à dessein. A ce titre ils ne sont en rien les représentants de la jeunesse africaine qui se soucie en priorité et exclusivement des intérêts fondamentaux du continent noir et des Africains.
Cette volonté de constituer une espèce de cinquième colonne au sein de la nouvelle génération qui est en passe de succéder sur les plans politique et intellectuel à l’ancien, avec pour tâche de veiller sur la pérennité des intérêts français sur le continent est soulignée par le rôle important octroyé à la diaspora dans ce schéma. La plupart des membres de cette diaspora ont la double nationalité et vivent comme leur dénomination l’atteste en Europe ou en France donc ne sont pas soumis à la réalité quotidienne des Africains sur le continent. Les 13 points des propositions du rapport donnent aux membres de la diaspora un rôle important dans la mise en œuvre des actions. « Seul celui qui est auprès du feu en ressent ses brulures » dit-on, et eux, ils vivent loin du continent la majorité du temps.
Les jeunes invités du Président Macron ont évoqué la question du manque de légitimité de certains dirigeants en omettant de dire qu’eux-mêmes n’avaient que le droit de se taire pour exprimer la voix des jeunes africains qui ne se reconnaissaient absolument pas en eux. Le drame avec cette manière de procéder revient à la situation où une bombe explose dans le sac de son porteur en plein marché faisant de tous des victimes. Ils sont violemment pris à partir par ceux dont ils sont censés être les représentants et crient à une stigmatisation injuste. Cependant existe-t-il pire injustice qu’une imposture qui tente de détourner les aspirations légitimes d’un peuple au nom de la préservation d’intérêts autres que les siens?
Le Sommet étant terminé, il s’agit maintenant de mettre en exécution les 13 propositions. Le temps nous dira vite si cela suffira à combler les attentes de la jeunesse en matière de souveraineté politique, économique, de justice et de démocratie.
Moritié CAMARA
Professeur d’Histoire des Relations Internationales